Quand on veut s’évader pour rouler sportif – ou contemplatif – pendant plusieurs jours de suite sur des belles routes de montagne sinueuses, on pense souvent à la Nouvelle-Angleterre. Mais, plus à l’ouest, dans le nord de la Pennsylvanie, il y a aussi des routes extraordinaires pour la moto.
Quand on déplie les cartes de Pennsylvanie, toutefois, on s’aperçoit rapidement que les possibilités de trajet peuvent vite devenir très complexes. Le nord de l’État est couvert de petites lignes sinueuses qui correspondent à autant de routes qui suivent les crêtes et les vallées des monts Allegheny. Pour planifier une randonnée, il faut faire un bon travail de planification préalable.
Sauf si vous décidez d’aller rouler avec Seymour Trachimovsky. Seymour guide des groupes de motocyclistes à travers la Pennsylvanie depuis la fin des années 1990. Au total, il a fait plus d’une centaine de randonnées. Pendant la belle saison, il organise une dizaine de longs weekends sur les routes pennsylvaniennes. Très peu de gens connaissent ce terrain de jeu aussi bien que lui.
Mais Seymour n’accepte pas n’importe qui dans ses randonnées. Cet avocat n’a aucune patience pour les prima donnas, les chialeux ou ceux qui roulent en fou. Comme il le dit lui-même : On n’accepte pas de trous de cul dans nos groupes… Son mode de sélection semble très efficace puisque personne ne s’est jamais fait arrêter pour excès de vitesse et que personne n’a jamais été blessé sérieusement.
Si vous n’avez jamais roulé en montagne, il faut l’apprivoiser avec prudence, explique Seymour. Une fois, on a eu un gars trop téméraire qui a détruit sa Gold Wing toute neuve dans un arbre. Lui, il est atterri dans la pelouse et s’en est bien tiré. Quand je suis allé le voir à l’hôpital, je lui ai dit : il paraît que tu vas mourir… Seymour sourit : Ça m’est sorti tout seul…!
Après s’être assuré que je n’étais pas un trou de cul, Seymour a accepté de me prendre pour une randonnée de quatre jours avec quelques-uns de ses compagnons de route les plus fidèles : Darren, sur une CBR1000RR, Roy et Bill, chacun sur une Gold Wing, Jonny sur une FJR1300, et Dan, un collègue de bureau de Seymour, sur une Harley-Davidson Fat Boy. Quant à Seymour, il roule sur une BMW F800GS.
Nous entrons en Pennsylvanie par le nord, à Genesee. Le plan est d’aller rouler principalement dans la portion centre-nord de l’État, là où on trouve les plus belles routes. Cette région, d’une centaine de milles de largeur et d’environ 80 milles en hauteur, est bordée par l’État de New York au nord, la ville de Clark Summit à l’est, et la route 666 à l’ouest.
Au restaurant Sylvania, à Ulysses, Seymour et ses amis m’expliquent les règles de base de la conduite en Pennsylvanie. J’essaie d’être attentif, mais je suis distrait par l’étrange collection d’animaux empaillés qui nous entourent. Est-ce vraiment un babouin avec une casquette de baseball que j’aperçois là-bas? Les routes de Pennsylvanie sont très bien indiquées, explique Seymour. J’essaie de choisir celles qui ont un numéro SR (pour State Road) à quatre chiffres. Et vu que le nom des routes change constamment, ce numéro est très utile. Google Maps a commencé à les indiquer.
Gold Wing Bill explique : Les vitesses sont bien indiquées et elles sont fiables. Si tu peux prendre une courbe en particulier à 35, tu pourras aussi prendre la suivante à 35. Seymour acquiesce et il ajoute : En général, on peut prendre les virages au double de la vitesse indiquée si on veut vraiment pousser. Ce qui est vraiment bien en Pennsylvanie, c’est qu’on peut constamment passer d’une belle route à une autre belle route… Même les chemins qu’on prend pour relier les différents secteurs sont agréables.
En remontant en selle, nous prenons la 287 vers le sud, puis la 414 vers l’est. C’est une belle route dégagée avec de beaux grands virages et des côtes à pic. La conduite est enivrante et on a envie de rouler vite, mais je me suis fait surprendre quelquefois par des virages serrés, juste en haut d’une montée.
Les chevreuils constituent une autre raison d’y aller mollo. Seymour s’est presque fait accrocher par un petit qui sortait d’un champ de maïs en gambadant.
Notre destination pour ce soir est la petite ville de Clark Summit. C’est un des quelques points d’ancrage intéressants de la région. Plus à l’ouest, Seymour recommande Williamsport et State College, à la fois pour l’emplacement et pour la qualité des hôtels et des restaurants. Il y a beaucoup de gens qui s’arrêtent à Coudersport ou à St. Mary’s, mais il n’y a pas de bons restaurants là-bas. Encore plus à l’ouest, il y a le Royal Inn de Ridgeway.
