Husqvarna 701 Enduro: Compromis réussi

Par Neil GrahamPublié le

Une double-usage particulièrement bien équilibrée
Les gouttelettes de pluie ruissellent sur ma visière, mais je suis bien au sec dans ma combinaison imperméable Alpinestars. Je réfléchis au concept de compromis. Dans le domaine de la moto, la puissance augmente le poids et réduit la maniabilité. À l’inverse, une moto légère et maniable pourra manquer de stabilité ou de pouvoir d’accélération sur l’autoroute. Il faut faire des compromis. Et la branche du motocyclisme qui exige le plus haut niveau de compromis, c’est sans aucun doute celle des motos double-usage.

Trêve de réflexions philosophiques. Notre chef de file pointe le bras et, un par un, les pilotes de notre petit groupe se lèvent sur leurs repose-pieds et bifurquent vers le bas de la route. Nous roulons maintenant à bonne vitesse dans un sentier graveleux et boueux. Je relève ma visière qui commence à s’embuer et je vois un virage à droite qui approche rapidement. Je pousse la poignée de droite jusqu’à mon genou pour faire pencher la moto au maximum, je tords l’accélérateur et je négocie la courbe en dérapant avec une fluidité qui ne m’est pas coutumière.

Après un été à rouler sur des machines de terre-battue, je suis devenu beaucoup plus à l’aise sur les routes de terre qu’auparavant. En hors-route, on ne choisit pas une ligne super précise comme avec une routière, on suggère plutôt à la moto une direction qui nous plairait bien… Cela dit, je demeure un analyste nettement plus compétent pour les routières que pour les motos d’enduro. Mais cela ne m’a pas empêché de constater immédiatement que la 701 Enduro est une machine très performante à tous points de vue. Même qu’elle est au moins aussi compétente que n’importe quelle autre véritable machine d’enduro. Aussi bonne, même, qu’une KTM. Quoi, qu’est-ce que vous dites? Que c’est une KTM en réalité?

Quand BMW a vendu Husqvarna à KTM, la gamme des Husky était limitée à une poignée de modèles. Du côté de KTM, c’était le contraire. Des machines de motocross sophistiquées pour les jeunes jusqu’à la 1190 Adventure, la firme avait déjà une panoplie de modèles. Alors, la 701 Enduro que vous voyez dans ces pages est essentiellement une KTM 690 Enduro R recarrossée. Mais n’allez pas jusqu’à dire à un employé de Husqvarna (comme je l’ai fait) que cette moto est identique à la KTM. On m’a expliqué que la nouvelle compagnie en est à ses débuts et qu’à l’avenir, les différences vont aller en s’accentuant. Est-ce que les deux marques conserveront la même plateforme de base (un peu comme le faisait Chevrolet et Pontiac) ou vont-elles évoluer dans des directions différentes? On ne le sait pas encore. Et peut-être que des spécialistes en marketing répondraient que ça n’a pas vraiment d’importance.

KTM a accompli un précédent : c’est la première marque européenne qui a réussi à devenir grand public, dans le créneau des motos hors-route. Les motos européennes ont une aura qui transcende leurs volumes de ventes réels. Par exemple, Ducati fait de très bonnes affaires aux États-Unis (c’est son marché le plus important), mais il n’en demeure pas moins que ses ventes totales en nombre d’unités étaient, il y a quelques années encore, comparables à celles de la Suzuki Hayabusa. Pour sa part, KTM vend réellement un grand nombre d’unités. Le danger d’un tel succès, évidemment, c’est qu’il devient plus difficile de mettre de l’avant le concept d’exclusivité. D’où l’entrée en scène des Husqvarna. Les spécialistes en marketing de la firme m’ont expliqué que la clientèle cible des Husky est plus âgée que celle des KTM. On veut aussi miser sur l’historique des Husqvarna et les positionner comme des machines pour amateurs de hors-route connaisseurs et sophistiqués (je ne sais pas si ce créneau existe vraiment, mais au moins il permet d’offrir des machines performantes qui ne sont pas de couleur orange…).

Quand on essaie un nouveau type de moto, on a le réflexe de la comparer à une catégorie que l’on connaît déjà. J’ai accumulé des milliers de kilomètres sur les grosses GS de BMW et sur les modèles Adventure de KTM à moteur V-2. Alors, pour moi, la 701 Enduro semble vive et légère comme un verre de Chablis bien frais. À cause de leur légèreté et de leur compacité, les monocylindres sont pratiquement le seul choix possible pour construire une moto de hors-route véritablement performante et agile. Par contre, ils sont aussi réputés pour leurs vibrations et leur côté un peu rugueux. Ce n’est pas le cas ici. Ce gros mono à contrebalancier est l’un des plus raffinés que j’ai essayés.

