S’il est vrai que l’habit fait le motocycliste, il est tout aussi vrai que le casque fait la moto.
C’était un moment attendu depuis des lustres. Le temps était enfin venu d’enlever l’épaisse couche de poussière qui avait réduit le fini noir impeccable du casque en une fourrure tachetée de gris. Chez Moto Journal, qui fait principalement l’essai de sportives déchaînées et de motos customs surbaissées, personne n’avait jamais demandé à porter ce casque doublé de liège en forme de chaudron… Toutefois, avec l’arrivée à nos bureaux de la Triumph Thruxton 900 en vue d’un essai, c’était le casque idéal.
Loin d’être une nouveauté, la Thruxton est le modèle le plus sportif de la gamme moderne de motos classiques de Triumph. Son allure se veut un clin d’œil aux cafés racers et s’adresse à une clientèle portant jeans et blouson de cuir qui désire un twin britannique dépouillé et calibré. On reprochait aux modèles Thruxton précédents de torturer le pilote avec leur guidon inhumainement abaissé et inconfortable, mais pour 2010, la Thruxton a subi une révision qui en fait une moto beaucoup plus attrayante : un guidon repositionné.
L’inspection de notre Thruxton toute de rouge vêtue (également offerte en noir) a révélé qu’une attention impressionnante avait été portée aux détails compte tenu de son prix de 9 999 $. La quantité surprenante de pièces chromées dont elle est parée saura plaire aux frotteurs du dimanche (l’entretien de roues à rayons représente toute une corvée), et les carters au fini noir et les caches latéraux en métal brossé du moteur offrent un contraste savoureux. L’aspect du protège-fil des culasses est toutefois nettement moins réussi, donnant l’impression d’être un ajout de dernière minute.
Les instruments de bord de style rétro montés à plat surmontent le guidon. Pratiques tout en étant raffinés, les cadrans analogues arborant des chiffres noirs sur fond blanc sont magnifiques et parfaitement lisibles. Nous n’avons pu nous empêcher d’esquisser un sourire à la vue des aiguilles rouges indiquant les dixièmes de kilomètre de l’odomètre et du compteur journalier. Mais notre sourire s’est aussitôt évanoui quand nous avons tenté d’atteindre le commutateur d’allumage qui, étrangement, se trouve sur le côté gauche du socle du phare avant. Oui, nous savons que le commutateur d’allumage de la Bonneville originale était situé à cet endroit, mais c’était une mauvaise idée à l’époque et c’est toujours le cas aujourd’hui.
Le carénage de selle en forme de goutte était une caractéristique propre aux cafés racers. Celui du Thruxton est amovible, ce qui permet l’utilisation de la moto pour la conduite en duo. L’installation et son retrait requièrent l’utilisation d’une clé Allen rangée sous un cache latéral, qui lui-même nécessite l’emploi d’un tournevis à fente (mais une pièce d’un dollar fera aussi bien l’affaire) pour l’enlever. Si vous espérez faire une rencontre galante dans un bar, mieux vaut ne pas l’ôter. Votre conquête pourrait avoir le temps de revenir sur sa décision de vous raccompagner à la maison pendant que vous perdez le vôtre à essayer de trouver vos outils…
Niché dans le creux du cadre en acier tubulaire de la moto se trouve le bicylindre parallèle de 885 cm3 refroidi à l’air de la Triumph, une configuration de moteur aussi typiquement britannique que le bicylindre à plat est associé aux Allemands. La Thruxton est dotée de la version plus puissante du twin de 885 cm3 de Triumph, du moins d’après ce que prétend le constructeur de Hinckley dans son dossier de presse. Dans les faits, le moteur de la Thruxton ne revendique que deux chevaux de plus (portant la puissance attribuée à 69 ch) que le moulin de la Bonneville de base. L’alimentation du système d’injection (savamment dissimulé grâce à une paire de corps papillon imitant l’apparence de carburateurs et à l’enrichisseur déguisé en levier d’étranglement) est impeccable sur toute la plage des régimes. La Thruxton affiche une consommation d’essence moyenne de 5,8 L/100 km (49 milles au gallon).
Notre Thruxton nous a été livrée avec un système d’échappement en acier inoxydable Arrow offert en option. Comme notre moto d’essai n’était pas dotée des échappements de série, nous n’avons pas été en mesure de confirmer l’allégation voulant que cette option de 1 440 $ produise un surcroît de puissance. Nous pouvons toutefois confirmer que cette allégation est exagérée, voire même un peu trop. Malgré son caractère antisocial, nous avons tellement aimé le son des échappements que nous ne pouvons même pas concevoir le fait de commander une Thruxton dépourvue de cette option.
