Yamaha FZ6R contre Kawasaki ER-6n: deux, c’est mieux

Par Uwe WachtendorfPublié le

Il fut un temps où les constructeurs japonais reconfiguraient le moteur de leurs modèles sport en vue d’une utilisation sur route moins nerveuse, mais le bicylindre parallèle de Kawasaki a été conçu exclusivement pour la route. Nous l’avons comparé à la FZ6R dotée d’un bon vieux quatre cylindres.

C’est le genre de débat que nous tenons souvent au bureau : les avantages relatifs d’un bicylindre comparativement à ceux d’un quatre cylindres (ou des blondes par rapport aux brunes, mais ça, c’est un tout autre débat). À l’occasion, nous argumentons pour le plaisir, simplement parce que nous aimons la confrontation, mais parfois, il nous arrive aussi d’être sérieux. Les avantages d’un bicylindre peuvent sembler manifestes : son couple abondant à bas régime, la richesse du son émis par ses échappements, et l’étroitesse de sa section médiane. Pour exploiter le caractère ludique d’un quatre cylindres, il faut typiquement maintenir le moteur à haut régime jusqu’à ce qu’il pousse un hurlement. Parmi les désavantages d’un bicylindre parallèle comme celui de la Kawasaki ER-6n, on note parfois un bourdonnement à basse fréquence et dans le cas d’un quatre cylindres, comme celui de la Yamaha FZ6R, un bourdonnement à haute fréquence. Lorsque nous nous lassons d’argumenter (ce qui est plutôt rare), nous allons trancher le débat sur la route. Aujourd’hui, nous nous rendons dans un parc industriel pour aller embêter les travailleurs aux quais d’expédition et de réception des entreprises qui se trouvent sur notre route.

Mais tout d’abord, nous devons faire démarrer nos machines. Le bicylindre parallèle de 649 cm3 de la Kawasaki est une brute qui se rebiffe à l’ouverture des gaz tant qu’il n’est pas prêt. Une fois réchauffé, il se porte à merveille, tout comme vous et moi. Ce moulin à refroidissement par liquide est issu de la gamme Versys/Ninja 650, et d’après notre expérience avec ce moteur sur d’autres modèles, nous savons qu’il a du cœur au ventre. Les vibrations transmises par un bicylindre parallèle, comme le sait quiconque ayant déjà conduit de vieilles motos anglaises, sont tellement féroces qu’elles peuvent rendre l’expérience de conduite extrêmement pénible si elles ne sont pas bien contrôlées. L’approche adoptée par Kawasaki pour enrayer ces vibrations a surmonté l’épreuve du temps depuis l’époque du Norton Commando et se veut fort simple : mettre du caoutchouc partout. En commençant par le moteur, il suffit d’insérer du caoutchouc entre celui-ci et le cadre puis de poursuivre jusqu’aux repose-pieds (de lourds embouts de caoutchouc là où la botte entre en contact avec le repose-pied), et de finir par le montage en caoutchouc du guidon. L’utilisation du caoutchouc ne vise pas à éliminer la sensation que le pilote est assis sur une bête mécanique, mais plutôt à enrayer les vibrations agaçantes qui engourdissent les doigts et le fessier.

Nous sommes ravis de mentionner que la garniture de caoutchouc fait bien son travail et les vibrations ne posent jamais de problème, peu importe la vitesse du moteur. La Kawasaki présente une combinaison particulière de caractéristiques. Pilotez-la comme un adulte responsable et elle se comportera comme une moto compétente qui convient parfaitement à un novice. Enroulez la poignée de l’accélérateur et elle se transformera du tout au tout. À partir de 7 000 tr/min, le moteur devient carrément enivrant et permet à la moto de se cabrer à volonté. Nous ne nous rappelons pas que la Ninja 650 ait été aussi bien disposée, mais peut-être aussi que nous étions dans un état d’esprit plus décontracté durant cet essai-là.

Visuellement, la ER-6n (dont le nom, soit dit en passant, est particulièrement difficile à prononcer, mais au moins, on ne l’a pas surnommée Gladius) est une moto fort intéressante, pas toujours belle, mais du moins intéressante, affichant suffisamment de formes en zigzag pour garder l’œil alerte. Fait intéressant à souligner du point de vue esthétique, sur le côté droit de la moto se trouve l’échappement en forme de bouteille de thermos sous un ravissant bras oscillant cylindrique monté sur un amortisseur asymétrique. Il s’agit là de détails charmants. Toutefois, la coiffe en saillie qui encadre le radiateur, tels des cache-oreilles, est beaucoup moins réussie.

