Suzuki B-King, puissance et douceur

Par Costa MouzourisPublié le

Sept ans après sa présentation au Salon des véhicules motorisés de Tokyo, la moto-concept B-King est désormais une réalité. Suzuki a retranché le compresseur de suralimentation dont était dotée la version initiale (à l’origine, le constructeur nippon l’avait baptisée la Boost King) et a conçu une moto de type roadster non traditionnelle étonnamment civilisée.
 
Même Gene Roddenberry n’aurait pu imaginer un scénario plus surréaliste : un groupe de jeunes entourant un deux roues aux allures futuristes braquant des téléphones sans fil vers la machine pour en capturer des images électroniques et les sauvegarder sur des disques durs contenant plus de mémoire que les premiers ordinateurs de navigation de la NASA ! Il y a 40 ans, quand Star Trek était diffusé sur des téléviseurs à tube, une telle scène serait sortie tout droit de l’imagination débridée et futuriste d’auteurs de science-fiction, mais de nos jours, c’est une situation quotidienne, particulièrement quand vous garez la B-King de Suzuki dans un endroit public achalandé. Et jusqu’à ce que la B-King devienne plus commune et que la curiosité initiale s’estompe, attendez-vous à voir les gens s’extasier devant ce bolide, à vous questionner et, bien sûr, à vous prendre en photo chaque fois que vous descendrez de votre monture dans des endroits publics.

Dès sa première apparition au Salon de Tokyo, la B-King a fait un malheur. Les panneaux en saillie de son réservoir d’essence camouflaient un compresseur de suralimentation, et une partie de son charme tenait du fait qu’elle promettait une livrée de puissance démentielle, estimée à 240 ch. Même si sa puissance a été atténuée en vue de son utilisation grand public et que le compresseur n’y est plus (les fausses grilles du dispositif d’admission d’air situées dans les nacelles du réservoir ont été toutefois conservées), le quatre cylindres en ligne de 1340 cm3 de la B-King est issu directement de la machine la plus puissante conçue à ce jour par le constructeur d’Hamamatsu, soit la version améliorée du modèle Hayabusa 2008. La configuration interne du moteur est identique à celle de l’Hayabusa, affichant un alésage et une course de 81 mm x 65 mm et un rapport volumétrique de 12,5 : 1. Faites de titane, les soupapes d’admission et d’échappement affichent les mêmes dimensions de 33 mm et de 27,5 mm, ainsi qu’une synchronisation des cames et une levée des soupapes identiques. Les différences au niveau des systèmes d’admission et d’échappement ainsi que le système de gestion de carburant modifié permettent à la B-King de développer une puissance attribuée de 181 ch, ce qui est un peu moins élevé que les 194 ch déployés par la Busa. Bien que la B-King produise un couple prodigieux qui atteint son point culminant à 108 lb-pi., la livrée de puissance est remarquablement douce.

La réponse du moteur est modulée électroniquement par des papillons de gaz secondaires (les corps affichent un diamètre de 44 mm), ce qui élimine la réponse abrupte de certains autres quatre cylindres en ligne à course longue. Les injecteurs de carburant secondaires s’animent sous une forte charge et permettent d’accroître la puissance à régime élevé. C’est comme si les ingénieurs avaient programmé une bande de puissance imitant les caractéristiques d’un moteur doté d’un compresseur de suralimentation, étant donné que la puissance hors ralenti et à moyen régime se fait de manière contrôlée et avec onctuosité, mais dès que l’aiguille du compte-tours passe la barre des 8 000 tr/min, la B-King tire de façon démentielle. Un des essayeurs a été toutefois un peu déçu par le caractère tempéré de la bête à moyen régime, s’attendant à ressentir une accélération capable de lui arracher les bras, mais expérimentant plutôt une accélération bien contrôlée quoiqu’extrêmement puissante jusqu’à la zone rouge. À partir de 2 000 tr/min, un coup d’accélérateur agressif produit une accumulation de puissance progressive qui, à partir de 6 000 tr/min, se transforme en véritable assaut jusqu’à la zone rouge de 10 500 tr/min. Les changements de rapports sur la transmission à six vitesses sont directement associés au type de poussée d’adrénaline que le pilote désire ressentir. Tournez la poignée des gaz sur le dernier rapport à vitesse stabilisée pour obtenir une excellente puissance d’accélération; rétrogradez de deux rapports et ouvrez les papillons, et vous aurez alors tout intérêt à bien vous agripper au guidon ! L’action modérée du rupteur diminue la puissance tout en douceur une fois atteint le régime maximal, ce qui élimine les secousses transmises au cadre quand le rupteur de régime entre en action.

