Comme pour une certaine marque de motos américaine, le nom Triumph invoque, pour la majorité des motocyclistes nés avant 1960 des souvenirs pour la plupart embellis avec les années…
Bien que le logo de la marque anglaise soit de retour chez nous depuis le milieu des années 90, plusieurs ne semblent pas au courant de ce fait. Le multimillionnaire John Bloor ayant racheté le nom et les droits de la marque en 1983, l’approche modulaire et économique des modèles trois et quatre cylindres lui permit d’apporter assez d’eau au moulin pour enfin, quelques années plus tard, développer chaque machine avec son propre caractère. En évitant délibérément de concurrencer les Japonais dans les classes déjà établies, Triumph commercialisa la première streetfighter, la Speed Triple (qui en fait n’était qu’une Daytona 900 sans carénage) qui avec sa petite sœur Street introduite en 2008 occupent le haut du tableau des ventes de la marque de Hinckley. Lorsque je fis une demande pour une moto d’essai, je n’avais pas spécifié un modèle en particulier, mais j’espérais que ce soit la Street Triple, bien que la Scrambler est loin de me laisser indifférent (première sur ma liste d’essai en 2011?) Ayant déjà roulé la dernière incarnation de la Speed en 2005, je m’attendais à une version un peu plus docile… C’est bien le cas, mais les 107 chevaux de la Street sont beaucoup plus utilisables que les 131 de la Speed. Un pilote avec un minimum d’expérience de conduite ne se sentira pas intimidé à son guidon. Je n’en dirais pas autant de sa grande sœur…
En enfourchant la Street pour la première fois, elle me sembla aussi légère et maniable que la bonne vieille GS500E que j’avais fait acheter à ma conjointe il y a déjà treize ans! L’impression fut confirmée par la principale intéressée qui roule maintenant en Bandit 650, mais pour qui la Street a eu un effet pour ainsi dire assez… ravageur. Il est vrai qu’à 173 kg à sec, la GS ne lui concède que 6 kg… En matière de style, la catégorie des roadsters offre un aspect épuré tout en proposant une position de conduite dite classique. Ce qui me rappela les vieux guides de bicyclettes de Protégez-vous du début des années 80. Le vélo recommandé étant toujours le bon vieux trois vitesses avec sa position droite, sa selle confortable et sa vocation utilitaire en opposé aux vélos de course et aux modèles que nous appelions à poignées mustang, jugés inconfortables et trop difficiles à piloter. C’est la même conclusion qui me vint à l’esprit à mesure que les kilomètres s’enroulaient au compteur.
Même si à la base une allure aussi dénudée laisse le pilote affronter le vent et les intempéries sans la moindre protection, je ne pus m’empêcher de trouver la position de conduite assez confortable pour vider un réservoir sans pause pipi (pour mon passager, les pauses devaient être plus fréquentes, le confort ne s’étendant pas jusqu’à la deuxième portion de la selle dépourvue de poignées de maintien). Avec l’un ou l’autre des saute-vent offerts en option (le catalogue Triumph regorge d’accessoires pour personnaliser la machine), la Street pourrait rivaliser avec des motos plus penchées vers le sport-tourisme. Personnellement, je ne crois pas que les designers avaient cette utilisation en tête lorsqu’ils ont décidé du mariage entre le style de la Speed Triple et la motorisation de la Daytona 675. Les échappements sous la selle emplissent les oreilles d’un son caractéristique au tricylindre britannique qui me fait m’imaginer en train de rouler sur l’Ile du Man… lors de mon trajet pour me rendre au travail! Une sorte de ronronnement mêlé à un sifflement vraiment unique et grisant.
Un trois cylindre – celui de la Street Triple, en fait- se veut le mélange parfait entre le couple légendaire du twin et la facilité à monter en régime du quatre cylindres. Ayant été quelque peu déçu par les V-Twins d’un litre que j’eus l’occasion d’essayer quelque temps auparavant, le généreux couple disponible autour de 3 000 tr/min me conquit avec l’usage. Nul besoin de faire monter les régimes jusqu’à la zone rouge pour bénéficier d’une accélération franche et autoritaire. L’absence de jeu dans le rouage d’entrainement permet d’ouvrir et de fermer les gaz sans à-coups et, par conséquent, de pouvoir profiter du couple surprenant pour la cylindrée. Ceux dénigrant les moyennes cylindrées devraient au moins considérer un galop d’essai avant de rejeter la candidature de la rebelle britannique. Pour ce qui a trait du style, même s’il remonte à la seconde incarnation de la Speed Triple T509 de 1997, il fait toujours tourner les têtes.
