Ducati Monster 696 contre Suzuki Gladius: double jeu

Par Neil GrahamPublié le

Voilà plus de quinze ans que la Ducati Monster réussit bien sur le marché et que Suzuki l’observe en prenant des notes. Mais est-ce que sa Gladius n’est qu’une belle pièce de design ou bien la preuve d’un manque d’imagination ?

« Comment ont-ils fait cela ? » s’interroge un homme dans le stationnement d’un café. « Fait quoi ?» « Faire que la Ducati ressemble tellement à la Suzuki. » Nous lui demandons s’il est lui-même motocycliste. Non. C’est ce que nous pensions. Mais cela soulève une question intéressante (en tout cas, dans le cadre d’un article motocycliste) : si l’on ne sait pas quelle marque a fabriqué la première, quelle importance si elles se copient ?

Lorsque sont sorties les premières photos de la Suzuki Gladius, nous avons vécu un moment embarrassant avec un concessionnaire Suzuki. « Que pensez-vous de la nouvelle moto ? » demanda-t-il. Sans trop réfléchir, nous avons répondu : « Celle qui ressemble à la Ducati Monster ? » Et voilà un exemple que la loyauté envers une marque peut aveugler une personne : « Elle ne ressemble pas du tout à une Monster », répondit le vendeur. Nous avons souri. Pas lui. Il nous a traités de snobs. Nous avons cessé de sourire. Fin de la conversation.

Depuis son lancement il y a 250 ans, la Monster a été le modèle phare chez Ducati, celui qu’elle ne pouvait pas laisser tomber. La marque a peut-être frôlé le désastre avec la malheureuse 999 superbike et la bizarre Multistrada, mais la Monster s’est accrochée. Même si la 696 est une Monster complètement renouvelée, elle s’inspire directement des versions antérieures – même les Italiens savent qu’il faut des profits pour payer ses comptes.

La Gladius dérive de la Suzuki SV650 qui remonte déjà à un certain temps, sublime vadrouilleuse à tout faire, de la compétition au trajet quotidien. La Gladius se veut une moto élégante qu’on a envie d’acheter pour sa seule allure, ce qu’on ne pouvait dire de la fade SV. Mais il s’est produit quelque chose de particulier lorsque les fabricants japonais, orientés mécanique, on décidé d’accentuer l’élégance de leurs machines – surtout chez Suzuki. Quand Suzuki met la gomme, elle peut construire des motos très rapides – la GSX-R a pratiquement inventé la catégoriegotie superbike moderne. Mais quand elle se soucie du style, elle peut aussi prendre des directions assez spéciales. À preuve la B-King, ou le cruiser M90 qu’on essaie dans ce numéro-ci. Bien que l’on apprécie les efforts de design, on ne sait trop que penser de ces tentatives. La Gladius évite plusieurs excès de ces modèles, mais une fois que nos pilotes d’essai furent revenus au bureau pour l’examiner, nous avons noté un impair qu’il faut souligner. Cette adorable section d’aluminium, juste au-dessus du moteur, qui vient se fondre au cadre en treillis d’acier n’est pas ce qu’elle paraît être. C’est du plastique. Ils ont mis un recouvrement de plastique sur le cadre.

Peut-être que nous exagérons, mais les fabricants japonais devraient s’unir sous un organisme-conseil pour s’empêcher mutuellement d’employer des capots de plastique inutiles. C’est une chose de cacher discrètement la batterie, mais c’en est une autre de recouvrir tout le cadre ! La partie antérieure de ce dernier est élégante et d’un bleu accrocheur, pas de quoi avoir honte. Mais ce qui est particulièrement trivial, c’est que la Monster possède effectivement, elle, une tête centrale en aluminium qui se joint au cadre en treillis d’acier. Alors que Suzuki fait semblant, Ducati livre la marchandise. Comme c’est gênant !

On pourrait croire que ces ressemblances évidentes entre les deux machines se soldent par des motos similaires, mais la Gladius et la Monster sont très différentes. La Ducati, sans surprise, est la plus instinctive. Son moteur refroidi à l’air résonne plus que le moulin Suzuki refroidi au liquide, même si, à vitesse semblable dans le même rapport, la Ducati à rapports très espacés révolutionne à 1 000 tours de moins. (On se rappelle ce qu’avait répondu un ingénieur de Ducati à la question de savoir pourquoi une Monster différente avait une surmultiplication similaire : « Nous calibrons les rapports pour une vitesse de pointe maximale. » Information utile, en effet.) La vérité, c’est que, afin de respecter les normes antibruit – mesurées lorsque la moto roule à fond – on doit rendre le moteur plus discret en abaissant ses révolutions.

Naturellement, leur position de conduite diffère. Le guidon de la Ducati est plat, entraînant une flexion du corps vers l’avant, ce qui est préférable sur l’autoroute, tandis que le guidon tubulaire plus redressé de la Suzuki assoit le conducteur un peu trop droit. Idéalement, le guidon des deux machines serait dans une position intermédiaire. Sans doute pour permettre aux jambes plus courtes de toucher le sol, la selle Suzuki est très sculptée près du réservoir, ce qui la rend beaucoup moins confortable que le large perchoir – mais également ferme – de Ducati.