Malgré son appellation de 701, la cylindrée de ce moteur à quatre soupapes avec simple arbre à cames en tête est de 690 cc. Sa puissance annoncée est de 67 chevaux. Il est muni d’un embrayage anti-sautillement et de trois modes de livraison de la puissance (Normal, Doux, Avancé). Chose surprenante, pour passer d’un mode à l’autre, il faut aller jouer sous la selle. Pour un dispositif de contrôle plus pratique, il faut se procurer un système optionnel qui permet de faire les ajustements à partir du guidon. Autre option surprenante (mais tout de même plus courante) : il faut brancher une clé électronique pour que le système de freinage ABS Bosch intervienne uniquement sur la roue avant. L’ABS est devenu un élément essentiel sur les motos modernes, mais en usage hors-route, il peut s’avérer problématique, et c’est pourquoi on peut souvent le mettre à « off » au complet. Le fait de pouvoir désactiver uniquement l’arrière semble offrir un compromis presque parfait : on peut bloquer la roue arrière au besoin, tout en réduisant le risque de « perdre » la roue avant dans une section glissante imprévue.

Lors de cette randonnée dans le sud du Portugal, nous passons régulièrement des routes de gravier aux routes pavées aux sentiers rocheux, et inversement. Ces changements fréquents permettent d’apprécier la polyvalence de la 701. Sur la route, grâce à la convivialité du moteur et à la souplesse relative de la suspension WP (la marque maison de KTM), on roule en douceur et on se moque complètement des nids de poule et autres obstacles. Ce qui n’empêche pas la Husky de demeurer très stable dans les virages rapides. Par ailleurs, à cause de la position de conduite et de l’absence de carénage, le torse et les jambes sont exposés aux intempéries, mais le guidon large et la selle allongée engendrent un poste de pilotage accueillant. (Parlant de la selle, elle est tellement longue qu’on pourrait y asseoir une famille au complet : papa, maman, et les deux enfants. Mais il n’y a qu’une seule paire de repose-pieds…)

Quand on quitte l’asphalte, le débattement généreux des suspensions – 275 mm à l’avant et à l’arrière – permet d’avaler à peu près tout ce qui se présente sur le chemin. Les pneus Continental TKC 80 offrent un bon compromis : ils se tirent bien d’affaire même en terrain boueux tout en offrant de bonnes performances sur la route.

Quand on est habitué aux motos de route, les machines hors-route peuvent sembler un peu rudimentaires. Les plastiques avec coloration dans la masse, en particulier, ne permettent pas de gagner beaucoup de points en matière d’esthétisme. La 701 se distingue du lot à cet égard avec ses panneaux de carrosserie au fini lustré et au graphisme richement coloré. Et la selle est particulièrement élégante avec ses rainures encastrées. Cette machine est également sophistiquée à différents autres égards. Ainsi, le réservoir à essence n’est pas situé à l’avant, au-dessus du moteur. Il est plutôt sous la selle, dans une cellule de plastique polyamidique qui joue également le rôle de sous-cadre arrière. Ne comptez pas sur cette disposition pour obtenir une selle plus basse, cependant : elle trône à 910 mm du sol.

Au cours de la dernière décennie, les systèmes d’injection ont connu des transformations et des améliorations majeures. La 701 est dotée d’un accélérateur à commande électronique (avec corps de papillon Keihin de 46 mm) qui livre une réponse remarquablement fluide. Dans le cadre de nos essais de motos, nous faisons d’innombrables demi-tours pour les sessions de photos. Ces manœuvres permettent de découvrir un nombre étonnant de choses sur la nature d’une moto, et notamment de déceler rapidement les problèmes du côté de la réponse de l’accélérateur. Or, à cet égard, la 701 est brillamment calibrée. (Quand j’ai fait cette observation à un membre de l’équipe Husky, il m’a dit que la cartographie moteur avait été « mise à jour » par rapport à celle de la KTM 690 Enduro R.)

Il n’est pas étonnant que Husqvarna (via KTM) soit capable de construire des machines hors-route performantes. Ce qui est plus surprenant, c’est de voir avec quel niveau de sophistication la 701 réussit à fusionner des qualités de routière et de machine hors-route. Dommage, en fait, que Husqvarna n’ait pas exploité plus à fond encore le potentiel de ce modèle. Avec un carénage un peu plus élaboré, au lieu du minuscule déflecteur traditionnel des motos d’enduro, la 701 ne perdrait rien de ses qualités hors-route tout en devenant plus efficace comme routière. Et en lui ajoutant des valises, elle deviendrait une machine de format moyen idéale pour toutes les sortes de routes (pavées, défoncées ou en gravier) qui sillonnent notre coin de pays. La 701 est une très bonne moto, et elle pourrait servir de base à une moto encore plus intéressante.

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