La réponse de la direction est exceptionnellement rapide; tellement rapide, en fait, qu’à moins de ne donner qu’une légère poussée sur le guidon, le moindre effort sur la direction sera beaucoup trop élevé. Cette caractéristique se traduit par une faible instabilité dans les grandes courbes rapides, mais sa maniabilité en ville fait plus que compenser son manque de stabilité. Même les suspensions de la Kawasaki constituent un bon compromis et présentent une longueur d’avance sur les suspensions mollasses dont sont affublés la plupart des modèles à prix budget dans ce créneau. Et c’est une bonne chose, puisqu’avec une fourche non ajustable, on doit se contenter de suivre les directives du constructeur.

Il y a très peu à redire sur la ER-6n. La configuration du tableau de bord est toutefois étrangement inversée par rapport à ce qui se fait couramment. Alors que le compte-tours analogique est habituellement couplé à un compteur de vitesse numérique, sur la Kawasaki, la jauge numérique est un graphique à barres à DEL et le compteur de vitesse, un cadran traditionnel muni d’une aiguille. Les deux sont faussés. Le compte-tours est tellement abstrait, qu’il est difficile de relier les barres clignotantes au régime moteur, tandis que le compteur de vitesse est utilitaire mais ses chiffres sont trop petits pour pouvoir les déchiffrer d’un bref coup d’œil. Ne pourrait-on pas s’en tenir aux cadrans rotatifs, un pour la vitesse et un autre pour le régime moteur, s’il vous plaît ?

Le trait le plus particulier de la Kawasaki est le sifflement aigu qu’elle émet et dont nous ne pouvons retracer la source. Ce son semble provenir soit du tableau de bord, soit de quelque part d’autre derrière celui-ci. Ce n’est pas particulièrement bruyant, mais plus nous roulons, plus ce bruit nous rend fou.

En enfourchant la FZ6R de Yamaha, nous sommes soulagés de constater que la vue arrière projetée par les rétroviseurs est bonne, car ces derniers sont étrangement positionnés sur des tiges qui semblent, à l’œil nu, faire deux pieds de long. Hormis les tiges des rétroviseurs, son carénage intégral lui confère une allure plus traditionnelle que la Kawasaki. Les observateurs sont partagés entre l’allure des deux motos. Les traditionalistes sont attirés par la Yamaha, tandis que les planchistes et les surfeurs adorent l’aspect éclectique de la Kawasaki.

D’un point de vue mécanique, les moteurs issus de motos supersport qui ont été assagies pour une utilisation sur route n’ont qu’un seul but : produire un couple plus substantiel à bas et à moyen régimes. Dans le cas du moulin à 16 soupapes refroidi par liquide de la FZ6R, les ingénieurs de Yamaha ont révisé les culasses, les carters ainsi que les systèmes d’admission et d’échappement (par rapport à ceux de la FZ6 dont le moteur de la FZ6R est repris). Les soupapes affichent la même taille que celles de la FZ6, mais les orifices d’admission sont plus étroits afin de favoriser la vitesse d’écoulement de l’air à des régimes moteur plus bas. Nous prenons le temps d’énumérer tous ces changements parce que, même si l’alimentation en carburant et la réponse de l’accélérateur sont généralement adéquates, il y a un subtil mais perceptible délai dans la réponse à l’accélérateur, et les reprises à partir des bas régimes sont plus coulées que sur le bicylindre de la Kawasaki. Si vous vous contentez d’enfourcher la Yamaha, vous serez fort probablement agréablement surpris par ses manières civilisées, mais après avoir piloté les deux, force est d’admettre que le moteur de la Kawasaki est plus caractériel à bas régime.

À mesure que les tours grimpent et que la Yamaha gagne de la vitesse, l’accélération est très rapide, mais une vibration fourmillante ne tarde pas à gagner la selle, le guidon et les repose-pieds à 6 000 tr/min sur le dernier rapport, soit à environ 100 km/h. Et bien que la Kawasaki semble également produire des vibrations, elles sont à plus basses fréquences et moins désagréables.

