La machine à la voix d’or passe le cap des 200 chevaux
La tête me penche lentement vers l’avant à mesure que l’ingénieur lit le texte sur son lutrin. Les soupapes d’échappement en métal ont été remplacées par des modèles en titane, et elles sont plus grandes. Quand le menton me touche la poitrine, je reprends tout à coup mes esprits et j’écoute du mieux que je peux. Les bielles sont plus légères, le vilebrequin est plus lourd, le rapport volumétrique est de 13,6:1. La puissance mesurée au vilebrequin est passée de 185 ch à 12 500 tr/min à 201 ch à 13 000 tr/min. Mais la seule chose qui intéresse vraiment, au fond, c’est de m’assurer que tous ces changements n’ont pas changé la personnalité de la RSV4.
J’ai toujours eu une relation forte avec les objets importants de ma vie. C’est pourquoi j’apprécie profondément les outils vieux de 50 ans dont j’ai hérité. C’est pourquoi je respecte scrupuleusement la séquence d’entretien de mes véhicules. Et c’est aussi pourquoi la RSV4 est tout à fait mon genre de machine. Depuis quelques années, il y a beaucoup de discussions dans le monde motocycliste à propos de la pertinence des nombreux dispositifs modernes d’aide au pilotage. Et s’il est vrai qu’ils peuvent aseptiser certains modèles, c’est loin d’être le cas de cette Aprilia.
La RSV4 dégage une impression mécanique aussi présente que les machines les plus mécaniques que j’ai possédées, notamment un gros monocylindre, un V-2 américain des années 1940 et un superbike Ducati des années 1990. En fait, je crois que ce V-4 à 65 degrés à 16 soupapes est le moteur de moto le plus charismatique au monde. (Il est suivi de près par quelques autres, mais pour moi il demeure le roi.) Cela dit, un moteur excellent, ou même exceptionnel, ne suffit plus pour être compétitif dans le monde des superbike actuel. La mouture 2016 de la RSV4 RF (la déclinaison Factory n’existe plus) que nous avons pilotée sur le circuit de Misano, en Italie, est dotée d’une interface multimédia qui permet de relier la moto au réseau Internet. Cela vous permet d’enregistrer une foule de données : temps au tour, positions de l’accélérateur, rapport sélectionné, vitesse, puissance et couple livrés, niveau de patinage des roues, angle d’inclinaison, forces g longitudinales et latérales. Mais ce n’est pas tout : le système vous permet aussi de paramétrer les systèmes antipatinage et anti-wheelies pour chaque virage grâce aux données de géolocalisation par GPS fournies par votre téléphone intelligent. Et, technophobes, ne lisez pas ceci : tous les modèles d’essai de ce lancement de presse étaient équipés d’un iPhone monté sur le té de fourche supérieur.
Oui, un téléphone monté sur la fourche! L’abondance de données auxquelles on peut avoir accès est plus utile qu’on pourrait le croire. Bien sûr, on a droit à une leçon d’humilité quand on découvre nos faiblesses comme pilote, mais on peut également mettre ces informations à profit. Quand on découvre qu’on n’était pas aussi penché qu’on le pensait dans tel virage, ou qu’on aurait pu accélérer plus fort dans tel autre, on peut s’améliorer. Personnellement, toutefois, c’est le genre d’information que je prendrais le temps d’analyser à la maison, plutôt qu’au bord de la piste. Surtout qu’ici, à Misano, nous n’avons que quatre sorties de 20 minutes; alors je veux rester concentré sur le pilotage.
Avec l’aide d’un technicien d’Aprilia, je choisis le mode Course (il y a aussi un mode Sport et Circuit) parce qu’on me dit que c’est celui qui offre la réponse la plus fluide à l’accélération. Je lui demande aussi de sélectionner les niveaux les moins restrictifs pour l’antipatinage et le système de contrôle des wheelies. Et c’est parti.
Toutes les motos de superbike sont rapides. Mais une des particularités de la RSV4, c’est qu’elle livre sa puissance phénoménale de façon extrêmement souple et linéaire, ce qui aide le pilote surexcité à demeurer un peu plus calme… J’arrive à apprendre assez vite la séquence des virages du magnifique circuit de Misano. Mais pour apprendre à maîtriser ses subtilités, c’est une autre histoire. L’endroit le plus difficile est constitué de deux longs virages à droite suivis d’un troisième en épingle à cheveux. On prend les deux premiers en quatrième avec le genou au sol, à plus de 200 km/h. À ma première sortie, je suis arrivé au virage en épingle beaucoup trop vite, et complètement hors ligne. J’ai freiné avec une vigueur extrême et je me suis retrouvé au sommet de la courbe. Ensuite, j’ai remis l’accélérateur, l’antipatinage m’a permis de faire un léger dérapage bien contrôlé et j’ai filé vers le prochain virage.
Si vous voulez absolument acheter la moto sportive qui trône en haut de l’échelle technologique, la RSV4 ne sera probablement pas votre premier choix. À ce chapitre malgré sa connectivité par Internet et téléphone, elle est légèrement devancée par la Yamaha R1. Côté puissance, la BMW demeure dominante. L’Aprilia ne remporte pas la palme non plus côté légèreté, et sa position de conduite est plus serrée que celle de ses concurrentes japonaise et allemande. Alors, si la RSV4 n’est pas destinée aux compétiteurs ni aux technophiles extrêmes, à qui s’adresse-t-elle?
Si le concept de sophistication mécanique importe pour vous autant que pour moi, la RSV4 passe en tête de liste. Bien sûr, cette Aprilia est extrêmement rapide, mais ce qui la distingue, c’est le niveau de plaisir qu’elle engendre sur les petites routes, dans les longs droits et même à basse vitesse. C’est ce que je me disais en rétrogradant jusqu’à 60 km/h pour entrer aux puits du circuit de Misano. Le son du moteur en compression puis sa musique musclée au ralenti sont un pur enchantement.