Triumph transforme la plus grosse motocyclette de série de cruiser de boulevard à dévoreuse de kilomètres.
« On ne pensait pas vraiment, dès le départ, réaliser une moto de 2 300 cm3, avoue un gérant de produit chez Triumph. Tout a commencé par une simple idée qui n’a cessé de grandir. » Et elle a grandi. Les fabricants, obnubilés par le tournant du millénaire, ont entrepris un genre de bataille qui nous a d’abord donné des V-twins de 1 800 cm3, puis un cruiser V-twin de deux litres chez Kawasaki. Aussi osé que cela puisse paraître, qui aurait pensé qu’un modeste fabricant britannique, ayant un passé dans les motos sportives bien équilibrées, allait proposer avec la Rocket III 2004 une géante de 2 294 cm3 dépassant d’une tête toutes celles qui l’ont précédée ? L’orientation de son moteur était aussi inusitée, ses trois cylindres placés longitudinalement – la première depuis la Indian Four en 1940 à troquer le montage transversal pour une telle disposition. Et maintenant, avec le lancement de sa Rocket III Touring, Triumph veut démontrer que cette plateforme est aussi bonne pour une honnête moto de route, et pas seulement pour un cruiser gonflé.
La Rocket III reste inégalée (sagement, pourrait-on dire) au chapitre de la cylindrée, mais nous avons eu la surprise d’apprendre qu’avant même son lancement en 2004, Triumph travaillait déjà à une cousine de tourisme. « Nous ne pensions pas d’abord la modifier beaucoup, raconte un représentant de la compagnie, mais plus nous avancions, plus nous nous rendions compte que ce serait une toute nouvelle moto. » Les seules pièces de châssis interchangeables entre les deux modèles de Rocket III sont leurs feux arrière et leurs rétroviseurs. Le premier changement fut le pneu arrière de 240 mm pour des raisons de maniabilité et de format. Toute moto moderne qui se dit de tourisme doit posséder des sacoches rigides, mais par-dessus un pneu de 240 mm, elle aurait presque eu l’envergure d’un DC8 – pas très pratique ni attirant.
Mon expérience avec la Rocket III originale (je sais, je sais, la Rocket III originale était la version BSA de la Triumph Trident, il y a 40 ans de cela…) n’était pas très poussée, mais dès les premières secondes sur la route, on constatait qu’une moto avec un pneu arrière aussi large avait une maniabilité assez particulière. Triumph, Victory et d’autres fabricants précisent qu’ils optent pour des motos plus longues afin d’obtenir une bonne maniabilité avec un pneu aussi large. Mais le terme important ici est pour un pneu aussi large. Si on n’y porte pas attention, la moto résiste tout bonnement à s’incliner dans les virages.
La campagne texane autour de San Antonio est parcourue de routes aux courbes douces. Pas étonnant que ce soit l’endroit favori des constructeurs pour lancer des cruisers. Le changement pour une jante arrière de 16 pouces de diamètre et 5 pouces de largeur chaussée d’un pneu 180/70 transforme la maniabilité de la Rocket, et elle se comporte davantage comme une moto normale, malgré son moteur plus gros que celui de bien des voitures et une masse nette de plus de 362 kg (798 lb). Avec les liquides et un pilote, on atteint un poids réel de près d’une demi-tonne – sans compter les brosses à dents, les boxers de rechange et un passager. Pour expliquer le comportement quand même convivial de cette monture, Triumph évoque le costaud vilebrequin de 17 kg (39 lb) monté très bas dans le châssis, qui abaisse le centre de gravité, et le puissant couple tempéré par un contre-balancier et un arbre d’entraînement tournant dans le sens opposé à celui du vilebrequin. En activant brièvement l’accélérateur depuis l’arrêt, la Rocket III Touring montre moins de réactions de couple qu’une BMW Boxer, malgré une cylindrée deux fois supérieure.
En quittant San Antonio vers la campagne dans la circulation matinale, le train de roulement s’avère très doux et sans à-coup. Peut-être que le lourd vilebrequin y est pour quelque chose, mais peu importe la raison, la Rocket III ne montre pas les réactions hachées qui caractérisent souvent les motos à injection d’essence. En raison de la cylindrée importante, une compression élevée n’est pas nécessaire pour développer de la puissance, et le rapport volumétrique n’est ainsi que de 8,7:1. Le représentant de Triumph nous a précisé avec un petit sourire en coin que le moteur avait été recalibré pour développer encore plus de couple que la Rocket III Classic. Il est de 154 lb-pi à 2 000 tr/min pour trois cylindres de 101,6 x 94,3 mm inclinés à 120 degrés. La puissance au vilebrequin est de 107 ch à 5 400 tr/min. Ces chiffres – un couple indécent combiné à une puissance inférieure à la sportive Triumph Daytona 675 – sont sans égal dans le monde motocycliste. En raison de la courbe de puissance pratiquement aussi plate que la Montérégie – peu importe la vitesse de roulement ou le régime du moteur –, un petit coup d’accélérateur procure un mouvement vers l’avant aussi souple qu’un moteur électrique et donne l’impression que la monture va moins vite qu’en réalité. La seule autre moto que je connaisse qui ressemble à cela est la Boss Hoss dotée d’un V8 Chevy et – croyez-moi sur parole – on n’aimerait pas approfondir le sujet.
