Harley-Davidson veut partir à la conquête du monde entier avec la Street 750
Il arrive que les fabricants de motos européens et japonais lancent des modèles à la hâte pour suivre une mode ou une autre. Ce n’est jamais le cas chez Harley-Davidson. Chez Harley, on apporte des nouveautés quand on décide qu’on est prêt à apporter des nouveautés. Point final. Ce trait de personnalité fondamental de l’entreprise a contribué à en faire une des marques les plus enviées et les plus solides de la planète, toutes catégories confondues. La Harley-Davidson Motor Company ne va pas vers le client, c’est le client qui va vers elle.
La contrepartie de cette approche, c’est que lorsque Harley arrive avec un nouveau type de moteur, c’est la consternation et l’hystérie au sein des fidèles de la marque. Dans les salons de la moto et ailleurs, nous avons entendu des inconditionnels dire qu’un arbre à cames ne devrait jamais être monté au-dessus d’un cylindre de Harley. Ce serait une trahison envers les ancêtres (grand-maman Panhead et mon’oncle Shovelhead). Le cas du V-Rod est éloquent à cet égard. Même aujourd’hui, des années après son lancement, ce modèle n’est pas accepté d’emblée dans la communauté Harley. Pourtant, son moteur est l’un des meilleurs de toute l’industrie motocycliste. Les amateurs devraient se réjouir qu’une compagnie aussi traditionaliste ait créé un engin aussi extraordinaire. Dans les bars de motards, on devrait rencontrer des gars de 250 livres qui boivent leur Budweiser avec un gros tatouage de V-Rod sur le bras. Mais ce n’est pas le cas.
Compte tenu de cette résistance au changement, nous avons été particulièrement intrigués quand la Harley-Davidson Street a été dévoilée au salon de la moto de Milan, à l’automne 2013. C’est la première nouvelle plateforme Harley depuis la V-Rod et son moteur V-2 refroidi au liquide est doté d’arbres à cames en tête. Mais ce qui est plus étonnant encore, c’est le marché visé par ce modèle. Offerte à prix économique, la Street sera vendue en Occident, mais elle n’a pas été créée d’abord pour ce marché : elle a été conçue pour être la première moto mondiale de Harley-Davidson. Bref, Harley veut proposer cette machine au monde entier.
Comme son nom l’indique clairement, la Street a été conçue en fonction de la conduite urbaine. Nous avons pu en essayer une l’automne dernier. Les premiers modèles devraient arriver officiellement au pays ce printemps.
Commençons avec le moteur, appelé Revolution X (Harley a toujours eu le don de trouver des noms accrocheurs pour ses moteurs). Ce V-2 de 749 cc n’est pas dans la même catégorie que le V-Rod, mais il démontre une fois de plus que Harley-Davidson est parfaitement capable de concevoir et de construire des moteurs absolument modernes. En conduite urbaine, la Street a toute la vivacité nécessaire pour se faufiler dans le trafic. Son moulin affiche une courbe de couple linéaire qui culmine à un niveau très respectable de 44,5 lb-pi, et la poussée à moyens régimes est impressionnante. Tout aussi important, le grondement qui sort du long silencieux noir est très réussi. Ce n’est pas le même son que celui d’un Harley V-2 classique à 45 degrés, mais il a un air de famille indéniable. Frank Savage, le directeur du design visuel de la firme, dit que la Street a l’âme d’une Harley-Davidson. Pour la sonorité, en tout cas, nous sommes d’accord.
En prenant place sur la machine, on remarque que la selle est basse (709 mm), large et bien rembourrée. Avec ses nombreuses pièces en acier (cadre, réservoir, garde-boue), elle est relativement lourde (222 kg), mais elle demeure étonnamment manœuvrable et bien équilibrée grâce à son centre de gravité peu élevé. Le levier d’embrayage exige peu d’efforts et la transmission à six vitesses est précise (par contre, elle a glissé de la deuxième au point mort à plusieurs reprises). La suspension est plutôt basique, mais elle est adéquate : une fourche de 37 mm (non ajustable) à l’avant, et une paire d’amortisseurs (avec précharge des ressorts ajustable) à l’arrière. Son débattement est cependant limité (89,5 mm), ce qui signifie qu’il est parfois préférable de faire un peu de slalom pour éviter les plus gros nids-de-poule.
La position de conduite place le torse en position plus verticale que sur la plupart des cruisers, mais les repose-pieds demeurent relativement avancés, ce qui augmente la charge sur le bas du dos. Le guidon tombe naturellement en main pour les personnes de taille moyenne (les pilotes très grands se sentiront cependant un peu à l’étroit).
Côté instrumentation et contrôles, la Street brille par sa grande simplicité. À l’intérieur du petit carénage de style café racer, on trouve un boîtier circulaire avec un indicateur de vitesse analogique et un petit écran à affichage numérique. Tout l’essentiel y est. En matière de freinage, par contre, on pourrait en demander plus. La Street se veut une machine de ville et, en ville, on est souvent appelé à utiliser les freins pour réagir aux chauffeurs de taxi erratiques, cyclistes impertinents, piétons lunatiques et autres imprévus. Or, les freins à simple disque (292 mm à l’avant, 260 mm à l’arrière) avec étriers à deux pistons manquent de puissance. Le mordant initial à l’avant est faible. Le levier arrière est spongieux et il faut l’enfoncer profondément avant qu’il ne réagisse. Il n’y a pas de système antiblocage (et il n’est pas disponible en option non plus).
