Triumph Thunderbird: Avec des ailes

Par Steve ThorntonPublié le

Petite histoire d’une cure vitaminée pour grosse Triumph

Elle est grosse, noire, longue. Elle est aussi très puissante grâce à son gigantesque bicylindre parallèle. Alors, que faire pour l’améliorer? La rendre encore plus grosse, voyons!

En tout cas, c’est l’approche qu’ont adoptée les ingénieurs de Triumph pour créer leur kit de gonflage moteur pour la Thunderbird. Ils ont opté pour une bonne vieille recette classique : on augmente la cylindrée!

Les gros pistons de la Thunderbird se déplacent déjà dans deux cylindres d’une capacité totale de 1 596 cc. Compte tenu des diverses contraintes pratiques qui limitent l’augmentation de cylindrée d’un moteur donné, les spécialistes de Hinckley se sont limités à un kit de modification qui ajoute une centaine de cc. Il fait passer l’alésage à 107 mm (3 mm de plus) et la cylindrée grimpe à 1 690 cc.

C’est une augmentation de seulement 6 %, ce qui pose sans doute effectivement peu de problèmes en matière de contraintes mécaniques. Mais est-ce assez pour qu’on sente une différence? Pour le savoir, nous allons prendre des mesures au dynamomètre, mais nous voulons surtout voir ce que ça donnera en selle. La grosse cruiser de Triumph a déjà une capacité unique à nous botter le derrière avec ses méga-explosions. Comment se comportera-t-elle après la grande opération?

Pour commencer, nous avons emmené la bête chez Pro 6 Cycle à Toronto pour qu’ils mesurent sa puissance actuelle. Les mécanos avaient peur qu’elle soit trop grosse pour embarquer sur le dynamomètre… Mais avec un peu de créativité, ils ont réussi à la hisser en place et à l’immobiliser avec une série de courroies sur la Dynojet. Les mesures par résistance au roulement ont été moins spectaculaires que prévu : aucune fenêtre ne s’est brisée, on n’a pas eu besoin d’appeler les pompiers et personne n’est devenu sourd…

Par contre, les résultats furent révélateurs : seulement 75 ch, mais un très costaud 95 lb-pi de couple maximal. En plus, ce couple est livré à un régime peu élevé et sur une large plage de régime : entre 2 300 et 4 200 tr/min, il demeure en haut de la barre des 90 lb-pi. Quant à la puissance, elle arrive rapidement aussi, mais elle plafonne ensuite entre 4 400 et 5 100 tr/min environ.

Avec ses 75 ch et ses quelque 750 lb (340 kg), la Thunderbird affiche un rapport poids-puissance plutôt faible (10:1). Or, jusqu’à 160 km/h environ, c’est surtout ce rapport poids-puissance qui contrôle l’accélération (à vitesses plus élevées, les facteurs aérodynamiques prennent le dessus). 

Les lectures du dynamomètre vont donc dans le même sens que ce que l’on ressent au guidon du gros cruiser. Le couple maximal est disponible très tôt – dès les 3 000 tr/min – et à ce régime, on entre dans le gras de la zone de puissance. Tordez l’accélérateur à ce point-ci dans les premiers rapports et le moulin donne une solide dose d’accélération, qui s’estompe ensuite rapidement.

Mais il y a aussi la question du poids.
La lourdeur de la Thunderbird affecte directement son élan. On sent que les deux énormes pistons poussent très fort, mais que le combat est difficile… Le mot « ancre » nous vient alors en tête. Bien sûr, la Triumph se propulse tout de même avec énergie, mais si elle pesait 50 kg de moins…

Alors, faute de la mettre au régime Montignac, nous allons essayer de procéder autrement.

Automne 2010, atelier de Sturgess Cycle, à Hamilton, Ontario. Long et étroit, l’atelier de mécanique de Sturgess est au sous-sol de la salle de démonstration. Il y a une affiche de Steve McQueen au mur, des étagères en bois remplies de batteries, des portes qui mènent à des endroits qu’on imagine mystérieux, des boîtes de pièces, et de longues fissures sur le plancher en béton. Sturgess Cycle existe depuis 100 ans et ça se voit, mais l’équipement est moderne et complet. Il y a quatre postes de travail bien outillés et les mécaniciens ont l’air à leur aise.

