Les modes nous arrivent souvent d’outre-mer et mettent de moins en moins de temps à nous influencer. Si dans le domaine musical une génération dénigre constamment ce que la précédente vénérait, dans le monde de la moto… ça se passe exactement de la même façon! Et qui dicte les nouvelles tendances? Historiquement, les jeunes ont toujours influencé les manufacturiers. Je dis les jeunes, mais en fait, il s’agit des jeunes d’une seule époque, les bébé-boumeurs pour qui l’industrie a toujours livré la marchandise même si quelquefois la logique n’y était pas. C’est ainsi que nous avons vu les customs s’engraisser au point de devenir des obèses morbides! Aujourd’hui, une nouvelle génération de jeunes s’intéresse à la moto. Comme pour la musique, ils ne veulent surtout pas de ce que leurs parents ont roulé ou possèdent encore! Ils veulent une moto personnalisée qui leur ressemble – sans devoir s’endetter jusqu’au cou – et surtout une monture qui ne sera pas plus lourde que leur automobile! Cette nouvelle vague d’amateurs de motos constitue la clientèle toujours grandissante de Hardcore Cycle, à Donnacona en banlieue de Québec. J’avais rencontré Patrick Dessureault, le proprio de l’atelier, lors de la Gentlemen’s ride en septembre dernier (voir Moto Journal janvier 14). Son arrivée au lieu de rendez-vous, alors qu’il était accompagné d’amis au guidon de huit de ses créations, avait créé tout un effet. Pilotant sa « Treize », une bobber à base de Yamaha XS650, sans contredit sa préférée, il arborait un sourire d’une oreille à l’autre sous sa barbe digne de ZZ Top! Il faut dire que si vous désirez passer inaperçu, ne demandez pas à Patrick de vous construire une moto… Comme il le dit si bien : « Les projets qui me stimulent le plus sont ceux où le client me donne carte blanche. » Tenez-vous-le pour dit!
C’est donc par un frisquet samedi de janvier que nous sommes allés rencontrer Patrick et sa conjointe Marjorie qui s’occupe des tâches bureaucratiques et qui terminera bientôt une formation en soudure, ainsi que Karl Boulanger, responsable de la promotion de l’atelier.
En entrant chez Harcore Cycle, les motos rendues à divers stades dans leur processus de métamorphose attirent bien sûr notre attention, mais le décor nous frappe encore plus. Il y a d’abord toutes les pièces superflues des projets réalisés qui serviront peut-être un jour sur une autre moto. Accrochée au plafond, une amusante collection de casques metal flake – qui étaient à la mode dans les années 70 – côtoie des réservoirs de la même époque qui n’attendent qu’on fasse appel à eux. Des feux de circulation, dont toutes les couleurs sont allumées en même temps, semblent nous dire qu’ici, il n’y a pas de restriction à votre imagination. L’objet le plus inusité, trônant lui aussi au plafond, est sans contredit un chopper à pédales d’une telle envergure qu’il ne peut être installé sur un support à vélo en arrière d’une auto tellement il dépasserait de chaque côté! Que fait ce singulier engin à pédales? Éric Morin nous en raconte l’origine dans l’encadré en bas de page.
Entrevue avec Patrick Dessureault
Patrick, parle-nous un peu de tes débuts.
J’ai commencé dans le domaine des deux roues en fabriquant des choppers chromés à pédales pendant trois ans, mais étant donné la clientèle restreinte je me suis tourné vers autre chose. J’ai suivi un cours de mécanique industrielle et travaillé quelques années en usine. Ensuite, je me suis initié aux motos durant les soirs et les fins de semaine en travaillant sur le petit bobber (le projet d’Éric Morin) de là la piqure! Après, tout s’est déroulé rapidement, j’ai obtenu mon permis moto, moi qui n’avais jamais piloté ces engins! De là est né Hardcore Cycle et j’y travaille depuis deux ans à temps plein (j’avais commencé un an auparavant à temps partiel).
Comment t’approvisionnes-tu en « matière première »?
J’ai arrêté de chercher, habituellement les motos viennent à moi! Les gens rencontrés dans les salons m’appellent et m’offrent leur moto. Parfois, les gens surestiment la valeur de leur fidèle monture. Avec le temps, j’ai appris à connaitre les modèles intéressants et surtout ceux présentant le meilleur potentiel pour mes projets.
Justement, quelles sont tes motos de prédilections?
J’aime beaucoup les bicylindres d’avant 1980. Pour leur simplicité bien sûr, mais aussi en raison de leur format compact permettant de garder la moto la plus petite possible. La géométrie des cadres de ces engins était également beaucoup plus facile] à modifier. Les roues à rayons équipant les motos de cette époque étaient de bonne qualité et leur donnaient du caractère.
Ça t’arrive quand même de travailler avec des motos, disons, un peu plus limitatives…
Tu veux parler des vieilles Virago? Oui, c’est un beau défi, mais l’entrainement par cardan nous empêche d’installer un pneu de dimension moderne. Par contre, une fourche de GSX-R s’insère comme si elle avait été pensée pour aller là!
Tu donnes dans plusieurs styles!
Oui, je fais vraiment la moto que le client me demande. Que ce soit des bobbers, brats, café racers et même scramblers, les souhaits des clients sont toujours exaucés!