Compte tenu du faible kilométrage de notre moto d’essai, nous avons été déçus de constater que la partie supérieure des collecteurs avait commencé à bleuir. Nous avions déjà eu connaissance de plaintes à propos des échappements bleutés des modèles Bonneville. Le problème semblait provenir du dispositif antipollution de la moto, plus particulièrement de l’injection pneumatique, qui entraîne une hausse de la température des échappements en raison d’un mélange appauvri. Un lecteur de la revue nous a dit que son concessionnaire lui avait tout bonnement conseillé de désactiver le système d’injection pneumatique.
La Thruxton ne nous a jamais paru sous-motorisée. La plupart des dépassements ne requièrent aucun changement de rapport, mais ils s’effectuent tout de même plus rapidement quand on rétrograde d’un rapport. Ou peut-être que nous avons eu l’impression d’une plus grande rapidité du fait de rétrograder, en raison du bruit émanant des échappements. Mais un surplus de bruit plutôt qu’un excès de vitesse constitue un compromis acceptable, étant donné que les primes d’assurance élevées et la menace constante que font peser les lois radicales contre les excès de vitesse font que la nécessité de s’amuser plus raisonnablement est appelée à devenir la nouvelle tendance.
Le fait de relever le guidon a transformé la Thruxton de bourreau qu’elle était en compagne idéale pour aller prendre une bière à la brasserie. Les repose-pieds sont hauts, mais ne causent pas d’inconfort, et bien qu’il soit tentant de les abaisser pour un confort accru, la garde au sol s’en trouverait compromise. La moto se montre confortable tant pour les balades à la campagne par un bel après-midi que pour les virées en ville tard en soirée. Même quand il est posé, le capot arrière laisse suffisamment d’espace sur la selle, et une fois enlevé, le pilote peut prendre toutes ses aises sur la selle des plus spacieuses.
La Thruxton affiche une allure affirmée au profil bas, mais pour une machine qui semble aussi compacte, quand vient le temps de la déplacer dans le garage, elle cause tout un choc. On dirait qu’elle a été sculptée à même un solide bloc de plomb. Son poids tous pleins faits est de 230 kg, et elle accuse chacun de ces kilos. Une fois en marche, toutefois, elle paraît allégée de 7 kg, mais elle demeure aussi lourde qu’une chopine de Guinness dans l’estomac. Malgré tout, la Thruxton est plus maniable que ce à quoi nous nous attendions. Sa géométrie de direction est la plus radicale de la gamme, ayant le même angle de chasse que la Bonneville, mais avec un déport écourté de 9 mm.
La paire de pneus minces Metzeler Lasertecs montés sur des jantes en aluminium contribue également à l’allégement de la direction. Cependant, la minceur des pneus mettra à l’épreuve la confiance de son propriétaire au moment de se garer à côté d’une custom chaussée d’un pneu arrière de 200 mm… Plusieurs reconnaîtront la forme des sculptures des pneus Lasertecs; auparavant, les pneus diagonaux portaient simplement le nom de Lasers, mais ils ont été rebaptisés il y a quelques années quand Metzeler a révisé la gomme de ses pneus. Hormis un certain glissement prévisible sur une route poussiéreuse, les pneus offrent une adhérence adéquate et s’accommodent bien de la puissance modeste du bicylindre. La qualité de roulement que procurent la fourche Kayaba de 41 mm ajustable uniquement en précontrainte et les amortisseurs combinés propose un bon compromis entre la souplesse nécessaire pour avaler les bosses et la rigidité. Les freins manquent de rétroaction mais sont parfaitement en mesure d’amener rapidement la moto à l’arrêt.
Comme c’est le cas pour la majorité des motos dont nous faisons l’essai, les opinions au sujet de la Thruxton sont partagées. Un des essayeurs a décrit la moto comme une version alourdie et sous-performante de la Bonneville originale, qui elle-même était une moto leste et agile. Un autre essayeur a été complètement subjugué par la Thruxton, la dépeignant comme la moto la plus mémorable qu’il ait pilotée au cours de la dernière année. Qui a raison? Les deux ont raison. Mais nous sommes sûrs d’une chose : si un vieux casque en forme de chaudron trône dans votre garage, vous avez une place dans votre cœur de motocycliste pour une Thruxton.