Accentuant cette apparente docilité à mi-régime (comme nous l’avons déjà mentionné, la B-King est tout sauf docile tant que le moteur tourne) l’absence de vibrations confère une douceur quasi électrique à la B-King. Les contre-balanciers du moteur réduisent les vibrations de sorte que seul un très léger bourdonnement est transmis au guidon en acier tubulaire monté sur caoutchouc et aux repose-pieds positionnés de façon confortable. La position de conduite est typique des motos dénudées : elle est neutre, presque droite, offre un généreux dégagement pour les jambes, tandis que la large selle aplanie est ferme tout en procurant un bon confort sur de longs trajets. Et le confort lors de randonnées au long cours est très important, car avec sa faible consommation d’essence de 5,7 L/100 km (50 milles au gallon), la B-King peut étirer la capacité de son réservoir de carburant de 16,5 litres pour atteindre une autonomie d’environ 290 km. La hauteur de la selle est la même que sur l’Hayabusa, soit 805 mm (31,7 po.), ce qui permet aux pilotes mesurant près de 1,80 m de poser les deux pieds bien à plat au sol. Les larges nacelles du réservoir d’essence éloignent les genoux lorsque le pilote est assis en position penchée sur une route en lacets négociée à un rythme sportif sans occasionner aucun inconfort. Toutefois, en descendant de la moto, il faut porter une attention particulière à la béquille latérale, car elle est dangereusement rapprochée du sélecteur de vitesse, et à plus d’une reprise, le premier rapport s’est engagé par inadvertance pendant que le moteur tournait.

Quand on pose les yeux en bas de la selle, on a droit à une vision imposante : la moto est anormalement large (tout comme si on la regarde de face), et une aura intimidante entoure la B-King lorsque son moteur émet un bourdonnement guttural au ralenti. L’instrumentation est simple et attrayante, le compte-tours étant situé au centre et flanqué à gauche de lampes témoins et à droite, d’un compteur de vitesse numérique. Le compte-tours intègre un écran à affichage à cristaux liquides. On peut sélectionner l’information qui s’affiche sur l’écran grâce à des commutateurs qui sont ingénieusement montés sur la console du réservoir d’essence. Hormis les habituels doubles compteurs journaliers (les boutons des compteurs journaliers sont sur le panneau d’instrumentation) et l’horloge, une sélection inhabituelle d’informations est indiquée sur l’écran, incluant un utile afficheur de périodicité d’entretien ainsi que des compteurs de temps écoulé et de vitesse moyenne moins utiles. L’ajout d’un ordinateur d’économie de carburant aurait été mieux apprécié que les deux derniers éléments. Le commutateur d’allumage est placé sur la console du réservoir d’essence, juste devant le bouchon de remplissage (les pilotes ont instinctivement déplacé la clé vers le panneau d’instrumentation jusqu’à ce qu’ils s’y habituent) et intègre l’antivol sur la direction.

La B-King est munie du système Drive Mode Selector (S-DMS) de Suzuki, mais contrairement au système S-DMS des modèles GSX-R et Hayabusa, celui de la B-King n’est doté que de deux modes de puissance et, en raison des sélecteurs centralisés (localisés sur la console du réservoir d’essence), les modes de puissance ne peuvent être sélectionnés que lorsque la moto est arrêtée et au neutre. En mode B, la puissance est nettement adoucie sur l’étendue de la plage des régimes, mais au moment où l’on s’habitue à la puissance entièrement libérée du mode A, on ne retourne au mode B que lorsque la traction est limitée par la chaussée mouillée.

