On s’attendrait à ce que les manufacturiers de moto visent dans le mille la plupart du temps en matière de suspension. Après tout, la fourche télescopique existe, sous différentes déclinaisons, depuis le milieu des années 1930. De même, bien qu’elle soit plus récente, la suspension arrière à monoamortisseur est à maturité depuis un bon moment. Et pourtant, les manufacturiers continuent de trouver de nouvelles façons inventives de rater la cible, notamment en optant pour des ressorts et un amortissement mal adaptés à l’usage prévu de la moto. Pour une Kawasaki H2 SX SE – la moto dotée de la suspension la mieux calibrée que j’ai essayée récemment, et peut-être même dans toute ma vie – il y a bien des Yamaha MT-10, Kawasaki Versys et autres Suzuki V-Strom 1000 qui laissent place à l’amélioration. C’est d’ailleurs ce dernier modèle qui servira de cobaye pour cette expérimentation.
Le problème découle parfois d’une simple question de calibration des composantes. Certains manufacturiers, particulièrement du côté japonais, ont tendance à combiner des ressorts trop mous avec un amortissement trop ferme. On obtient alors le pire des deux mondes : une conduite vague et oscillante à haute vitesse (à cause de la mollesse des ressorts), et un roulement rude sur les grosses bosses (parce que l’amortissement en compression excessif ralentit trop sèchement les mouvements de la suspension).
Il peut également arriver que la calibration se rapproche de la perfection, mais que des composantes à bas prix viennent gâter la sauce. C’est le cas par exemple des fourches à tiges d’amortissement : même lorsque leur amortissement en compression lente semble bien calibré, ce design moins sophistiqué fait en sorte que le mouvement est rugueux. Parlez avec des experts et vous verrez rapidement que les fabricants ont trouvé de très nombreuses manières de rater leur coup côté suspension…
Il est intéressant de souligner qu’au cours de ses 18 années d’existence, la V-Strom 1000 a été successivement affectée par les deux problèmes que nous venons de décrire… Le modèle original – 2002 à 2010 environ – était muni d’une fourche avec ressorts ridiculement mous, ce que le fabricant tentait de compenser avec, vous l’aurez deviné, un amortissement en compression excessivement ferme. Les propriétaires, dont votre serviteur, ont essayé toutes sortes de traitements, notamment des valves Race Tech Gold et des ressorts plus fermes. (Quand, comme moi, on n’est pas un expert en suspension, il faut un certain temps pour se rentrer dans le coco que la solution pour un roulement plus souple passe souvent par des ressorts plus fermes.)
Les DL1000 de seconde génération étaient munies d’une suspension de série mieux calibrée. La tension des ressorts de fourche (0,75/0,95 kg/mm) et du monoamortisseur (540 lb/po) convient bien pour un pilote d’environ 80 kg (la plupart des spécialistes des suspensions utilisent le système métrique pour l’avant et impérial pour l’arrière). De plus, l’amortissement en compression (au moins en compression lente) fonctionne assez bien. Mais le problème réside dans la qualité des composantes intérieures, qui est vraiment décevante, pour ne pas dire pire.
Mais qu’est-ce que tu nous racontes là, David?, me demanderez-vous. Sur le nouveau modèle, on peut ajuster l’amortissement de la fourche en compression et en détente, de même que l’amortissement en détente du monoamortisseur et la précharge du ressort (avec une molette hydraulique). N’est-ce point là une preuve de sophistication?
En théorie, oui. Mais, comme bien des choses dans la vie, lorsqu’on y regarde de plus près, c’est-à-dire en les démontant, l’histoire peut changer… Les pièces internes de cette fourche sont plutôt basiques, et le design à peine supérieur à celui d’un système à tiges d’amortissement. Quant aux possibilités d’ajustement de l’amortissement, vous aurez beau jouer avec les molettes dans tous les sens, la différence de comportement demeurera minime. Pour l’ajustement en compression, l’effet est pratiquement imperceptible, même si on tourne la molette (en bas, près des étriers de freins) d’un extrême à l’autre. Passons maintenant à l’amortisseur arrière. En conduite solo, il faut ajuster la précharge du ressort presque au maximum. En pareil cas, si les routes ne sont pas en trop mauvais état (et que le pilote ne pèse pas trop lourd), la suspension se comporte très bien. Mais dès qu’on veut ajouter un passager et des bagages, ou rouler sur des routes défoncées, on voit les répercussions pratiques des composantes économiques installées par Suzuki. En plus, les solutions pour corriger la situation ne s’avèrent ni simples ni économiques.
