Depuis des décennies, la présence d’une moto au grand écran signifie action. Que l’on pense à la célèbre cascade du long métrage La grande évasion où l’on peut apercevoir Steve McQueen littéralement s’envoler par-dessus une clôture de fils barbelés avec sa Triumph maquillée en moto allemande. J’entends déjà les plus perspicaces dire qu’il ne s’agissait pas de l’acteur mythique, mais bien de son compagnon de virées en moto dans le désert et cascadeur à ses heures, Bud Ekins. Malheureusement, la majorité des cascadeurs ne reçoivent pas toujours le crédit qui leur est dû. C’est précisément ce que je me disais lorsque j’assistai à la représentation du dernier de la série des Bourne, The Bourne Legacy, dont la scène de poursuite à moto m’avait laissé bouche bée. Le lendemain, je revisionnais la scène sur YouTube pour tenter d’y déceler les manipulations par ordinateur, sans succès. On est bien loin des excentricités à la Mission impossible II où l’on voit très bien le passage de pneus de route à ceux hors route et vice versa, sans parler de la Daytona dont l’accélérateur apparait du côté gauche… L’automne dernier, lors de l’engouement mondial pour le dernier James Bond (Skyfall), la rumeur voulait que la poursuite sur les toits d’Istanbul ait été performée par un cascadeur français. Il ne m’en fallait pas plus pour me mettre en campagne afin d’entrer en contact avec ce cascadeur, un certain Jean-Pierre Goy, dont voici un résumé de notre entretien.
Entrevue : Jean-Pierre Goy, le Français qui fait bien paraitre les acteurs à moto!
· Bonjour M. Goy, en introduction, j’aimerais que vous fassiez part à nos lecteurs de votre cheminement dans le monde des cascades à moto, d’où vous est venue l’idée de faire ce métier à risques disons… contrôlés?
· J’ai commencé par le trial. En 1981, j’ai gagné le Kick Star en Angleterre – équivalent de la coupe du monde de trial indoor, ainsi que de nombreux trial indoor et championnats de France. Après chaque course, je faisais un petit spectacle en trial, j’ai été le premier à faire ça. Puis j’ai fait deux ou trois films pour la télévision, et ensuite pour le cinéma. Mais ma grosse activité était le show : plus de 1 600 villes différentes dans le monde; je suis également venu à Montréal! En 1997, Vic Armstrong m’a demandé d’être la doublure de Pierce Brosnan dans Demain ne meurt jamais, puis j’ai enchainé sur la lancée du Bond pendant 10 ans pour BMW, où je faisais des shows ou des essais de motos. En 2007, j’ai renoué avec le cinéma pour le Batman. Je fais toujours beaucoup de shows ainsi que des films, mais depuis 6 ans, j’ai monté mon école de pilotage, lequel est basé sur la mise en confiance des motards sur la route et en off-road, certains viennent même pour se perfectionner pour des raids ou des courses en trail, j’organise également des raids au Maroc, le prochain sera du 5 au 14 Juin 2013. Nous distribuons aussi des accessoires motos dans toute la France, activité que gère ma femme.
· La moto de Batman (The Dark Knight Rises) ne semble pas des plus faciles à prendre en main, est-ce seulement une impression?
· La moto de Batman pour The Dark Knight Rises a nécessité environ 3 mois de mise au point, pour la faire rouler à environ 120 kilomètres-heure, et de nombreuses heures de pilotage pour enfin la maitriser correctement, c’est moi d’ailleurs qui ai formé Jolene Van Vugt pour piloter cette moto pour ce film.
· Quels en sont les éléments mécaniques et sa vitesse de pointe réelle?
· Cet extraordinaire engin a été produit par Chris Corbould et son équipe, malheureusement, je ne peux pas dévoiler les secrets de la fabrication mécanique et technique.
· La cascade pour le James Bond Demain ne meurt jamais vous a définitivement mis sur la carte, aviez-vous des appréhensions avant de la réaliser?
· Oui. C’est grâce à ce film et à cette cascade que je fais encore de la moto actuellement, beaucoup de gens m’ont connu par le biais de ce film, j’ai fait des milliers de spectacles dans le monde entier, mais les gens me connaissent par ce film… c’est vraiment mon meilleur souvenir de tournage. Grosses appréhensions bien sûr avant le saut par-dessus l’hélico.