Malgré les dimensions imposantes de la B-King, son poids accru (affichant un poids à sec attribué de 235 kg (518 lb), la B-King pèse 15 kg de plus que l’Hayabusa entièrement carénée) et sa géométrie de direction plus décontractée (angle de fourche de 25,5 degrés, déport de 107 mm et empattement de 1 525 mm (60 po) comparativement à 23,4 degrés, 93 mm et 1 480 mm (58,3 po) pour l’Hayabusa), la B-King semble plus légère quand on la pilote que l’Hayabusa, ce qui est principalement attribuable au levier offert par le large guidon et la position de conduite relevée qui ne place pas le poids du haut du corps du pilote sur les bras et les poignets. À basse vitesse, la direction paraît légèrement plus lourde en raison de l’amortisseur de direction, qui est monté derrière le té de fourche supérieur, mais la direction s’allège considérablement à mesure que la vitesse augmente. Contrairement aux modèles dénudés de Buell ou à la T’NT de Benelli, la B-King a un rayon de braquage qui permet d’effectuer des virages en U en un tournemain. Les changements de direction nécessitent très peu d’effort, et la moto demeure neutre lors des mises sur l’angle malgré son large pneu arrière de 200 mm. Sa stabilité à vitesse est excellente et la machine ne produit aucune oscillation causée par le pilote qui est commune sur les motos dénudées munies d’un large guidon.
 
Les fermes suspensions avant et arrière sont entièrement ajustables et répondent bien quand on les sollicite, ce qui confère une impression de raffinement au cadre rigide. Ces suspensions permettent à la moto de conserver sa prestance sur différents revêtements, absorbant les bosses sans sécheresse. Par ailleurs, les dites suspensions ne sont pas molles, mais elles ne sont pas dures comme de la roche comme celles des motos européennes, quoiqu’un de nos essayeurs les plus légers (prétendant peser 160 lb) ait observé que la constante de rappel du ressort était trop ferme. La B-King avale les bosses en milieu de virage sans broncher et le pilote n’est pas éjecté de son siège au passage de nids-de-poule ou d’un soulèvement de la chaussée dû au gel, même s’il est bien sûr plus prudent d’éviter ce genre d’obstacles. À l’extrémité de la fourche inversée de 43 mm se trouvent des étriers à quatre pistons à montage radial et des disques de 310 mm qui fournissent une excellente puissance de freinage, un faible effort au levier, une solide rétroaction et une modulation aisée. Les modèles européens sont offerts avec le freinage ABS en option, ce dont ne sont pas munis les modèles B-King au Canada, du moins pour l’instant. L’ajout d’un embrayage à rétroglissement adoucit le freinage. Nous n’avons jamais ressenti son effet lors de nos essais sur la route, mais ceux qui participent à des journées d’essais libres apprécieront certainement les avantages qu’il procure. Et la B-King devrait se montrer des plus compétentes en piste, du moins pour ceux dont le principal objectif est l’agrément et non pas la compétition.

Suzuki est reconnu pour transformer des modèles au style audacieux en motos grand public contrairement aux autres constructeurs, comme Honda, qui préfèrent minimiser les risques en offrant des modèles au design avant-gardiste, comme la Rune, en quantité limitée. Le lancement d’une machine qui se démarque radicalement des modèles grand public n’est pas toujours couronné de succès, du moins pas immédiatement. Le modèle original Katana lancé au milieu des années 1980 n’a vu sa popularité croître que des années après que sa production eut cessé et, de nos jours, est devenu un article de collection, tandis que l’Hayabusa, qui fut initialement accueillie avec scepticisme, a atteint le statut de moto culte près d’une décennie après son lancement !

Il est encore trop tôt pour affirmer si le style futuriste de la B-King contribuera ou nuira à son succès. Les adeptes de planche à roulettes et de tatouages sont en pâmoison devant cette machine, tandis que les gens plus conservateurs (ou les vieux croulants si vous préférez !) la détestent (ils ne l’ont pas encore roulée, remarquez bien). Et c’est son style qui crée ce paradoxe : ceux qui pourraient être attirés par ses lignes angulaires et son aspect X-Games extrême pourraient être rebutés par sa convivialité au quotidien, alors que ceux qui adorent sa nature amicale finiront par trouver qu’elle est peu pratique (où peut-on installer un sac de réservoir ou des sacoches de selle ?) Peut-être que le concept de la B-King fonctionne un peu trop bien.

