Après avoir essayé le modèle européen de la Super Duke en France (MJ juillet 2006 – avant cette année, elle n’était pas offerte en Amérique du Nord), je suis tombé amoureux avec la belle autrichienne. Au point de faire des pieds et des mains pour en avoir une en essai à long terme. Mission accomplie! Une magnifique 990 Super Duke anthracite (la plus belle !) trône fièrement dans mon garage pour la saison. Et en plus, elle est passablement accessoirisée, pour se démarquer de la masse. Durant tout l’été, nous soumettrons la KTM à toutes les tortures possibles. Nous l’emmènerons sur un large éventail de routes, incluant une piste de course, et nous lui ferons faire le tour de la province, voire, du pays. Nous profiterons également de l’occasion pour tester différents équipements – pneus, échappements, selle en gel, bagages, GPS, systèmes de communication – afin de vérifier sa polyvalence et son aptitude au voyage. Une qualité que – pour l’instant – peu de gens sont prêts à lui reconnaître. Et, bien entendu, en fin de saison, nous vous informerons de nos trouvailles.
En terrain de connaissance
Originalement, je devais prendre possession de MA Super Duke à la mi-avril, à mon retour de Chine. Mais, pour une raison qui m’est inconnue, elle est restée bloquée à la douane pendant plusieurs semaines. Puis, certaines des pièces que j’avais commandées ont été livrées en retard. Ce n’est donc que le 25 mai que j’ai enfin pu aller la chercher. Depuis le temps que j’attendais ce moment ! Avec ses lignes coupées à la serpe qui ne laissent aucun doute sur son caractère, elle se démarque du lot. En fait, les seules machines qui lui ressemblent un tant soit peu sont la Benelli TNT, que j’ai essayée plus tôt, l’Aprilia Tuono et, à un niveau moindre, la Triumph Speed Triple.
Malgré les changements apportés au millésime 2007, la position de conduite est inchangée. On est légèrement basculé sur l’avant, le dos un poil courbé, les jambes un peu repliées. Les pieds sont à peine reculés et les bras écartés en raison du large guidon tubulaire au cintrage bien étudié. La selle est confortable et le réservoir demeure étroit au niveau des jambes, même s’il gagne trois litres de contenance. Le carénage a été redessiné. Il comporte un nouveau déflecteur au-dessus du phare qui dévie plus efficacement l’air et protège mieux que l’ancien. Une minibulle optionnelle, plus haute, est offerte. Les garde-boues, les feux arrière, les rétroviseurs et les clignotants ont également été redessinés. Le nouveau tableau de bord est très esthétique et l’instrumentation est complète : indicateur de vitesse, compte-tour, totalisateur kilométrique, deux partiels, témoin de réserve, horloge numérique… Il manque juste un témoin de rapport engagé. Les leviers de frein et d’embrayage sont jumelés à des maîtres-cylindres à pompe radiale et leur éloignement est réglable. Tous les équipements respirent la qualité et la finition est sans critiques. Mais trêve de bavardages! Mettons le contact, question de voir si le bestiau a toujours une aussi belle voix. Quelle sonorité ! Le V2 autrichien émet une mélopée envoûtante qui vous prend aux tripes. On n’a qu’une hâte : tailler la route (de préférence sinueuse et déserte… si vous voyez ce que je veux dire !).
Le roadster de tous les superlatifs
En rentrant de St-Bruno vers la maison, je reste coincé dans le trafic du vendredi après-midi. La circulation est très dense sur l’autoroute 20 et dans le tunnel Hyppolite-Lafontaine. Ça roule au ralenti et la température extérieure de 30 degrés est difficile à supporter dans les circonstances. Je retrouve alors un trait de caractère qui m’avait un peu irrité lors de notre prise de contact en France. En raison de sa démultiplication longue, il faut faire cirer l’embrayage en première si on ne veut pas caler. À bas régime, sous les 2 000 tr/min, la moto hoquette et donne des à-coups désagréables. Par contre, dès qu’on accélère, le phénomène s’estompe. Une couronne plus grosse d’une ou deux dents corrigerait certainement ce défaut, sans que la réduction de la vitesse maximale soit notable.