Il faut avouer qu’avec le « rouge tornade » de ma moto d’essai, il était difficile de passer inaperçu. Bien que le bras oscillant monobranche de la grande sœur ne soit pas retenu (probablement pour diminuer les coûts), je trouve que l’allure est quand même réussie. Il faut dire que la roue arrière de la Speed Triple me fait plus penser à une roue de charrette qu’à un élément de moto, mais là, on parle de mes goûts personnels…
Côté pratico-pratique, il ne faut pas s’attendre à autre chose qu’une moto basique pour se rendre du point A au point B, mais avec le sourire fendu d’une oreille à l’autre sous le casque. Les doubles disques avant avec étriers Nissin se chargent bien de leur mission, tout comme la fourche inversée Kayaba de 41mm non ajustable. Le levier de frein avant offre quant à lui cinq ajustements pour accommoder les différents formats de mains. Ce ne sont pas des composantes de haut de gamme (si vous recherchez plus de performance dans ce domaine la version R vous comblera avec ses suspensions ajustables et freins plus performants encore, notez que le tout vous demandera un déboursé de 1 200 $ supplémentaires), mais en utilisation quotidienne, on peut dire que ça livre la marchandise. Pour ce qui est de la suspension arrière ajustable en précharge seulement, le réglage d’usine pourrait être qualifié de brutal, faisant rebondir le pilote lors du passage sur de petites bosses successives.
Un ajustement plus « mou » vient corriger la situation sans trop nuire à la tenue de route. Côté vibrations, un petit bourdonnement peut être ressenti après un long trajet sur l’autoroute, mais rien de vraiment désagréable, les rétroviseurs renvoyant une image toujours claire et nette de ce qui se passe derrière. Contrairement à plusieurs sportives, la vision montre réellement ce qui se passe derrière et non un gros plan de vos coudes. Les béquilles centrales, autrefois très répandues, brillent maintenant par leur absence, la Street ne fait pas exception. Il est vrai qu’avec un style de bad boy, on se voit mal trainant un accessoire de moto tourisme… Par contre, la nouvelle tendance en matière de béquille latérale ne me semble pas justifiée. Le modèle droit sans protubérance pour aider au déploiement paraît emprunté aux motos hors route et n’apporte rien en usage urbain, si ce n’est que parfois la béquille nous glisse du pied lorsqu’on essaie de la déployer.
En ce qui a trait aux espaces de rangement, disons qu’à part un espace pour ranger l’équivalent d’une caméra numérique petit format sous la selle , aucun autre espace de rangement n’est prévu… Par contre, le réservoir métallique permet l’installation d’une sacoche de réservoir aimantée en cinq secondes… Lors d’un usage nocturne, le faisceau fourni par les deux gros yeux est à la hauteur de votre imagination, ça fait la job pas à peu près! Le rayon de braquage pour une machine à vocation urbaine m’a semblé quelque peu réduit, devant m’y prendre à deux fois pour me stationner à mon endroit habituel. La stabilité à basse vitesse est par ailleurs très appréciée, pouvoir rouler à moins de 5 km/h sans avoir à se tortiller comme une toupie qui vacille, c’est valorisant! Le style dépouillé, bien que plaisant pour la vue, ne s’attire pas que des éloges. La roue arrière étant dépourvue de véritable garde-boue, toute cette partie se verra éclaboussée lorsque la mauvaise température se mettra de la partie. Du côté du tableau de bord, la lecture se fait rapidement mais quelques détails m’ont agacé. Premièrement, les D.E.L. bleues servant à indiquer au pilote qu’il est temps de changer de rapport m’ont un peu distrait pendant les premiers kilomètres en selle, ensuite je me suis habitué!
Ce gadget s’avère très utile lors de séances en piste, mais pour un usage routier, personnellement, je le mettrais hors fonction. L’absence de jauge à essence m’a beaucoup déçu, il y a bien un témoin qui s’allume lorsqu’il reste 3 litres d’essence dans le réservoir, mais pour une moto avec un large éventail d’acheteurs potentiels, l’abandon de gadgets tels que l’affichage du temps au tour, la vitesse maximale atteinte et le nombre de tours complétés auraient pu faire de la place pour des infos plus pratiques tels que le nombre de kilomètres parcourus depuis que la réserve s’est enclenchée par exemple. En fait, budgétairement parlant, le fait de partager les mêmes instruments que la Daytona 675, qui elle se retrouvera inévitablement sur une piste, permet d’offrir les deux modèles à prix compétitif.
Vendue à un prix de détail sous la barre des 10 000 $ en 2010, le rapport quantité/qualité/prix est très difficile à battre, surtout qu’elle est aussi plaisante à piloter qu’une pure sportive mais à un coût d’immatriculation bien moindre. Dans la même brochette de prix que les BMW F800R et Ducati Monster 696 (en fait les prix de détail suggérés varient de 9 $ entre les trois modèles), l’allemande en donne plus côté pratico-pratique, mais semble un peu terne en comparaison aux deux autres. Quant à l’italienne, même si elle épate la galerie avec son style, elle offre un ensemble moins facile à vivre au jour le jour. Si vous ne prévoyez pas de traverser le Canada en duo (ce qui est quand même envisageable), la Street Triple saura vous montrer que sous son allure de bum, elle peut aussi savoir bien se tenir lorsque nécessaire. Qui disait que c’était impossible de se procurer une moto polyvalente avec du caractère et abordable de nos jours? Pas moi en tout cas!