Lors du lancement de la 696 le printemps dernier à Barcelone, Ducati admettait que ses modèles d’entrée de gamme étaient affligés de freins et de suspensions bas de gamme. Selon eux, la 696 corrigeait le tir. En comparant les détails de la Gladius et de la 696, l’avantage va vers Ducati. Tandis que le guidon de la Ducati avec son té de fourche semble tiré d’un modèle haut de gamme, celui de la Gladius tient par un té ressemblant à celui d’une GS des années 1970 – c’est rétro, mais pas vraiment de qualité. Les composantes de suspension de la Gladius sont extrêmement tendres, et même à vitesse modeste, elles ballottent trop, alors que la Ducati, fidèle à sa tradition, possède des suspensions très fermes. Tout comme pour le guidon, un bon compromis pour l’usage général aurait été préférable.  

Même si le moteur plus rugueux de la Ducati donne l’impression d’une plus grande puissance, il ne faut pas sous-estimer le nerf de la Suzuki. Le bicylindre en V de 645 cm3 de la Gladius est un modèle de sophistication asiatique. Souple et discret, il monte en flèche à la limite. Aux fins de comparaison, nous aimons tester les performances en tordant l’accélérateur alors que les deux machines avancent à la même vitesse dans le même rapport, mais la surmultiplication de la Ducati faisait en sorte qu’elle n’était pas du tout à la hauteur.  Une rétrogradation d’un cran sur la Ducati égalise les révolutions sur les deux montures et on constate une accélération identique.

Malgré une cylindrée un peu supérieure, la Ducati à deux soupapes, refroidie à l’air, se compare à la Suzuki. Impressionnant, surtout en considérant que nous avons eu des difficultés à faire démarrer la 696. Chaque matin, on devait jouer avec la manette d’enrichisseur et essayer de la lancer pendant dix minutes avant de réussir… En rapportant la moto à Ducati Toronto, le maître mécanicien résolut notre problème. Il appert que l’injection de carburant est préréglée en usine (« préréglée pour ne pas fonctionner ? » ironisa un petit malin), mais un ajustement du mélange à bas régime régla la question. Mais bien sûr, la Suzuki a résisté à toute épreuve sans broncher. Quand les Japonais apprendront-ils à insuffler un peu de caractère à leurs produits ? Si seulement la Gladius avait hésité, pété, coulé, refusé de démarrer, on se pâmerait pour elle. Ce n’est pas juste.

Ce qui est étonnant (du moins dans le cadre d’un article motocycliste), c’est que les distinctions entre ces montures nous les font conduire très différemment. Pendant que nous malmenions la Ducati sans merci, la Suzuki était pilotée comme si nous voulions vraiment conserver le privilège de rouler sur la voie publique.

Rationnellement, on opterait normalement pour la Suzuki, puisqu’elle convient au mode de conduite le plus généralisé. (C’est à ce moment-ci que les articles ordinaires vous conseilleraient la Ducati pour filer sur les chemins secondaires, mais qui voudrait faire cela sur une telle moto ?) Cependant, le choix d’une monture est rarement rationnel. La Ducati convient à un style de conduite qui nous fait rêver et s’adresse à notre côté puéril – même si, comme tout le monde, on est condamné à suivre la circulation.

En selle

Une comparaison qui se respecte devrait distinguer un gagnant. Mais même des motos qui se ressemblent s’adressent à des besoins différents. Et comme chacune de ces montures surpasse l’autre dans sa propre spécialité, les critères de sélection glissent facilement vers les préférences personnelles. Le motocycliste sensible en moi a besoin de la Gladius : elle performe sans faille, se montre très facile à piloter et accélère autant que la Monster. Elle convient bien aux déplacements quotidiens et, moyennant quelques ajustements de suspensions et de meilleurs pneus, elle pourrait même affronter la piste. Toutefois, son cadre bleu intense et le sifflement de son échappement la desservent.
Ne serait-ce que parce que Graham la tient en si haute estime, je n’irai pas vers la Ducati, et pour une bonne raison : elle a refusé de démarrer et ne fait pas une bonne monture de trajet quotidien. Fidèle à son caractère latin, la Ducati se croit obligée de crier à tue-tête pour qu’on l’entende, ce en quoi elle excelle. J’ai peut-être besoin de la Suzuki, mais je désire la Ducati.
— Uwe Wachtendorf

En tant qu’expert absolu en tout, je trouve la Suzuki déficiente. Elle n’a rien pu faire de ce qui me permet d’étaler mes compétences. Elle a démarré, s’est montrée souple, rapide et facile à piloter. Lassant. Par contre, la Ducati m’a obligé à la cajoler dix minutes avant de daigner démarrer. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Seulement à moi. Une fois que ce fut réglé, je l’aimais déjà moins; ainsi, tout le monde pourrait la conduire. Je n’avais plus l’avantage. On sait tous que la Suzuki est le meilleur choix – pas besoin de lire l’article pour savoir ça – mais elle me laisse plutôt froid en tant que motocycliste. Elle est assurément plus commode, mais depuis quand suis-je pratique ? Je choisis la Ducati.
— Neil Graham

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