· Quelles sont les modifications que vous apportez aux motos en général?
· Je n’en effectue pas énormément, je m’adapte rapidement aux motos que la production met à ma disposition, même lors de mes shows, j’aime bien utiliser des motos presque stock. Pour les films, les modifications sont plus d’ordre esthétique et sont faites par les designers, et nous, les cascadeurs devons adapter notre pilotage.
· Quelles furent vos pires blessures? Car vous avez sûrement été blessé en pratiquant ce métier…
· Je n’ai pas eu énormément de blessures en tournant des films. Lorsque l’on dit cascadeur, on s’imagine des mecs tous cassés de partout! La plupart des cascadeurs sont de grands sportifs et de grands professionnels. Il est vrai que l’on n’est jamais à l’abri d’un mauvais coup, mais je me suis plus fait mal en live show.
· En général, vous effectuez vos cascades sans casque pour les besoins du tournage. Quelles sont les protections que vous utilisez pour vous protéger le reste du corps?
· Je n’aime pas réaliser des cascades sans casque, c’est très mauvais pour l’image « sécurité » auprès des motards – jeunes ou vieux –, mais se sont les réalisateurs qui l’imposent, c’est comme ça… Souvent la seule protection se réduit à une perruque!
· Comment avez-vous dû gérer l’enthousiasme de Jeremy Renner dans The Bourne Legacy?
· Pour le moment, Jérémy a été mon meilleur élève au cinéma, il a réalisé de nombreuses cascades lors de cette poursuite extrêmement rapide dans les rues de Manille, il fallait même le calmer, il aurait pu réaliser toute la poursuite! C’est une personne vraiment sympathique et attachante.
· Est-ce beaucoup plus difficile de réaliser des cascades avec une passagère?
· Oui, parce que malgré que ce soit une cascadeuse professionnelle qui est assise derrière moi, j’en ai toujours la responsabilité, et c’est toujours ennuyeux de faire mal à quelqu’un. J’ai emmené Rachel Weisz – qui se comportait très bien sur la moto –, et aussi la cascadeuse américaine Katie Eischen, elle était tellement pro que je ne la sentais même pas! Ce n’est pas facile d’être derrière un mec comme moi, qui passe sont temps à rouler vite sur les plateaux de cinéma, qui est toujours sur la roue avant ou la roue arrière en glisse, qui saute, etc.
· Quel acteur vous a le plus impressionné par sa maitrise de la moto?
– Jérémy Renner
· Dans le dernier James Bond (Skyfall), il semble y avoir différentes versions (certains sites de moto français disent que vous avez fait les cascades, mais un autre (Motomag) semble affirmer le contraire en disant que vous ne désirez pas insister sur le sujet… Je laisse donc cette question à votre discrétion…
– Pour faire allusion à Batman, je demande un Joker pour cette question!
· Que pensez-vous des cascades créées par ordinateur? (à la Mission impossible II)?
– C’est nul.
· Comment devient-on cascadeur à moto? Existe-t-il des écoles spécialisées comme pour les autres genres de cascades ou bien il s’agit d’un monde à part?
· Les deux, il y a beaucoup de cascadeurs qui touchent à tout. Moi, je ne fais que de la moto… ah non, je vais travailler à la fin de l’année comme coordinateur de cascades pour un live show en Europe.
· Quelles sont vos activités en dehors des cascades pour le cinéma?
– Je m’occupe de mon école de pilotage, de mes live shows, des shows où je suis coordinateur des cascades. En 2011 et 2012, j’ai travaillé pour la tournée européenne de Holiday on ice, où j’ai formé deux patineurs – une Française et un Américain – pour réaliser un spectacle en moto sur la glace, c’était passionnant.
· Vous pouvez nous parler de votre prochain Motosummit 2014?
– Je l’ai annulé car nous ne trouvions pas l’argent pour le réaliser! La crise.
· Merci! Merci à vous! J’ai bien aimé vos questions pas comme d’habitude. Je vous laisse corriger les fautes de français, je suis cascadeur, pas écrivain!
· Bien amicalement,
Jean-Pierre