La cartouche de fourche AK-20 de Traxxion Dynamics
Selon mes recherches en ligne, la première chose que font la plupart des motocyclistes pour recalibrer leur fourche est de recourir aux pièces de remplacement Gold Valve de Race Tech. Les gens se disent probablement que ça coûtera moins cher de remplacer des rondelles et des pistons que des cartouches complètes.
Malheureusement, je n’ai pas eu une bonne expérience avec ce fournisseur californien. Après avoir installé les pièces recommandées par Race Tech sur mon ancienne V-Strom, je me suis retrouvé avec une fourche tellement ferme que j’ai dû la démonter trois fois dans l’espoir de trouver la combinaison idéale de rondelles et d’huile pour garder la roue avant bien au sol sans transformer mes avant-bras en Jell-O. Ajoutez à cela le coût, le travail de démontage et les journées sans rouler qui en découlent, et l’économie initiale devient nettement moins intéressante. Si je me fie aux forums de discussion, il semble que très peu de propriétaires de V-Strom ont réussi à corriger le comportement de leur fourche du premier coup avec les produits Race Tech.
À l’opposé, j’ai eu d’excellents résultats avec les cartouches de remplacement AK-20 de Traxxion Dynamics. Le kit clé en main de ce fabricant comprend tout ce qu’il faut pour remplacer intégralement les composantes internes de la fourche : cartouches d’amortissement, ressorts calibrés en fonction de votre poids, nouveaux ajusteurs d’amortissement, deux pintes d’huile à fourche et quelques outils spéciaux pour faciliter l’installation. Les instructions sont claires et les bons bricoleurs pourront faire l’installation eux-mêmes.
Compte tenu de mon talent limité, j’ai demandé à John Sharrard, d’Accelerated Technologies, de faire le travail. Je l’ai observé et j’ai vu que tout a fonctionné comme sur des roulettes, sans modifications ni besoin de pièces supplémentaires. Chaque cartouche est spécifiquement adaptée et les outils fournis ont permis d’installer les capuchons de fourche particuliers de Traxxion.
Plus important encore, la calibration de base des ressorts et de l’amortissement était pratiquement idéale du premier coup. Dan Anderson, de Traxxion, avait déterminé que mon poids (environ 80 kg) exigeait un ressort de 0,90 kg/mm. (La plupart des fournisseurs de kits de remplacement pour fourches préfèrent des ressorts à résistance constante, plutôt que des ressorts à deux pas comme sur la V-Strom de série, parce qu’ils leur permettent de calibrer l’amortissement, particulièrement en détente, en fonction d’un paramètre fixe.) Une fois l’installation complétée et la précharge ajustée, il y avait seulement 2 mm de différence avec la hauteur recommandée, et Sharrard a estimé qu’il n’était absolument pas nécessaire de modifier l’amortissement en détente.
Sur la route, l’amélioration s’avère impressionnante. Avec les ressorts plus fermes, la réaction initiale sur les petites bosses est un peu plus perceptible, mais pour le reste, l’ensemble AK-20 améliore vraiment le comportement de suspension avant. De plus, ce gain de fermeté en début de course réduit la plongée au freinage, et l’efficacité supérieure de l’amortissement en compression lente réduit les mouvements indésirables en virages sportifs. L’amortissement en détente est également mieux contrôlé.
