Kawasaki redéfinit la ZX-10R 2008 pour en faire une dévoreuse de piste plus rapide, mais surtout plus sophistiquée.
Mes yeux quittent le présentateur pour se diriger vers la fenêtre qui donne sur le désert du Qatar. La sensation de sécheresse est si profonde que j’en ai la chair de poule et la bouche sèche, tellement j’anticipe une grande chaleur. J’ai de la difficulté à me concentrer, car les journalistes italiens assis derrière moi parlent fort et vite, mais je me contiens.
La salle remplie de journalistes est silencieuse (hormis les Italiens), chacun essayant de comprendre pourquoi quelque chose qui a l’air d’un antipatinage n’est pas un antipatinage selon le présentateur. Je pense alors au vieux proverbe : si quelque chose ressemble à un canard, marche comme un canard et fait le bruit d’un canard, c’est probablement un canard. La gestion électronique de l’allumage Kawasaki (KIMS) n’est pas un antipatinage, nous explique-t-il, parce que vous pouvez tout de même faire un « highside » avec la moto si vous êtes trop zélé. Je me penche alors vers l’avant sur ma chaise; je ne pourrai pas garder les gaz ouverts à fond sans conséquence, comme je l’espérais avant de venir. Cela va être comme avec n’importe quelle autre moto; je dois compter sur mes habiletés et cela me rend nerveux. Juste avant que nous ne quittions pour le paddock, une dernière requête du présentateur. « Signez l’abandon de recours s’il vous plaît, dit-il, juste au cas où. »
Les circuits canadiens, à l’exception de Mosport avec sa longue ligne droite, ne sont pas adaptés pour les motos sport de grosse cylindrée. Vous avez à peine le temps d’accélérer qu’il faut déjà freiner, mais le circuit de Losail est différent. La ligne droite avant est assez longue pour y poser un jet, et la surface, à l’abri des gels et dégels, ne montre pas de raccords, qui sont la marque de commerce des circuits canadiens. S’il convient pour le MotoGP, je pense qu’il devrait me convenir, me dis-je en enfilant mon casque et mes gants.
Pendant ma première séance sur le circuit, j’essaie encore de comprendre le fonctionnement du KIMS, bien qu’une conversation avec les ingénieurs m’ait un peu aidé à percer son mystère. Le système électronique surveille la vitesse de rotation du moteur, la position de l’accélérateur, la vitesse de la moto, le rapport engagé, la température et la pression de l’air d’admission, la température du moteur et, surtout, les changements dans la vitesse de rotation du moteur pendant les accélérations. Selon Kawasaki, si un changement soudain et important dans la vitesse de rotation du moteur est détecté, l’allumage est modifié pour réduire la vitesse de rotation du moteur. Kawasaki indique que si le pilote ouvre les gaz agressivement, le système suppose que le pilote sait ce qu’il fait et il n’intervient pas. Mais si le système détecte une pointe dans le régime moteur alors que l’ouverture des gaz est constante, ce qui veut dire que la roue patine et qu’il y a une perte d’adhérence, il pense que vous êtes dans le trouble et il intervient. Par exemple, si vous êtes en dérapage de la roue arrière pendant une accélération en sortie de courbe et que la vitesse de la roue arrière augmente soudainement, ce qui indique une perte d’adhérence, ou encore plus typiquement que vous êtes rendus dans le gravier.
Depuis la ZX-6R de l’an dernier, il semble que Kawasaki ait modifié son approche par rapport aux motos sport. Auparavant, ils étaient fiers d’offrir des machines agressives pour les drogués d’adrénaline – la dernière ZX-10R était pointue et sa tenue de route nerveuse –, mais cela leur a apporté des succès limités sur les circuits (à l’exception, bien entendu, du championnat Superbike Parts Canada, où Jordan Szoke a gagné les titres 600 et Superbike pour les deux dernières années). Ce qui fait le succès des autres marques dans les championnats, c’est une puissance prévisible et contrôlable incorporée dans un châssis qui donne du feedback et permet au pilote de savoir précisément ce qui se passe entre le pneu et l’asphalte. Je pense que Kawasaki a finalement réalisé que les bandes de puissance pointues et les tenues de route nerveuses ont disparu avec les moteurs deux-temps.