Le bicylindre ouvert à 75 degrés dispose d’un double arbre à cames en tête, de quatre soupapes par cylindre et d’un refroidissement au liquide. Il crache 120 ch à 9 400 tr/min au vilebrequin et offre un couple important de 75 lb-pi à 7 000 tr/min. De 2 000 à 5 000 tr/min, celui-ci est abondant. Le moteur fait preuve d’une grande souplesse et reprend sur un filet de gaz. Le charme du twin ! Entre 5 000 et 7 500 tr/min, le moteur est particulièrement rempli et grisant. C’est dans cette plage qu’il donne le meilleur de lui-même et se montre le plus efficace sur les routes secondaires. Puis, de 7 500 tr/min à la zone rouge (9 800 tr/min), c’est la charge de la cavalerie lourde. Un vrai feu d’artifice ! Par contre, il ne sert pas à grand-chose de tirer les rapports au-delà de la zone rouge car la puissance plafonne passé ce cap. L’injection électronique Keihin à corps de 48 mm et doubles papillons assure une alimentation parfaite à tous les régimes. Il en résulte une liaison directe entre la poignée des gaz et la roue arrière. Si le tirage final long est un handicap en ville, à bas régime, il se montre avantageux à une vitesse de croisière normale. En sixième, sur l’autostrade, le moteur ronronne à 4 800 tr/min, à 130 km/h. Bien lancé, il atteint 230 km/h maxi au compteur. La protection offerte par le minimaliste carénage de tête de fourche est correcte jusqu’à 160 km/h. Mais au-delà, ça tire fort dans la nuque et les épaules. Mieux vaut donc ne pas passer trop de temps sur les autoroutes. D’autant que les routes « virageuses » sont nettement plus sympas !
Relativement étroite, la Super Duke profite d’un rayon de braquage raisonnable, de sa maniabilité et de sa vivacité en ville. Elle se faufile avec aisance et se balance facilement d’un angle à l’autre. Grâce au couple fabuleux de son moteur, elle s’extirpe de la circulation en un coup d’accélérateur. Elle se débrouille bien en milieu urbain, même si elle s’y sent un peu à l’étroit. Elle préfère de loin les grands espaces, les routes secondaires sinueuses au revêtement impeccable où elle peut s’exprimer à la mesure de son talent. Avec un poids à sec de 186 kilos (2 kg de plus que le modèle précédent), la Super Duke est un outil de précision sur les routes secondaires sinueuses. Légère, elle se balance d’une épingle à l’autre avec facilité et maestria. Malgré les changements apportés à la géométrie de la direction (la chasse passe de 23,5 à 23,9 degrés tandis que le déport est raccourci de 103 à 100,7 mm), l’empattement augmente à peine (de 1 438 à 1 450 mm). Le châssis est toujours aussi réactif, mais il a gagné en stabilité. À l’accélération, sur chaussée dégradée, la 990 n’a plus tendance à guidonner. Née pour l’attaque, la Super Duke a, aujourd’hui, plus d’arguments pour séduire et convaincre. Elle fait encore preuve d’une vivacité étonnante et est toujours aussi stable que précise : un vrai charme dans les virolos.
La Super Duke aime être pilotée à la limite de l’insanité, mais sous son accastillage découpé au couteau, se cache une machine sophistiquée aux charmes subtils. Elle apprécie les wheelies, les stoppies et autres figures de style, mais, par-dessus tout, elle adore la conduite sportive : rentrer en courbe sur les freins – contrairement à de nombreuses sportives, elle ne cherche pas à se relever ou à élargir la trajectoire – tutoyer le point de corde sur un filet de gaz et sortir en pleine accélération. Dans les enchaînements de virages, sa motricité vous propulse vers le prochain tournant avec autorité et confiance. Dans les longs virages rapides, elle fait preuve d’un comportement neutre. Elle maintient sa trajectoire,imperturbable, rivée au bitume. La garde au sol est abondante (sur route, en tout cas) et permet d’exploiter le potentiel des pneus au maximum. Les Dunlop D208 RR qui équipent la Duke sont à la hauteur de la partie cycle et permettent de flirter avec des inclinaisons extrêmes, en toute sécurité. Ils offrent une adhérence supérieure, en ligne droite comme sur l’angle, et sont très prévisibles. La massive fourche WP à poteaux de 48 mm ne plonge pratiquement pas. Elle est ferme sans être raide et permet au train avant d’être bien planté. Le monoamortisseur arrière, réglable dans tous les sens, est délicat à régler, mais une fois le bon ajustement trouvé, il procure confort, motricité et efficacité à la mise sur l’angle.