Toutefois, c’est en franchissant de grosses bosses que l’amélioration est la plus marquée. La fourche d’origine réagissait très sèchement aux situations de compression rapide. Avec le kit de Traxxion Dynamics, il suffit d’une courte randonnée sur une route cabossée pour apprécier la différence. Les trous et les bosses qui faisaient cliqueter le carénage et sautiller le pilote passent maintenant presque inaperçus. On aurait dit que les mauvaises routes avaient disparu. De quoi justifier la facture de 1099,95 $ US.
Le seul bémol concerne l’ajustement de l’amortissement en compression. Quand Traxxion livre un ensemble AK-20 destiné à des fourches d’origine non ajustables, l’ajustement en détente est installé dans le poteau de droite, et l’ajustement en compression dans le poteau de gauche. On les contrôle à l’aide d’une vis située en haut de chaque poteau. Toutefois, comme la V-Strom est équipée de série avec un dispositif d’ajustement de l’amortissement en compression, Traxxion a prévu un ajustement en détente en haut de chacun des poteaux de fourche, et conservé le dispositif d’origine pour l’amortissement en compression.
Or, comme je l’expliquais plus tôt, ce dispositif d’ajustement en compression livré de série est presque sans effet. J’ai fait des tests en enfonçant la fourche sans les ressorts : il était presque impossible de voir la différence de comportement du circuit de compression avec les deux vis ouvertes ou fermées au maximum.
Heureusement, toutefois, Sharrard a déniché une valve fabriquée par K-Tech qui résout le problème (numéro de pièce : KTK20K-FCV-KYB3). Conçue à l’origine pour les fourches Kayaba de certains modèles sport de Triumph, Kawasaki et Yamaha, elle se visse directement en place et chaque clic fait une différence bien perceptible. Simple et efficace, mais pas donnée : 185 $.
Je ne sais pas si d’autres marques ou modèles sont touchés par ce problème. Ce que je sais, par contre, c’est que si vous investissez temps et argent pour remplacer complètement les cartouches, il faut pouvoir profiter d’une véritable plage d’ajustement. En ce qui concerne les Suzuki DL1000 2014 à 2019, Traxxion est consciente de la situation et recherche une solution. Cela dit, le processus de transplantation a été un grand succès : facile à installer et très efficace pour corriger les défauts de la suspension d’origine.
L’amortisseur Touratech Typ High End
D’emblée, précisons que le monoamortisseur de série de la V-Strom 2018 est loin d’être aussi affreux que l’abominable modèle de la première génération. La tension du ressort se montre adéquate avec une seule personne en selle et, même si l’amortissement en compression pourrait être un peu plus ferme, le résultat final s’avère plus qu’acceptable pour la conduite en solo.
Par contre, comme je le disais également plus tôt, dès qu’on ajoute un passager dans l’équation, les limitations de l’amortisseur deviennent rapidement apparentes. L’ajustement de la précharge du ressort (qui a au moins le mérite d’être à commande hydraulique) est loin d’offrir assez de jeu pour compenser le poids supplémentaire. Même chose pour l’amortissement : tout juste suffisant en conduite solo, donc complètement dépassé quand on prend un passager et des bagages. La première fois que je suis passé prendre ma blonde pour une longue randonnée, nous avions fait à peine 400 mètres (dans les chemins défoncés de son Québec rural, je le précise tout de même) lorsqu’elle a déclaré qu’elle détestait cette suspension. Quand votre blonde vous propose de vous acheter un nouvel amortisseur en cadeau, vous savez que vous avez vraiment un problème de suspension…
L’amortisseur que j’ai – d’accord, que nous avons – choisi est le Typ High-End de Touratech (appelé Expedition sur le site américain) avec réservoir externe, ajustement à commande hydraulique de la précharge du ressort, et amortissement ajustable en détente ainsi qu’en compression lente et rapide. Le principal facteur qui m’a fait opter pour ce modèle est la plage d’ajustement de la précharge du ressort, qui s’étend sur 15 mm (65 clics!), soit passablement plus que les 8 ou 10 mm habituels des autres modèles haut de gamme. Il devenait alors possible d’opter pour un ressort souple tout en ayant beaucoup de jeu pour le raffermir afin d’accueillir Madame et ses bagages. Et effectivement, Touratech a installé un ressort avec exactement la même tension que celui d’origine, soit 540 lb/po (95 N/mm). Pour les pilotes de plus de 100 kg, il y a aussi un ressort de 570 lb/pi (100 N/mm).