Malgré ce comportement peu spectaculaire dans les accélérations, ce trois cylindres n’est pas sans charmes. Le coup de maître de Triumph pour sa gamme actuelle a été de reléguer ses bicylindres parallèles à ses modèles rétro d’inspiration Bonneville et de laisser complètement ses quatre cylindres, apparus pour une brève période. On l’a déjà dit à propos des triples cylindres de Triumph, mais cela vaut la peine de le répéter : leur couple évoque celui des gros bicylindres, mais avec les régimes des quatre cylindres. Leur musique discrète ne sonne ni comme un bicylindre ni comme un quadruple, et leurs vibrations veloutées ne sont pas envahissantes.
La garde au sol est bonne, et même très bonne, comparée aux concurrentes, puisque le marchepied n’a frotté au sol que de rares fois (la conduite agressive est une tradition de journaliste, cela arrive rarement dans les conditions normales). Un représentant de Triumph a précisé que la plupart des employés de la compagnie sont des amateurs de sportives et que le design du marchepied relève de cet héritage. Il est articulé, sur des pivots coussinés, avec des blocs d’arrêt en caoutchouc et des plaques d’acier remplaçables. Le levier d’embrayage pointe-et-talon est bien conçu, ce qui évite les désagréments de cet ajout de touring considéré comme nécessaire. La portion du talon est bien sculptée et en retrait au bout du marchepied, ce qui permet de bouger le pied et donc, à moins de porter des gougounes ou des raquettes, de simplement utiliser le devant du levier et ignorer le reste. L’espace généreux du marchepied, quand le pied est bien reculé, permet une position de conduite pratiquement normale. Avec sa selle large, notre randonnée de 300 kilomètres a été confortable, quoiqu’au retour vers Alamo j’aurais aimé pouvoir reculer les pieds encore un peu afin de soulager la pression sur mon coccyx. Les suspensions sont souples sans être trop molles, et les deux amortisseurs arrière n’ont pas la rigidité habituelle de ce type de configuration. Son réservoir de 22 litres est un peu plus petit que celui de 24 litres de la Classic, mais si sa consommation ressemble aux 6,5 litres aux 100 km (44 mi/gallon) de la Rocket III Classic, son autonomie devrait avoisiner les 340 km.
Trop de pression sur le frein arrière peut le bloquer, et le frein avant manque un peu de mordant au début, mais en pressant suffisamment, la Rocket ralentit efficacement. On dirait que les fabricants de cruisers ont tous décidé que leurs clients n’ont pas la subtilité requise pour moduler des freins avant plus sensibles. L’investissement de 19 999 $ (plus 300 $ pour une peinture deux tons) comprend un pare-brise que Triumph a mis au point en collaboration avec le fabricant de pièces américain National Cycle. On y regarde par-dessus celui-ci et non à travers. Ce type de pare-brise n’est pas très sophistiqué, car il ne fait que percer le vent au lieu de canaliser soigneusement l’écoulement de l’air, mais il est assez efficace et se retire aisément sans outils grâce à deux grands leviers en inox.
Les sacoches de série d’un volume total de 39 litres sont dotées de couvercles qui se verrouillent avec la clé de contact, bien qu’il faille appuyer fermement pour bien les fermer. Les sacoches une fois retirées se tiennent bien droites sur une surface plane; elles ne tomberont donc pas en bas du trottoir. Triumph sait bien qu’après la dernière mensualité, les propriétaires de cruiser courent acheter des accessoires, et elle offre ainsi plus de 70 articles dans son catalogue. Parmi les selles, les pare-brise plus ou moins hauts et le choix habituel de pièces chromées, le plus chic est le couvercle de boîte à cames noir, au prix de 330 $, qui remplace celui en chrome d’origine – un signe clair que Triumph essaie de plaire au client nord-américain –, ce qui est habituellement l’inverse.
Ce qui surprend le plus sur la Rocket III Touring, c’est qu’elle réussit à vous faire oublier que vous êtes sur une aussi grosse monture. Son levier d’embrayage n’est pas trop dur et le changement des cinq rapports est léger, mais au début de ma randonnée j’ai donné un petit coup sur le levier et j’ai entendu le bruit d’engrenages en détresse, comme si j’avais bousillé un rétrogradage sur une Kenworth, une erreur que je ne referai plus jamais. Je ne suis pas convaincu qu’on ait vraiment besoin d’une moto aussi grosse, mais ce n’est pas non plus le cas des montures sportives de 180 ch, et la Rocket III Touring permet de balayer le cliché le plus répandu dans le motocyclisme. Et qu’en est-il du couple ? Il est implacable. Autrement dit, si vous n’aimez pas les forts couples, cherchez une autre moto de tourisme. Pour les autres, cette nouvelle application de l’impressionnant moteur Triumph de 2 294 cm3 offre aux amateurs de tourisme une bonne option pour leur nouvelle monture.
A prendre en considérations
Peut-être que le lourd vilebrequin y est pour quelque chose, mais peu importe la raison, la Rocket III ne montre pas les réactions hachées qui caractérisent souvent les motos à injection d’essence.
Les suspensions sont souples sans être trop molles, et les deux amortisseurs arrière n’ont pas la rigidité habituelle de ce type de configuration.