Le poste de pilotage est bien conçu avec une section étroite à l’avant du siège et un réservoir à essence mince entre les genoux, ce qui permet de bien se déhancher dans les virages. Le haut du réservoir permet tout de même de poser son coude pour se reposer. Le grand tachymètre analogique est facile à lire à haute vitesse, mais l’indicateur de vitesse numérique au centre est terne, surtout pour un rapide coup d’œil à haute vitesse – ce qui est peut-être préférable, car la Kawasaki est, comme toutes les 1000, furieusement rapide. Ce qui accélère doit ralentir et la Kawasaki est équipée d’étriers radiaux Tokico avec des disques onduleux à l’avant, qui offrent non seulement une grande puissance de freinage, mais aussi un bon feedback et une bonne progressivité, caractéristiques désirables sur une moto qui accélère autant que la ZX-10R.
Le siège plus court annoncé par Kawasaki ne semble pas perceptible, mais la bosse entre l’avant et l’arrière du siège aide vraiment à vous garder en place pendant l’accélération jusqu’à 270 km/h sur la longue ligne droite (les plus téméraires se rendent jusqu’à 285 km/h) et permet de conserver les bras moins tendus. Ce qui est nécessaire, car l’accélération est si forte que le pneu avant frôle à peine le sol jusqu’à 200 km/h, et des bras détendus évitent de faire osciller inutilement le guidon. Autant le moteur est puissant, autant il est beaucoup plus civilisé que son prédécesseur.
« Nous voulions un ensemble très communicatif qui permet un dialogue entre le pilote et sa machine », dit Kawasaki. Le design du châssis est assez complexe pour y perdre son latin. Bien entendu, un mélomane n’a pas besoin de comprendre le fonctionnement d’un violon pour apprécier sa musique, tout comme il n’est pas nécessaire pour le pilote de maîtriser tout le jargon technique; ce qui compte, ce sont les sensations, et dans ce domaine, Kawasaki a réussi. Après quelques courbes, on s’habitue à la moto et la stabilité est excellente, même avec l’amortisseur de direction Ohlins d’origine réglé à son plus souple.
Le circuit de Losail, en plus de sa longue ligne droite et de ses courbes à haute vitesse, offre des virages qui se prennent en deuxième, dans lesquels la ZX-10R plonge avec une facilité déconcertante. Pour une moto d’un litre, la ZX semble agile, peut-être en raison de son vilebrequin allégé d’un kilo qui diminue l’effet gyroscopique, mais aussi surtout en raison de l’abandon du lourd silencieux placé sous la selle. Même s’il est devenu une mode de style après le lancement de la Ducati 916, le placement du silencieux sous la selle, une pièce lourde placée en haut et vers l’arrière, répond mal aux lois de la physique. La nouvelle configuration du silencieux permet aussi de ne plus se brûler les fesses. Le nouvel échappement, qui est plus léger en raison d’un raccourcissement des tuyaux, contient une préchambre sous le moteur et un silencieux triangulaire qui sort en bas du côté droit.
J’avoue ne jamais avoir vraiment apprécié l’ancienne ZX-10R, car elle exigeait un niveau de pilotage que je n’étais pas en mesure de lui offrir. Mais cette nouvelle moto est beaucoup plus accessible. Losail a une courbe à droite rapide qui me frustre toute la journée, car je ne parviens jamais à l’évaluer correctement, quel que soit le nombre de passages que je fasse. Arrivé au milieu, je réalise toujours que je suis entré trop lentement et je suis exaspéré jusqu’à ce qu’un collègue me fasse réaliser ce qui aurait dû être évident. La vitesse, lorsque vous commencez à pencher dans cette courbe, est de plus de 200 km/h, et pendant que je me demande si les hôpitaux du Qatar sont fiables, la ZX continue de filer comme un train sur son rail. Avant la fin de la journée, j’essaie d’amorcer cette courbe une dernière fois avec une plus grande vitesse. Je rejoins l’apex et je ressors sur la limite extérieure du circuit, et pendant que je suis si penché que mon coude frôle presque le sol, la ZX reste totalement stable et prévisible.
Et puis, le fameux système KIMS ? Pour être franc, je n’ai jamais remarqué sa présence, et selon mon rapide sondage, les autres essayeurs non plus. Cela ne veut pas dire qu’il ne fonctionne pas – peut-être qu’il faut être en situation de crise pour le remarquer –, mais le meilleur avec la ZX-10R, c’est qu’elle est suffisamment raffinée pour que vous ayez peu de chance d’avoir besoin du secours de l’électronique.