Chose surprenante, le démarreur refusait parfois de mettre le moteur en marche. En jouant avec l’interrupteur d’urgence et la clé de contact à quelques reprises, le moulin finissait par démarrer, mais il fallait parfois s’y reprendre cinq ou six fois. Quand nous avons communiqué avec Harley-Davidson à ce sujet, on nous a répondu ne jamais avoir expérimenté ce problème, qu’il provenait peut-être d’une batterie insuffisamment chargée et qu’un concessionnaire autorisé serait en mesure de trouver la solution.
Questions mécaniques mises à part, la plus grande source de déception à propos de la Street, c’est sa qualité de finition. En faisant le tour de la machine, on remarque tout de suite un manque d’attention aux détails, comme de longs faisceaux de fils électriques exposés, et les protecteurs de fourche en caoutchouc qui commencent déjà à se décolorer. Cela est d’autant plus décevant que Harley-Davidson nous a habitués à un niveau de finition extrêmement élevé, avec ses peintures au fini particulièrement riche et ses chromes au lustre impeccable. Pourtant, les Street destinées à l’Amérique du Nord sont fabriquées à Kansas City au Missouri (pour d’autres marchés, elles sont fabriquées dans l’usine Harley-Davidson de Bawal, en Inde).
La Street sera offerte à 8999 $. Il faut donc tenir compte du fait qu’elle vise la catégorie des machines dites « économiques ». (La Street 500, propulsée par un moteur de 494 cc, sera vendue à 8199 $.) Mais une moto économique n’est pas nécessairement synonyme de qualité inférieure. La Yamaha Bolt est vendue au même prix et son niveau de finition est plus élevé.
Les fabricants japonais, européens, et même d’autres marques américaines essaient depuis longtemps de saisir l’essence de ce qui fait une Harley-Davidson traditionnelle. Quant à Harley elle-même, avec sa V-Rod, elle a bien réussi à se renouveler tout en conservant son essence et son esthétique caractéristiques – on peut ne pas aimer la V-Rod, mais c’est incontestablement une power cruiser qui vise dans le mille. La nouvelle Street, pour sa part, affiche un look qui semble s’écarter du parcours esthétique presque sans faute de la firme de Milwaukee quand vient le moment de lancer un nouveau modèle.
Aucune autre marque (à part peut-être les Triumph des années 1950 et 1960) ne réussit à positionner le réservoir d’essence de façon aussi brillamment esthétique au-dessus du moteur. Même le prototype de moto électrique de Harley s’est immédiatement imposé comme la plus belle machine électrique jamais présentée. Comment se fait-il alors qu’une compagnie avec tant d’excellents designers ait créé cette Street? Son réservoir a l’air étrangement soulevé à l’arrière, comme s’il était mal fixé. Son train arrière élargi accentue le fait que le train avant est trop maigrelet. Le carénage joufflu crée une masse qui attire trop l’attention vers le haut. Les fausses ailettes de refroidissement des cylindres semblent avoir été ajoutées comme pour s’excuser d’avoir produit un moteur refroidi au liquide.
Il sera intéressant de voir comment la Street se débrouillera sur les marchés mondiaux. Bien sûr, une machine avec le logo Harley et un prix de vente alléchant a de bonnes chances d’attirer la clientèle. Mais est-ce que ce sera suffisant? Nous croyons que la Street constitue un bel effort de la part de Harley-Davidson pour sortir de sa zone de confort, mais elle a des défauts. Toutefois, nous croyons également que l’entreprise américaine centenaire a tout ce qu’il faut pour corriger le tir, et qu’elle visera nettement plus près du mille à son prochain essai.
Harley-Davidson Street 750
Fiche technique
Modèle: Harley-Davidson Street 750
Prix: 8999 $
Moteur: V-2 refroidi au liquide
Puissance (annoncée): ND
Couple (annoncé): 44,5 lb-pi à 4000 tr/min
Cylindrée: 749 cc
Alésage et course: 85 x 66 mm
Rapport volumétrique: 11:1
Alimentation: Injection
Transmission: 6 vitesses
Suspension: Avant : fourche télescopique de 37 mm
Arrière : 2 amortisseurs, précharge des ressorts ajustable
Empattement: 1534 mm
Chasse/déport: 32º/115 mm
Freins: Avant : disque de 292 mm, étrier à 2 pistons
Arrière : disque de 260 mm, étrier à 2 pistons
Pneus: Avant : 100/80-17. Arrière : 140/75-15
Poids (annoncé): 222 kg
Hauteur de la selle: 709 mm
Réservoir: 13,1 L
Consommation: 6,5 L/100 km
Autonomie: 202 km