Côté moteur, quelles modifications apportes-tu?
Beaucoup de motos que je personnalise ont moins de 20 000 kilomètres à l’odomètre, elles ne sont donc pas au bout de leur vie. Elles bien conçues mécaniquement, ça ne sert à rien de vouloir trop les modifier. J’aime que mes motos soient fiables, je veux qu’on puisse partir et aussi revenir dessus!
Habituellement, j’essaie de toucher le moins possible à la mécanique. Lorsque j’achète les motos qui serviront de base au produit fini, je m’assure que la mécanique est en bon état. Je change les roulements de direction, je refais les carburateurs. En fait, j’effectue une vérification complète, mais rien n’est modifié en fonction des hautes performances. De toute façon, mes clients ne recherchent pas des performances de moto super sport… Ils désirent une machine qui sort de l’ordinaire.
Comment déniches-tu tes clients?
Par le passé, le bouche-à-oreille a suffi, mais pour l’avenir, Karl – spécialiste de la promotion – devrait apporter suffisamment d’eau au moulin! Idéalement, nous aimerions produire des motos complètes qui seront mises en vente au début de l’été.
Certains clients arrivent avec un dossier de plusieurs pages pour leurs exigences, beaucoup de détails.
D’autres sont indécis, alors je leur demande s’ils me font confiance, la réponse étant affirmative, je ne les déçois jamais! Penons la Triumph avec Jimmy Hendrix sur le réservoir, le client est un amateur de musique et ne m’avait donné qu’une seule restriction : la moto devait être verte. Voilà le résultat!
Quelles sont les caractéristiques qui font que tes motos se démarquent de la masse?
Pas beaucoup de chrome… Non, le moins possible! Ce qui était en vogue pour les boomers ne l’est plus pour la nouvelle génération de motocyclistes. Je fais « déchromer » les pièces!
Qui s’occupe des peintures sur tes motos?
C’est Yvon Cameron de Saint-Basile, il est spécialisé dans l’application de revêtement en poudre depuis plus de trente ans…
Combien de temps investis-tu en général sur chaque moto?
On parle d’un total variant entre 100 à 150 heures d’ouvrage sur deux mois, tout dépendant des exigences du client.
Un regret?
Mes motos ne sont pas assez identifiées, je dois me trouver une signature, un trait de caractère unique qui ne jurera pas avec le design de la moto. Dans l’article de la Ride des gentlemen, plusieurs motos sortent de mon atelier, mais personne ne peut les identifier facilement. Je suis trop souvent subtil avec mon logo! Mes motos sont des sculptures, tu ne vois jamais un gros logo sur une peinture, c’est ma vision…
Est-ce que tu as déjà refusé une commande?
Non, pas encore!
Est-ce que tu gardes un registre de ce qui entre dans la composition de tes motos?
Oui, tout est détaillé, chaque pièce, chaque mesure de modification. Si le client veut apporter une modification plus tard, il faut savoir d’où proviennent les pièces. J’aime beaucoup faire moi-même mes guidons. Les modifications que j’effectue sur les motos sont toutes garanties un an. En deux ans, j’ai réalisé une quinzaine de projets complets. Plusieurs modifications partielles viennent s’y additionner.
La réalisation qui te rend le plus fier?
Incontestablement ma Treize! Elle est à mon gout de A à Z. Personnellement, je préfère fabriquer des bobbers, mais pour une utilisation de tous les jours les café racers ont la cote.
Combien un client doit-il s’attendre à débourser pour acquérir l’une de tes motos?
En moyenne, une moto complète se détaille autour de 6 000 $
Éric Morin, le chum qui a tout déclenché…
Parfois, la vie met sur notre chemin des gens qui changent notre destinée. Dans le cas présent, Éric Morin, qui a rencontré Patrick il y a de ça quelque années, à l’époque où ce dernier modifiait des camions. Ayant fraichement eu la piqure de la moto, Éric voulait s’en monter une à son gout, mais ne disposait pas d’un atelier. Patrick lui proposa le sien. Ayant une bonne idée de ce qu’il voulait comme moto, mais n’ayant pas vraiment les capacités techniques pour mener à terme son projet, Éric se tourna vers son ami pour que finalement sa moto ressemble à ce qu’il avait imaginé… Plus le projet avançait, plus Patrick trouvait sa vocation, laissant libre cours à son imagination pour arriver au résultat escompté. Tellement que tandis qu’il travaillait sur la XS650, il se dénicha une Honda CB900 pour entreprendre un autre projet! « Ce qui m’impressionne le plus chez Pat, c’est sa capacité à générer un produit intéressant avec peu ou pas de budget, son imagination n’a pas de fin! Si la pièce n’existe pas, il va la machiner et le résultat est impeccable. Une fois ma moto complétée, nous l’avons amenée au Festival du cochon de Sainte-Perpétue où elle a fait sensation. Devant cet engouement, Pat décida de lâcher son emploi et de se consacrer aux motos à temps plein. Le marché pour ce type de moto n’était qu’au stade embryonnaire à l’époque, il fallait une bonne dose de courage! Je suis fier d’avoir pu contribuer à ce qu’il trouve sa vocation. Longue vie Hardcore Cycle!