Au fond de la salle, je vais rejoindre Luke, qui a déjà commencé à travailler sur la T-Bird. Il est mécanicien depuis 1999 et je lis un peu de scepticisme dans ses grands yeux expressifs. Il se penche sur son établi pour examiner le manuel d’atelier, retourne à la moto, enlève une pièce, revient au manuel, retourne à la moto…

Sur l’établi, les nouvelles pièces sont déjà sagement alignées en attendant de donner un second souffle à la Triumph : deux pistons et leurs segments, deux chemises de cylindre, deux arbres à cames, un jeu de ressorts d’embrayage, des joints d’étanchéité pour la culasse et pour les couvercles de soupapes, un système d’échappement. Luke a déjà retiré plusieurs pièces sur la moto : réservoir, selle, radiateur, tableau de bord. « Je trouve toujours de nouvelles pièces à enlever! » explique-t-il.

Le kit de conversion de la Thunderbird est tout nouveau et c’est la première fois que Luke en installe un. Même les gens de Triumph Canada n’ont pas réponse à tout. Il y a un problème de consignes contradictoires pour certaines étapes importantes, comme enlever le moteur ou pas… Une des sources dit oui, l’autre explique qu’il faut soulever la moto et démonter les bielles à partir du dessous du moteur. Mais les plafonds sont bas ici et si on soulève la moto suffisamment pour travailler à l’aise, le guidon va dépasser dans la salle de démonstration… Luke explique aussi qu’on ne lui a pas envoyé le bon outil pour extraire les chemises des cylindres.

Finalement, en bon mécano débrouillard, Luke décide de laisser le moteur en place, et de soulever seulement l’arrière de la moto. Ainsi, il a un angle d’accès adéquat pour démonter les bielles à partir du carter inférieur. À la fin de la journée, le démontage est terminé. Sur la table à côté de la moto, il y a la culasse, les cylindres et leurs chemises, les pistons et les bielles. Les chemises, ce sont les « doublures » à l’intérieur des cylindres, dans lesquelles les pistons circulent. Elles ressemblent à des boîtes de conserve aux parois épaisses, sauf qu’elles sont extrêmement lisses à l’intérieur, et très rugueuses à l’extérieur. Sur un moteur refroidi au liquide, comme celui-ci, le liquide circule autour des chemises, par des conduits dans les parois intérieures du cylindre.

Les nouvelles chemises seront plus minces afin d’accueillir des pistons un peu plus gros.

On est toujours admiratif quand on voit un bon mécanicien à l’œuvre. Luke s’est arrêté souvent en cours de route pour réfléchir, il a demandé de l’aide au besoin pour soulever des pièces lourdes, il a inventé des solutions. Par exemple, comme il n’avait pas l’extracteur approprié pour retirer les chemises, il a utilisé une méthode artisanale intéressante à base de duct tape… Une fois de plus, le célèbre ruban adhésif gris viendra à la rescousse du motocycliste! Dans un premier temps, il applique des bandes de ruban à l’intérieur de la chemise, dans la partie supérieure. Il prend le temps de bien lisser le ruban pour qu’il adhère solidement à la paroi interne. Puis, il fait tourner le moteur à la main. L’idée, c’est qu’en montant, le piston et les segments vont s’agripper au ruban, lui-même agrippé à la chemise et que le tout va se déplacer vers le haut, en laissant le cylindre sur place. C’est un vieux truc que Luke n’a pas utilisé depuis des années. Et ça marche!

Le lendemain, la machine est remontée. Luke a installé les nouveaux pistons et les arbres à cames, et il a reprogrammé le système de gestion électronique du moteur en conséquence. Il a aussi installé le nouveau système d’échappement, remonté toutes les autres pièces, et même ajouté des valises et un pare-brise. Ce soir-là, il conduira lui-même la T-Bird fraîchement gonflée pour rentrer à la maison, question de faire un petit rodage et de s’assurer que tout fonctionne bien. Puis, c’est à notre tour de voir quel impact tous ces changements ont eu sur la personnalité de la Thunderbird.