La selle de la Yamaha est étroite, vraisemblablement afin de rapprocher les pieds du sol, et rigide, mais comme c’est le cas avec toutes les motos, nous ne le remarquons que lorsque la route devient droite et sans intérêt. Son instrumentation constitue une amélioration par rapport à celle de la Kawasaki puisque le compteur de vitesse numérique est combiné à un compte-tours analogique.

Il fut un temps où nous nous contentions tous joyeusement de piloter des motos sport déclassées, transformées en motos standard, puisque c’était le seul choix qui s’offrait à nous. De nos jours, avec la réapparition des constructeurs européens et la propension à expérimenter avec différentes configurations de moteur, les Japonais ne se bornent plus à construire uniquement des machines à quatre cylindres et les Européens fabriquent des motos en quantités suffisantes et à des prix qui ne causent pas de crise cardiaque. C’est l’équivalent de l’ingénierie génétique, mais pour les motos, vous choisissez les caractéristiques de votre monture en fonction de vos besoins et ce choix est dicté par la sélection du nombre de cylindres.

À notre avis, le bicylindre de Kawasaki est le moteur qui convient le mieux pour le genre d’utilisation à laquelle ces machines sont susceptibles de se prêter. Imitant le comportement des débutants, nous avons intentionnellement pris des virages en sélectionnant un rapport trop long et avons même décollé d’un arrêt sur le deuxième rapport. Dans les deux cas, c’est la Kawasaki qui s’en est le mieux tiré. Et dans les situations où nous nous attendions à ce que la Yamaha excelle, soit à haut régime et à haute vitesse, la Kawasaki l’a emporté une fois de plus en produisant une poussée étonnamment impétueuse quand on donnait un coup de gaz. Et le fait que la Kawasaki, qui se détaille 7 949 $, coûte 850 $ de moins que la Yamaha confirme qu’il s’agit du meilleur achat possible.

En selle :
 
Une moto ne donne pas toujours sa juste mesure au cours d’un essai routier traditionnel. Ma première impression voulant que la Kawasaki soit une machine sans éclat a été réduite en miettes durant une balade nocturne dans les rues désertes de la ville. À pleins gaz, le pneu arrière s’est mis à sursauter et à glisser au passage de sillons creusés par les autos, tandis que la roue avant s’est soulevée de terre. C’est à ce moment précis que j’ai réalisé que cette moto dénudée aux allures de mauviette dissimulait sa vraie nature; à mi-régime jusqu’à la zone rouge, la Kawasaki se comporte comme une vraie cinglée, parfaitement capable des pires comportements délinquants. C’est ce qui lui a valu mon vote dans ce comparo. Je n’ai eu aucune révélation semblable pour la Yamaha. En ville, son quatre cylindres en ligne n’est guère inspirant. J’ai présumé qu’en raison de son carénage intégral, la FZ6R se prêterait mieux aux balades sur l’autoroute, mais à vitesses légales, elle produit une vibration aigüe agaçante. Bien que j’admette que la FZ6R soit une monture qui conviendrait mieux pour traverser le pays d’un océan à l’autre, qui voudrait vraiment en acheter une, juste pour cette raison ?
Uwe Wachtendorf

Bien qu’il puisse y avoir un jour une machine qui me fasse regretter mes mots, je maintiens ce que j’ai toujours pensé : les motos à quatre cylindres de petite cylindrée conçues exclusivement pour une utilisation sur route sont loin d’être excitantes. La mention « exclusivement pour une utilisation sur route », bien entendu, ne vise qu’à exclure les motos sport à quatre cylindres de 600 cm3, qui figurent parmi mes motos préférées. Il semblerait qu’un moteur qui se met à hurler à 12 000 tr/min ne soit pas très inspirant à la moitié de ce régime moteur, qui est loin d’être suffisant pour exploiter son plein potentiel. Et s’attendre à ce qu’un moteur s’acquitte de ces deux tâches est tout simplement injuste. Ce qui explique que la limite des quatre cylindres soit de plus en plus palpable depuis quelques années, c’est l’apparition d’excellentes machines à deux et à trois cylindres. La première de la catégorie est sans doute la Street Triple de Triumph (notez, toutefois, qu’elle coûte 2 000 $ de plus que la Kawasaki). Le moteur de la Triumph est tellement doux et ludique à bas régime qu’il constitue la monture idéale sur la route. Il en va de même pour la Kawasaki : c’est une moto facile à piloter qui gagne des points là où ça compte le plus : le facteur plaisir.
Neil Graham

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