Côté amortissement, l’amélioration est radicale. Tout comme Traxxion, Touratech calibre les amortisseurs en fonction de votre poids et de vos besoins; j’ai simplement adouci la compression rapide de deux clics, et je n’ai pas eu à modifier les deux autres ajustements.
La précharge demande un peu plus de travail. Lors de l’assemblage de votre amortisseur, le fabricant installe d’abord une butée de base pour établir la précharge initiale du ressort en fonction de votre poids. Le système d’ajustement hydraulique permet ensuite d’augmenter cette précharge en fonction du poids supplémentaire pour le passager et les bagages. Or, il y a une partie de ce processus qui est estimatif – car, oui, il y a des gens qui mentent à propos de leur poids même à leur fournisseur d’amortisseur… Donc, pour laisser un certain jeu, les fabricants ont tendance à placer la butée de base en position un peu plus lousse. Dans mon cas spécifique, Touratech avait resserré en usine l’ajustement hydraulique de 5 mm pour correspondre à mon poids déclaré. Ce qui signifie qu’il ne restait plus que 10 mm d’ajustement sur les 15 promis.
Ensuite, pour ajuster la précharge une fois l’amortisseur installé, Touratech recommande de viser un affaissement de 48 mm de la suspension arrière lorsque le pilote est en selle. Pour obtenir cette mesure, j’ai dû ajouter 2,5 mm supplémentaires à la précharge de base. Il ne me reste donc plus que 7,5 mm sur 15 comme plage d’ajustement. Lorsque j’aurai le temps, je me propose de retirer le ressort et de resserrer la butée de base de 7,5 mm. Ainsi, je vais pouvoir profiter des 65 clics et de toute la plage d’ajustement. Ce qui me permettra de maintenir un affaissement de base de 48 mm peu importe la charge.
Cela dit, le comportement sur la route de l’amortisseur Touratech est vraiment très bon. La douceur de roulement s’avère même légèrement supérieure à celle de la suspension avant et le cognement en fin de course dont se plaignait ma passagère préférée a été complètement éliminé. Il faisait trop froid cet automne pour évaluer pleinement la nouvelle suspension (de plus, comme tout lubrifiant, l’huile des amortisseurs épaissit quand le mercure descend), mais tout indique qu’il suffira d’un clic ou deux sur la molette d’amortissement en compression rapide pour obtenir un ajustement idéal.
Je recommande sans hésiter les amortisseurs Touratech. Quant au choix de la version, elle dépendra de votre modèle de moto et de l’intensité de vos aventures. Par exemple, comme Touratech fait un excellent travail de calibration de l’amortissement, je ne suis pas sûr que je choisirais la version High End pour un modèle passe-partout comme la V-Strom. La version de base Explore, sans ajustement de l’amortissement en compression, coûte 600 $ de moins que la High End (1295 $ au lieu de 1895 $) et elle s’avérerait probablement très semblable en matière de performance et de confort.
À l’opposé, pour le pilotage hors-route sérieux, au guidon d’une BMW R1200 GS ou d’une Honda Africa Twin, par exemple, je choisirais probablement la version Extreme. Elle offre les mêmes possibilités d’ajustement que la High End, mais elle est dotée d’une butée hydraulique de fin de course (au lieu d’un anneau de caoutchouc) et d’un dispositif d’ajustement de la hauteur qui permet de relever ou d’abaisser l’arrière sans changer la précharge du ressort. Cette version est cependant offerte seulement pour certains modèles et les prix débutent à 2300 $.
Somme toute, mon nouvel amortisseur Touratech est un produit haut de gamme, bien conçu, incroyablement robuste, et il a énormément amélioré le comportement de ma suspension arrière, même dans les routes les plus cabossées du Québec.