Toujours aussi affûté, mais plus convivial
Le printemps, c’est la saison des cerisiers en fleurs au Japon. Il y en a partout et leurs magnifiques tons de rose attirent énormément de touristes chaque année. Bien sûr, nous ne sommes pas ici pour voir des fleurs, et de toute façon nous sommes un peu avant le coeur de la période de floraison. Il y a trois Canadiens dans notre groupe : Marcus Martellacci des relations publiques chez Suzuki, le journaliste Bertrand Gahel, et moi. Nous avons été invités sur l’île de Honshu en mars dernier pour essayer la nouvelle Katana. En relançant cette machine de 1000 cc, la firme compte profiter de la forte hausse des niveaux de puissance des moteurs au cours des dernières décennies, du côté nostalgique des motocyclistes et de l’image mythique de ce sabre courbé que les guerriers samouraïs portaient à l’époque où ils avaient droit de vie et de mort sur les simples mortels.
Après quelques jours de tourisme aux environs de Honshu et dans les villes de Hamamatsu et Kyoto, nous avons finalement eu l’occasion de monter sur la Katana. Et Suzuki ne s’est pas contentée de nous offrir une simple promenade routière derrière un guide. Au contraire, nous avons eu droit à une section de route de montagne de 10 km fermée au public, et nous avions une vingtaine de Katana à notre disposition (avec seulement le mot SUZUKI inscrit sur les plaques d’immatriculation). Nous étions une vingtaine de journalistes étrangers, et Suzuki nous a fait voyager en première classe, découvrir le musée Suzuki et l’usine d’Hamamatsu, voir le château Nijō à Kyoto et visiter un atelier de fabrication de superbes sabres katana réalisés directement à partir d’un bloc d’acier.
Pendant un bon moment, je me suis demandé : pourquoi Suzuki fait-elle renaître cette machine?
Mais je ne me posais pas cette question à cause du comportement de la Katana. Au contraire, il faut vraiment faire un effort pour lui trouver des défauts. Son moteur, un quatre cylindres de 999 cc refroidi au liquide, affiche 147 ch à 10 000 tr/min et un couple de 80 lb-pi à 9500 tr/min. Il provient de la GSX-R1000 K5 2005-2008 et on le retrouve aussi dans la GSX-S1000. C’est un engin puissant, au caractère exubérant, qui livre sa puissance de façon linéaire et douce tout en émettant un vrombissement enthousiaste. Il est relié à une transmission à six rapports. Le cadre en alliage léger provient de la GSX-S et le bras oscillant a été emprunté à la GSX-R1000 de 2016. Une base solide. À l’avant, la fourche inversée Kayaba de 43 mm est entièrement ajustable. À l’arrière, on peut ajuster la précharge du ressort et l’amortissement en détente. La suspension se comporte très bien. Côté freinage, on retrouve à l’avant des étriers Brembo à quatre pistons à montage radial, avec disques de 310 mm; étrier Nissin à simple piston à l’arrière. Les freins sont performants, et l’ABS est livré de série, bien sûr. Les roues en alliage léger sont chaussées de pneus Dunlop Roadsport. Alimentation par injection électronique, corps de papillons de 44 mm à doubles papillons, antipatinage à trois niveaux et désactivable, éclairage par DEL.
Un modèle puissant et bien équipé, donc, tout comme plusieurs autres machines modernes dénudées à moteur quatre cylindres. Par rapport la Katana d’origine lancée il y a 38 ans, toutefois, la nouvelle mouture est vraiment beaucoup plus puissante. À l’époque, au début des années 1980, son moulin de 1100 cc refroidi à l’air produisait une centaine de chevaux, ce qui était déjà impressionnant. La puissance du modèle actuel est à la hausse de 50 %. N’oublions pas que même si les sportives de haut niveau actuelles flirtent avec les 200 ch, il n’y a pas si longtemps que les motos de 150 ch donnaient des frissons aux journalistes moto dans leurs petits cuirs serrés (pensez aux premières Hayabusa et R1, par exemple). Bref, 150 ch, c’est beaucoup. La nouvelle Katana est aussi nettement plus confortable pour un usage au quotidien. Elle est munie de repose-pieds plus bas, d’un réservoir à essence plus court qui facilite l’accès au guidon (plus élevé), et la selle effilée (à 825 mm du sol) permet de mettre les deux pieds bien au sol plus facilement. Tous ces éléments font en sorte que la position de conduite de la Katana 2020 est beaucoup plus agréable que celle du modèle original.
Le nouveau modèle est également équipé d’une meilleure suspension et de freins beaucoup plus performants. Il profite en plus de l’ABS, d’une alimentation par injection électronique et d’un système antipatinage. (Lors de la conférence de presse, j’ai demandé pourquoi il n’y avait pas d’autres dispositifs d’aide électronique, comme différents modes de livraison de la puissance ou un système ABS sensible à l’angle d’inclinaison, par exemple. On m’a répondu que ça n’allait pas avec l’approche de la Katana.) À l’image de son guidon positionné loin en avant du pilote, la Katana d’origine était une machine longue : empattement de 1520 mm, chasse de 29°50’, déport de 118 mm. Sur le nouveau modèle, l’empattement est de 1460 mm, la chasse de 25°, et le déport est de seulement 100 mm. Avec ses 215 kg tous pleins faits, Suzuki nous dit qu’elle pèse 30 kg de moins que le modèle de 1981. Somme toute, aucune de ces données techniques ne permet de distinguer nettement la Katana 2020 de ses concurrentes. Par contre, elles font en sorte qu’elle pourrait s’avérer une très bonne moto pour vous, si vous êtes attiré par la mystique Katana.
