La CBR1000RR a toujours été performante, mais discrète. Avec cette version SP, elle devient nettement plus extravertie.
Pour Honda, il fut un temps où les choses étaient plus simples. Pour obtenir du succès, il suffisait que votre entreprise fabrique des produits de qualité supérieure à ceux des concurrents. Les autres motocyclettes tombaient en panne. Pas les vôtres. Donc succès assuré. Mais les choses ont changé.
Premièrement, il faut reconnaître qu’il y a d’autres motos de qualité. Même dans les pays qui songent à quitter la zone euro, on fabrique maintenant des machines tout à fait fiables et durables. Mais il y a un autre facteur : aujourd’hui, les gens veulent acheter une moto provenant d’une marque au passé romantique.
Certaines compagnies, notamment dans le domaine des vêtements, s’inventent un passé glorieux ou original parfois (très) tiré par les cheveux… Honda, pour sa part, a une histoire véritable et suffisamment riche pour ne pas avoir à inventer quoi que ce soit. Mais la marque japonaise a toujours semblé réticente à mettre cet héritage de l’avant. Jusqu’à maintenant. Car le numéro 93 que vous voyez sur cette CBR1000RR SP, c’est celui du génie de la MotoGP, Marc Marquez. La saison dernière a été plus difficile pour lui, mais il a tout de même déjà deux titres en poche. Sa machine de Grand Prix n’a rien à voir avec celle-ci (et il y a de bonnes chances que Marquez n’ait jamais roulé en CBR1000RR SP). Mais là n’est pas le point. Ce qu’on veut créer, c’est un lien, un rappel, une image. D’ailleurs, si vous demandez d’où vient cette livrée Repsol, voici la réponse. Repsol est une entreprise pétrolière espagnole et elle est le principal commanditaire de Honda en MotoGP. Marquez est Espagnol et son coéquipier Dani Pedrosa aussi. (En Espagne, les courses de moto sont un événement majeur, beaucoup plus qu’au Canada et ailleurs en Amérique du Nord.)
Il y a déjà un moment que les manufacturiers de motos sportives offrent aux amateurs des versions de leurs machines de base équipées de composantes plus sophistiquées, comme une suspension Öhlins et des freins Brembo, par exemple. Peut-être que Honda trouvait cette approche frivole. La suspension Showa du modèle de base est excellente et, si on veut aller au fond des choses, il faut préciser que les fourches Öhlins que vous voyez sur les motos de production ne sont pas les mêmes que celles que vous pourriez acheter chez le fabricant. Les cyniques les appellent des Shöwlins parce que, disent-ils, ces fourches servent surtout à faire du show et à épater vos amis dans le stationnement du stand à poutine… C’est un peu comme lorsqu’on achète un produit Calvin Klein dans un magasin outlet et qu’on apprend ensuite que les fabricants produisent des lignes de vêtements spécifiquement destinées à ces magasins.
Tout cela étant dit, il n’en reste pas moins que vous en obtenez beaucoup pour les 19 999 $ que coûte cette CBR1000RR SP (4000 $ de plus que le modèle de base) : lumières d’admission et d’échappement polies, té de fourche supérieur au look sophistiqué, amortisseur arrière Öhlins TTX au fini lustré harmonisé à celui de la fourche, étriers Brembo monoblocs à montage radial (au lieu des Nissin). Le sous-cadre redessiné permet de soustraire 11 kg selon Honda, pour un poids annoncé tous pleins faits de 200 kg.
En version SP, la CBR1000RR conserve l’essentiel de ses qualités et de ses défauts. Ainsi, l’embrayage anti-sautillements empêche la roue arrière de bloquer quand on rétrograde avec un peu trop d’entrain à l’entrée d’un virage, l’ABS est livré de série et cette moto compte parmi les machines d’un litre les plus souples et les mieux équilibrées. Par contre, l’antipatinage n’est toujours pas au rendez-vous, ce qui surprend un peu pour un modèle de cette catégorie. Suzuki lancera bientôt sa nouvelle GSX-R et Honda sera alors la seule marque japonaise à ne pas l’offrir sur son modèle sportif haut de gamme (l’antipatinage est courant sur les sportives européennes depuis plusieurs années).
Il y a un écart profond entre la façon dont les motos sportives sont mises en marché et l’usage qu’en font réellement les acheteurs. Très peu de ces machines se retrouvent un jour sur un circuit; pourtant les lancements de presse ont lieu sur des circuits, et les acheteurs surveillent de près leurs succès en course. Sur un circuit, l’antipatinage est devenu indispensable pour demeurer compétitif. En usage routier, il peut s’avérer utile, mais les freins antiblocage sont nettement plus importants. Bref, même si la CBR1000RR SP est vendue comme une moto prête pour la piste, peu de gens risquent de l’acheter pour cet usage. Sur la route, par contre, la Honda est peut-être la meilleure des motos d’un litre. Elle offre une réponse de l’accélérateur impeccable et une bande de puissance extrêmement solide à moyens régimes (en puissance maximale, elle cède une trentaine de ch à une concurrente comme la BMW S1000RR, mais sa puissance à mi-régime est meilleure que pratiquement toutes les autres machines de superbike sur le marché).
Sur un circuit, je préfère la Honda CBR600RR à cause de sa maniabilité exceptionnelle. Sur la route, j’aime la CBR1000RR, et comme la puissance n’est pas vraiment un critère (toutes les machines de superbike offrent bien plus de puissance qu’il n’en faut pour un usage routier), aussi bien choisir une moto qui vous plaît particulièrement. Et c’est ce que propose la version SP. Honda a finalement décidé d’ajouter une touche d’exclusivité à une machine profondément compétente.