Le lendemain, nous pointons au sud, puis vers le nord-est par la 507 en direction de la rivière Delaware, puis vers l’est par la 590. Nous arrivons dans l’État de New York en empruntant le pont Roebling. Conçu et construit en 1847 par John A. Roebling (le concepteur du pont de Brooklyn), ce pont – anciennement un canal d’aqueduc – est le plus ancien pont suspendu par câbles des États-Unis.
Les routes qui suivent une rivière sont souvent intéressantes, et la NY-97 ne fait pas exception. Mais le clou de la journée, c’est la route de Hawk’s Nest. Elle est située à quelques milles à l’extérieur de Port Jervis, à la frontière avec le New Jersey. C’est un chemin taillé dans le roc avec une enfilade de courbes serrées et rapprochées. La conduite est exigeante, mais c’est un endroit magnifique. Cette route apparaît dans des dizaines de films et de publicités pour les automobiles.
Après une autre nuit à Clark Summit, nous nous préparons pour la pièce de résistance de cette randonnée : la 125, une route à la réputation presque aussi forte que la Queue du Dragon en Caroline du Nord. Aujourd’hui, nous naviguerons en nous fiant à ce que les gars du groupe appellent le SPS, le Seymour Positioning System. Plusieurs participants sont de fervents adeptes du GPS, mais Seymour préfère utiliser sa mémoire, et il se trompe rarement. Sa connaissance des routes locales est impressionnante et, en plus, il est muni d’un ensemble de cartes routières incroyablement précises, publiées bien avant l’arrivée de Google par le Pennsylvania Department of Transportation. Chaque carte est aussi grande qu’une table de salle à manger. Pas toujours facile à manipuler, mais c’est la meilleure façon de découvrir les plus petites routes. J’en garde toujours une copie dans mes valises. C’est donc en suivant de mémoire un enchevêtrement de routes à quatre chiffres que Seymour nous emmène à l’extrémité sud de la 125, un peu à l’ouest de l’intersection entre l’autoroute 81 et la route 209.
Nous sommes ici dans le comté de Northumberland, au cœur des immenses gisements de houille de Pennsylvanie. La route tourne, elle monte sur des sommets ondulants remplis d’anthracite, elle redescend dans les bassins forestiers et elle remonte à nouveau. De vallées en montagnes en vallées, nous franchissons ainsi les monts Sharp, Broad, Mahantango, Line et Mahanoy. C’est la conduite moto à son meilleur.
Après deux jours, la dynamique de notre petit groupe est établie. Seymour roule en tête jusqu’à ce que nous arrivions dans les sections sinueuses. Il fait alors un signe de la main à Darren, qui bondit en avant sur sa CBR1000R. Je prends la deuxième place, propulsé par la puissance brute de la BMW K1600GTL que je pilote pour cette randonnée. Jonny est troisième sur sa FJR, suivi de Seymour et des deux conducteurs de Gold Wing. Ces deux-là réussissent à maintenir le rythme de façon impressionnante sur leurs grosses machines de tourisme malgré la présence de courbes très serrées. Dan ferme la marche sur sa Harley, et on entend au loin l’écho de ses marchepieds qui frottent sur l’asphalte.
À part Dan et moi, les gars de ce groupe roulent fréquemment ensemble. Ils ne se voient pas beaucoup autrement, c’est vraiment la moto qui les lie. Ils ont tous rencontré Seymour par l’entremise d’amis motocyclistes, ou par des amis d’amis. Roy sur sa Gold Wing explique qu’il a longtemps été à l’emploi d’une centrale nucléaire en Ontario et qu’il a fini par absorber une dose potentiellement mortelle de radiations. On lui a offert de prendre sa pleine retraite à l’âge de 50 ans. Douze ans plus tard, il semble avoir une santé de fer, et il passe une bonne partie de ses loisirs à accumuler les kilomètres sur deux roues à travers l’Amérique du Nord.
Le soir, nous dormons à State College. Pour cette dernière journée, Seymour nous suggère de passer par Wykoff Run, une section de route de 9 milles qui suit une petite rivière dans une vallée forestière très sauvage. Il n’y a pas de changements d’élévation aussi prononcés que sur la SR125, mais les virages sont plus prévisibles et la conduite est rapide et fluide.
Seymour a le don de dénicher des routes où il y a très peu de circulation, et celle-ci ne fait pas exception. Il explique par exemple que la route de la rivière Clarion, au sud de la forêt nationale d’Allegheny, est bien connue des habitants du coin. Mais on dirait qu’ils ne savent pas qu’à l’est de la 899, il y a une route trois fois plus longue et beaucoup plus intéressante. La route de l’ouest est embouteillée de tentes-roulottes et de motocyclistes à la queue leu leu. À l’est, il n’y a personne, la route suit la rivière tout le long et il n’y a pas d’arbres pour bloquer la vue.
Un peu plus tard, je me décide à poser à Seymour une question qui me trotte dans la tête depuis quelques jours. Ça ne le dérange pas qu’on publie la description de certaines de ses routes favorites? Monsieur Trachimovsky me répond sans hésiter : Ça me fait plaisir de partager mes routes. Allez-y. Profitez-en!