La ZX-10R décortiquée
Kawasaki a redessiné sa grosse supersport avec l’intention de la rendre plus conviviale et coopérative pour le commun des mortels. Côté moteur, la moitié supérieure du carter de moteur et le cylindre sont maintenant coulés en une seule pièce, le bénéfice annoncé étant une perte de poids (0,9 kg) et une plus grande rigidité (curieusement, Honda a fait le contraire avec la nouvelle CBR1000RR). Le vilebrequin est également plus léger, bien que l’inertie demeure la même. Côté admission, des ports redessinés fonctionnent avec de nouvelles cames à plus grande levée, ainsi que des corps de papillon et des tuyaux d’admission à coupe transversale ovale, une boîte à air surdimensionnée et des conduits d’admission ram air redessinés. L’augmentation du flux d’air est complémentée par l’addition de nouveaux injecteurs d’essence secondaires afin d’améliorer la puissance à haut régime et assurer une livraison de puissance plus régulière.
Les soupapes sont maintenant faites de titane pour un poids réduit et les chambres de combustion ont été modifiées pour en améliorer l’efficacité en réduisant la taille des soupapes d’échappement (de 25,5 à 24,5 mm) qui amènent les gaz usés dans des orifices d’échappement redimensionnés (plus étroits au milieu et plus larges à l’ouverture) et à un nouveau système d’échappement monté bas (avec une préchambre sous le moteur « à la Buell » qui réduit les bruits d’échappement et permet de restreindre la taille du silencieux). Cette nouvelle configuration, en plus d’abaisser le centre de gravité, est censée améliorer l’efficacité du débit. Un catalyseur permet à la 10R de rencontrer les normes d’émission Euro-3.
La diminution de la friction était également l’une des priorités du nouveau design, les résultats étant un changement du ratio de réduction de la pompe à huile et un nouveau design de la turbine de la pompe à eau (comme la ZX-14). La puissance est transmise par un embrayage à glissement ajustable et une transmission à six vitesses où les rapports de vitesse de la première, quatrième et cinquième vitesse ont été réduits pour mieux cadrer avec les nouvelles caractéristiques de puissance. Enfin, un pignon arrière plus large d’une dent (ratio de réduction finale de 17/41) améliore l’accélération.
La 10R reçoit un nouveau cadre qui, comme le veut la pratique courante dans l’industrie, a été redessiné pour « optimiser » la rigidité. De plus, la tête de direction est maintenant placée 10 mm plus à l’avant et le pivot renforcé du bras oscillant a été déplacé pour modifier l’équilibre de poids avant/arrière. Un nouveau faux cadre deux pièces en aluminium coulé, donc plus léger, est aussi utilisé sur la 10R.
La fourche inversée de 43 mm reçoit une couche de DLC (Diamond-like Carbon) pour diminuer la friction et des ressorts montés par le bas sont utilisés pour réduire le moussage de l’huile et stabiliser l’amortissement. On a aussi inclus un amortisseur de conduite à deux tubes Öhlins avec clapet de décharge. À l’arrière, la tringlerie de suspension n’est plus montée au même endroit, tandis que le nouveau bras oscillant de fabrication poutre pressée s’enorgueillit d’un renfort monté sur le dessus pour une meilleure stabilité à haute vitesse. L’amortisseur arrière est maintenant ajustable pour l’amortissement de la compression à basse et haute vitesse.
Les freins ont également été améliorés avec l’ajout de rotors plus épais (5,5 mm), ce qui améliore la dissipation de la chaleur. Des étriers à montage radial de marque Tokico avec doubles plaquettes assurent plus de mordant aux freins et un freinage senti plus progressivement.
La nouvelle ZX est complétée par un ensemble de carrosserie aérodynamique qui consiste en un nouveau carénage aux côtés réduits (pour diminuer l’effet des vents latéraux) et un auvent raccourci avec une légère marche pour simplifier la circulation d’air au-dessus et autour du pilote. Son pedigree de moto de compétition est mis en évidence par le support de plaque d’immatriculation et les feux de signalisation arrière détachables, ainsi que les rétroviseurs et feux de signalisation avant intégrés.
– Michel Garneau