Première impression : elle a l’air de mieux respirer, mais c’est peut-être seulement à cause du nouveau son de l’échappement. Alors, en route! Dès le premier rapport, on constate que la grosse bête bondit vers l’avant avec beaucoup plus d’autorité. Dans tous les rapports, la réponse est plus solide, plus vive. Et, malgré l’augmentation de puissance, le système d’injection électronique fonctionne sans ratés.

Puisqu’il est question d’injection, faisons ici une petite parenthèse. Avant l’installation du kit, la Thunderbird s’est quelques fois montrée hésitante au démarrage par temps chaud. Il a alors fallu faire tourner le démarreur deux ou trois fois pendant cinq secondes avant que le moteur prenne vie. Une fois le kit installé, la température s’était rafraîchie et le problème n’est jamais réapparu.

Avec son nouveau système d’échappement Triumph (539 $), le moteur développe une palette sonore pleine, riche et agréable, avec un petit côté rugueux intéressant. Le niveau n’est jamais désagréablement élevé.

Le pare-brise (695,98 $) et les valises latérales (755 $) ont amélioré les capacités routières de la T-Bird. Plus besoin de s’attacher au guidon avec des pinces grippes pour rester en selle à 120 km/h. Quant aux valises en cuir, elles offrent une capacité de chargement raisonnable et elles contribueront aussi à faciliter les sorties prolongées. Leur système de fermeture est un peu laborieux, mais elles l’ont l’air étanches et sécuritaires.

Quelques jours plus tard, nous avons mis la Thunderbird 1700 à l’épreuve sur des routes de campagne, en faisant notamment une série d’accélérations à pleins gaz. On dirait que la grosse bête est devenue plus alerte, plus vive. En fait, d’un point de vue purement sensoriel, on a l’impression qu’elle est devenue plus rapide en raison d’une perte de poids, pas parce qu’elle a gagné en puissance.

De retour en ville, nous avons pris de nouvelles lectures sur le dynamomètre. Résultat : puissance de 87,7 ch, mesure de 102,3 lb-pi pour le couple.

Le couple a augmenté de 7,3 lb-pi. Sa courbe de répartition est semblable à celle de l’ancien moteur : très costaude à bas régime, elle garde le cap puis commence à redescendre à partir de 4 500 tr/min environ.

La puissance maximale, par contre, a bondi de 13,7 ch (presque 20 %), ce qui est appréciable. Et, surtout, la manière dont elle est livrée est très différente à mesure que le régime s’élève. Comme sur l’ancien moteur, le 1 700 tire fort dès le départ et les chevaux s’accumulent rapidement jusqu’à 5 000 tr/min. Mais à partir de là, les moteurs ne se ressemblent plus. Sur l’ancien, le cap des 74 ch était atteint et la puissance redescendait vite. Avec le nouveau, la courbe de puissance continue son chemin vers le haut jusqu’à 5 500 tr/min, et on a alors 87,7 ch sous la main. Si l’on monte encore en régime, la puissance se maintient puisqu’on enregistre encore un solide 84 ch à 6 000 tr/min. À ce régime, l’ancien moteur ne développait plus que 66 ch. Bref, le moulin gonflé est beaucoup plus athlétique quand on le fait grimper un peu en régime, et cela contribue énormément à la sensation de vivacité.

Si vous ne voulez pas modifier votre Thunderbird, vous pouvez aussi l’acheter avec le gros moteur déjà installé à l’usine Triumph, pour 17 799 $. C’est seulement 300 $ de plus que le prix de revient de notre 1 600 gonflée. Mais alors, vous vous priveriez du plaisir de l’expérience avant-après! Avec le moteur de base, la Thunderbird dégage une impression de lourdeur – le kit de modification lui donne carrément des ailes. Bien sûr, ça ne la rend pas plus légère sur une balance, mais c’est vraiment l’impression qu’on ressent. Et la perception est parfois plus importante que les chiffres.

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