Nous avons fait plusieurs montées et descentes sur la route Arashiyama-Takao, juste à l’extérieur de Kyoto (on voit cette route sur Google Maps, mais je ne pourrai pas dire exactement quelle section nous avons faite – disons que c’était celle avec les plus belles courbes…). Voici les notes que j’ai ensuite prises à chaud dans mon petit calepin bleu.
– Groupe de pilotes rapides et route très sinueuse. Il y a un petit jeu dans l’entraînement en deuxième vitesse quand on redonne du gaz, la moto se redresse un peu quand on freine en virage. La selle est agréable, plate et ferme, et elle ne me pousse pas l’entrejambe vers le réservoir. Beau son d’échappement et bonne puissance linéaire. La direction est rapide et demande peu d’efforts, mais il faut maintenir la pression sur le guidon dans les virages. Bonne position des repose-pieds et du guidon; je ne sens pas l’articulation de mes genoux (c’est bon). La selle est un peu trop haute pour moi (ou je suis un peu trop petit pour elle). –
Voilà pour mes notes. Lors d’un arrêt pendant lequel les autres journalistes avaient le nez rivé à leur téléphone, j’ai remarqué à quel point le mot SUZUKI sur le réservoir était incliné vers le bas, et aligné avec le bec avant de la machine. Ce trait visuel, et plusieurs autres, confirme que les designers ont vraiment travaillé fort pour que la nouvelle machine rappelle le look de l’ancienne. Et c’est cet air de famille qui permettra de distinguer la nouvelle Katana des autres machines techniquement comparables comme les Kawasaki Z1000R, Yamaha MT-10 et Honda CBR1000R.
« Le nouveau réservoir semble avoir été sculpté avec un sabre », explique Satoru Terada, l’ingénieur en chef de la division motos. Cette nouvelle Katana découle de la vision du designer italien Rodolfo Frascoli, qui avait présenté le concept au salon de la moto Intermot de Milan, en novembre 2017. Les designers de Suzuki ont ensuite modifié certains éléments, dont le réservoir et le phare, pour qu’ils ressemblent plus à ceux de la Katana originale. De plus, le guidon a été relevé et reculé pour déplacer le centre de gravité vers l’arrière. Au final, les formes anguleuses du réservoir et son intégration avec les panneaux latéraux du carénage créent une forte ressemblance avec la Katana lancée en 1981. C’est le designer allemand Hans Muth qui avait créé le modèle original, et qui lui avait donné son nom. Muth se souvient que lorsqu’il avait présenté son concept au personnel de Suzuki, le président de l’époque, Osamu Suzuki, avait dit que cette moto lui faisait penser à l’avion supersonique Concorde. Plus tard, Suzuki a demandé à Muth pourquoi il avait choisi le nom « Katana ».
Muth a expliqué qu’il pensait aux samouraïs et à leur sabre, le katana, et qu’il est devenu un élément symbolique pour l’élaboration des formes de cette moto.
Lorsque la Katana est apparue sur le marché, on disait souvent des motos japonaises de l’époque qu’elles étaient pratiquement toutes identiques, et la plupart n’avaient que très peu de pièces en plastique. Nos amis anglophones les qualifiaient d’UJM : Universal Japanese Motorcycles. Alors quand la Katana est arrivée, elle a eu à peu près le même genre de punch que la minijupe dans les années 1960. Quelques années plus tard, il y a bien eu la Honda Interceptor 750. Mis à part un problème d’arbre à cames, c’était une machine techniquement plus avancée avec moteur V4 et carénage, et elle offrait une puissance et une tenue de route supérieure par rapport aux autres manufacturiers. Visuellement, elle avait de la gueule, mais rien en comparaison avec la Katana, toutefois.
Lors de notre dernier souper de groupe à Kyoto, le directeur du marketing de la division motos nous a dit qu’environ 5000 Katana seraient sans doute construites au cours de la première année, et qu’elles seraient destinées au Canada, aux États-Unis, à l’Europe, au Japon et à l’Océanie. Marcus Martellacci a confirmé que les premiers modèles devraient arriver en sol canadien vers la fin du mois de novembre 2019, en tant que modèles 2020.
Il se pourrait bien que les résultats de vente de la nouvelle Katana au pays n’aient rien à voir avec la nostalgie ou les souvenirs des années 1980. Ce sera peut-être simplement le prix, les besoins des acheteurs et les tarifs d’assurance qui feront pencher la balance. Il ne fait pas de doute que la Katana 1000 2020 propose un niveau de performances et de confort comparable à celui des autres motos de base à caractère sportif. Mais sans les surpasser. C’est aussi une belle moto, qu’on l’évalue par rapport à l’ancienne ou en tant que modèle original, et comme elle offre des caractéristiques comparables à ses concurrentes, elle part à chances égales dans la course aux résultats de vente. Cela dit, si les acheteurs qui sont séduits par ses performances, sa tenue de route, son confort et son look sont aussi séduits par son attrait « nostalgie du bon vieux temps », la nouvelle Katana pourrait bien profiter, comme l’avait fait l’ancienne, de ce petit plus dont rêve l’équipe de ventes de Suzuki.