Les freins sont extrêmement puissants, mais leur réactivité a été adoucie, spécialement dans le cas du frein avant. Il s’agit désormais d’un double disque Brembo de 320 mm pincé par des étriers à fixation radiale, à quatre pistons et quatre plaquettes en métal fritté pour une plus grande douceur d’utilisation. Moins démoniaques qu’avant (dommage) ! Le frein arrière (simple disque de 240 mm à étrier simple piston) est progressif et puissant. Il possède une course assez longue et une bonne rétroaction. Ce qui permet de bien maîtriser les dérapages contrôlés. Les voyageurs au long cours regretteront l’absence de place pour les bagages. On ne peut installer qu’une sacoche de réservoir (pas magnétique cependant, car le réservoir est recouvert de plastique) et arrimer un sac à l’aide de tendeurs, à la place du passager (aucun crochet n’est prévu à cet effet), mais dans ce cas-là, vous devrez voyager seul. Il reste toujours l’option du sac à dos. Personnellement, je n’aime pas trop.
La Super Duke est une moto pour motocycliste égoïste. Bien sûr, elle possède une selle biplace et des repose-pieds pour le passager. Ce qui vous fait croire qu’elle est faite pour se promener en duo. Que nenni! Le passager est haut perché, les jambes fortement repliées et a juste une sangle de selle à laquelle se retenir… S’il reste dans cette posture plus de 15 minutes, c’est uniquement pour vous faire plaisir. Surtout sur une moto aussi caractérielle que la Super Duke. Il est malmené à chaque accélération ou freinage brutal et est assis sur une selle minimaliste au confort spartiate. Et, en plus, les échappements sous la selle lui chauffent le postérieur en moins de 30 minutes. Ce n’est pas vraiment l’idée qu’on se fait du confort… Au niveau de la consommation, le twin de la KTM se montre un poil gourmand, avec une moyenne (en baisse) de 6,85 L/100 km en conduite agressive. Ce qui donne une autonomie de 270 km. Mais il faut dire que ces chiffres ont été enregistrés alors que la moto n’affichait pas encore 1 500 km au compteur et était encore en période de rodage. Une fois que le moteur tournera plus librement, la consommation peut varier un peu. À voir !
L’Éloge de la maturité
Aussi à l’aise sur un circuit que sur les petites routes sinueuses, vive en ville et enivrante au quotidien, la Super Duke nouvelle mouture est une réussite sur tous les plans. Elle est toujours aussi délinquante, même si KTM a légèrement adouci son caractère. Joueuse, facile à prendre en mains, elle est désormais plus stable en sortie de courbe, sur chaussée défoncée (finis les guidonnages) et n’est plus aussi violente au freinage (maintenant, on fait des stoppies seulement si on le décide). Plus mature et plus aboutie, elle frôle la perfection, dans le créneau des roadsters extrêmes. Le diamant brut a été poli à la perfection et il brille de mille éclats !
NOTES DE PISTE
Notre collaborateur Neil Graham, qui a participé au lancement de la 990 Super Duke au circuit de Willow Springs, en Californie, nous fait part de ses impressions. Le circuit de Willow Springs est une piste serrée et bosselée, comme un petit Shannonville niché dans le désert. Bien que le tracé soit intéressant, il est tortueux et un peu hasardeux. De plus, un virage en dévers surprenant précède un grand virage relevé, façon NASCAR, dans lequel les suspensions sont complètement compressées. À la fin de la longue ligne droite, une chicane serrée vous surprend en pleine vitesse. Il ne faut surtout pas la fixer sous peine de tirer tout droit. Ajoutez à cela un revêtement inégal, parfois très défoncé, où la traction varie constamment, et vous conviendrez que ce n’est pas l’endroit idéal pour tester une nouvelle moto.
Malgré tous ces handicaps, la Super Duke a gardé sa composition, dans un environnement hostile où de nombreuses sportives pures et dures auraient rendu les armes. Le large guidon tubulaire facilite les changements d’angles et la négociation de la chicane, tandis que la puissance linéaire du V-Twin permet de bien maîtriser l’adhérence du Dunlop D208 RR arrière. La 990 est très douce à la remise des gaz (l’injection Keihin a été retravaillée pour une meilleure réponse) et facile à contrôler. La suspension est idéale pour la piste. Alors que, la plupart du temps, une suspension souple induit une tenue de route vague, ce n’est pas le cas sur la KTM qui reste fermement plantée sur ses appuis. Le senti n’est pas sacrifié au débattement et à la garde au sol. Même à des angles extrêmes, sur mauvais revêtement, j’ai toujours eu pleinement confiance dans la tenue de cap de la 990.
La Super Duke est un roadster joueur, mais sain avec lequel on peut s’initier sans crainte à la piste. Les pilotes plus expérimentés pourront tirer le meilleur parti du gros bicylindre coupleux. Même si elle ne peut rivaliser avec des sportives plus affûtées sur circuit, elle permet de s’amuser en toute sécurité.