Jusqu’à ce que la B-King devienne plus commune et que la curiosité initiale s’estompe, attendez-vous à voir les gens s’extasier devant ce bolide.

Bien que la B-King produise un couple prodigieux qui atteint son point culminant à 108 lb-pi, la livrée de puissance est remarquablement douce.

Les changements de direction nécessitent très peu d’effort, et la moto demeure neutre lors des mises sur l’angle malgré son large pneu arrière de 200 mm.

En selle
Je m’attendais à piloter un vandale fringant mais la B-King, malgré son allure mélangeant le style street-fighter et celui des Impala des années 60, est sophistiquée d’un bout à l’autre. En tentant de m’en tenir à une vitesse raisonnable sur l’autoroute, j’ai raté un arrêt pour aller au petit coin et j’ai failli manquer d’essence, cette moto permettant de faire des excès de vitesse sans aucun effort quand, en l’absence de restriction mécanique, le compteur de vitesse est la seule façon de jauger la vitesse.
 
Et c’est ce qui fait la singularité de cette moto, car je m’attendais à ce qu’une Hayabusa décarénée soit une machine plus viscérale, alors qu’il s’agit plutôt d’une moto standard aux suspensions souples, dotée d’une immense puissance livrée d’une façon étonnamment civilisée. Sa puissance est aussi brute qu’un marteau mais il s’agit d’un marteau enrobé de velours. Avec son moteur grand tourisme et sa carrosserie sortie tout droit d’un film de science-fiction, cette moto intègre stylisme et ingénierie d’une manière bien particulière, et bien que ses performances soient impressionnantes, je ne sais tout simplement pas ce que je suis censé faire avec.
— Neil Graham      
 
J’ai vraiment aimé la B-King et son style de bagarreuse urbaine, mais je lui ôterais ses échappements surdimensionnés en forme de cerf-volant. Cette moto est extrêmement compétente et raffinée, et j’oserais même dire plaisante. Mais il y a toutefois une ombre au tableau, du moins pour moi. En l’enfourchant et en méditant à propos de son caractère « je te mets au défi » proclamé haut et fort dans la documentation publicitaire, j’ai été un peu déçu de constater que les montées de puissance à s’en arracher le cou à bas régime que j’anticipais tant n’étaient pas au rendez-vous, apparemment adoucies par des systèmes de contrôle électronique. Mais comprenez-moi bien, cette moto vous botte sérieusement le derrière (en fait, elle est incroyablement rapide dès que l’aiguille du compte-tours dépasse la barre des 8 000 tours), mais son manque de mordant à bas régime m’a laissé quelque peu sur mon appétit. La solution que je propose : outrepassez les contrôles électroniques conviviaux, ajoutez quelques dents au pignon arrière et attachez-vous avec du velcro à votre siège !
— Michel Garneau

La B-King me pose un réel problème, et le problème est que j’adore la piloter ! Elle s’est si bien comportée, que j’ai été tenté de la rouler plus longtemps, et ce qui ne gâche rien, elle n’a pas réduit mon dos en bouilli. Sur les routes sinueuses, son agilité est comparable à celle des véritables supersports, elle se conduit impeccablement sur l’autoroute et elle tire très bien son épingle du jeu dans la circulation à l’heure de pointe. La B-King réagit avec un raffinement qui fait mentir son apparence bizarroïde, à un point tel que je pourrais même m’habituer à son style audacieux qui ne manque pas de faire tourner les têtes. Mais lors d’une fraîche balade matinale et automnale, j’ai dû amener un sac à dos pour y mettre les couches de vêtements j’enlevais à mesure que la température se réchauffait; il est impossible de transporter quoi que ce soit sur cette moto, même pour une courte promenade. Maintenant, si Suzuki concevait des bagages pour la B-King, l’utilité de cette machine augmenterait énormément. J’espère seulement que les éventuelles sacoches de selle ne ressembleront pas aux nacelles d’évacuation d’un vaisseau spatial !
— Costa Mouzouris

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