Les cruisers Suzuki combinent les puissants moteurs qui constituent la réputation de la marque avec un style un peu atypique aux cruisers habituels. Uwe Wachtendorf a pris la poignée des gaz et fait son rapport.
Lorsque je devais rencontrer pour la première fois les parents d’une copine, je me souvenais toujours du vieux proverbe qui dit que c’est la première impression qui compte le plus. Cela leur prit parfois des années avant d’être finalement déçus !
Mais nous ne sommes jamais vraiment nous-mêmes quand nous savons que nous sommes observés. Les impressions changent avec le temps, et nous ne savons pas à qui nous avons à faire tant que nous ne connaissons pas plus intimement la personne. Le rédacteur en chef de ce magazine ose porter des Birkenstocks pour venir au bureau et pourtant, il est un redoutable joueur de hockey. Comme quoi on ne peut jamais se fier aux apparences !
Il en va de même pour les motos.
Mon impression pour la nouvelle Boulevard M90 a changé plusieurs fois avant d’arriver à sa version finale. Cela avait assez bien commencé. En le regardant dans notre garage, j’aimais son design et je pensais que c’était l’un des plus beaux cruisers du marché. Puis je l’ai pilotée.
Avec une cylindrée de 1462 cm3, la M90 occupe le milieu de gamme entre la plus grosse et presque identique M109 (1783 cm3) et la plus petite M50 (805 cm3) parmi les powercruisers de Suzuki. Comme on peut s’y attendre avec un moteur à longue course, ce nouveau moteur a beaucoup de couple — combien exactement, nous ne pouvons pas le dire. Suzuki est un autre de ces manufacturiers de cruisers qui refusent de fournir les informations sur la puissance de leurs moteurs, en citant « trop de variables » quand on leur demande une raison. Étonnamment, sans pouvoir nous donner la puissance du M90, Suzuki prétend offrir le meilleur couple et le meilleur ratio poids/puissance de sa catégorie. Le couple maxi est annoncé à 2 600 tr/min, juste après que vous ayez ouvert les gaz; l’impression en selle semble le confirmer. En tout cas, ce moteur tire fort, et donne l’impression d’avoir une plus grande cylindrée.
Pour respecter les contrôles de pollution et améliorer l’économie d’essence, deux bougies avec des ordres d’allumage variables sont utilisées dans chaque cylindre. À bas régime, les deux bougies s’allument simultanément, mais à plus haut régime, elles s’allument alternativement pour maximiser la combustion. Les gaz expulsés dans les deux échappements tronqués font un son caverneux sans pour autant vous faire haïr du voisinage. Ce son peut vous inciter à donner des coups de gaz quand vous êtes arrêté à un feu rouge, comme cela était nécessaire pour empêcher le moteur des anciennes motos de caler, mais puisque la M90 est à injection d’essence, vous pouvez vous reposer le poignet, elle ne calera pas.
Contrairement à son apparence musculaire et à sa sonorité gutturalle, la M90 a un moteur très doux. Tout comme l’ancien boxeur Marvellous Marvin Hagler qui porterait une paire de gants en velours rouge, la puissance se cache derrière la douceur. Libérer cette douceur, cependant, exige de torde la poignée des gaz. À bas régime, la tête de fourche de la moto vibre beaucoup et le guidon veut s’échapper de vos mains, mais plus vous accélérez, plus le moteur est doux. Pour réduire le niveau de vibrations, les ingénieurs de Suzuki ont utilisé de grands volants d’inertie, un amortisseur de transmission primaire situé à l’extrémité du vilebrequin, et trois fixations moteur en caoutchouc sur le châssis en tube.
Cependant, tout cela ne suffit pas au ralenti, avec les deux corps d’admission de 42 mm qui utilisent deux soupapes à papillon dans chacun d’entre eux; le pilote en contrôle une et le BCÉ contrôle l’autre. Nous ne savons pas trop ce que cherche à faire le BCÉ avec ces soupapes, mais nous croyons que c’est la source du problème. Même si la montée en régime excessive avec un petit coup de gaz est typique de beaucoup de motos à injection, elle est particulièrement prononcée sur la M90, et nous l’avons aussi expérimentée sur la C109RT essayée l’an dernier (MJ, août 2008). La M90 encourage donc une utilisation agressive de l’accélérateur, et quand l’accélération est franche, l’arrivée d’essence est précise et la réponse est bonne. Avant que nous n’ayons l’oreille habituée à cette moto, nous faisions facilement monter la M90 sans compte-tours au coupeur de régime, ce qui nous rappelait de passer le rapport suivant. Même si nous avons souvent poussé les accélérations sur les rapports, nous avons fait une moyenne de 5,6 L/100 km (50 mi/gal).
Très honorable pour le plaisir que nous avons eu et, à vrai dire, nous serions surpris que l’économie d’essence soit un critère important pour les acheteurs de ce segment. L’amortisseur de choc couplé à la transmission à cinq rapports de la M90 est partiellement responsable des changements de rapports silencieux et doux, ainsi que de notre paresse. Plus d’une fois, en descendant les rapports pour arriver en première — pour un virage serré en espérant bénéficier du frein moteur —, à notre grand étonnement, nous nous sommes retrouvés au point mort. Pour la même raison, nous avons manqué des rapports en passant de la première à la deuxième; il faut plus d’effort pour passer une vitesse se trouvant après le point mort, qu’entre les autres rapports. Il était aussi parfois difficile d’engager la première lorsque nous étions au point mort, arrêtés à un feu de circulation.
Malgré l’utilisation d’un embrayage à câble avec limiteur de couple de retour, la descente des rapports faisait parfois bloquer la roue arrière en guise de protestation. Bien qu’un cardan soit utilisé pour la transmission finale, le couple de la M90 ne créait pas de soulèvement de la roue arrière. Ses mouvements non sollicités vers le haut ou le bas étaient en fait attribuables à la suspension, ou au manque de débattement des suspensions. La fourche inversée est annoncée avec un débattement de 130 mm, mais elle semblait plutôt en avoir 1,3 mm. Les routes nous secouaient donc sans gêne, et un essayeur a remarqué que dans les virages à plus haute vitesse, la moto développait un louvoiement de basse fréquence. Le bras oscillant en tubes d’acier est conçu pour imiter une moto sans suspension arrière, son amortisseur étant caché pour compléter l’illusion. Nous nous demandons pourquoi un cruiser moderne puissant devrait recourir à un tel stratagème et nous préférerions avoir une suspension plus efficace.
La garde au sol limitée signifie que votre pneu arrière de 200 mm va recevoir des débris de repose-pieds jusqu’à ce que ceux-ci soient suffisamment usés. Les pneus Bridgestone spécifiques pour la moto lui donnent une bonne adhérence et un bon feedback, et la moto tourne bien, sa vitesse en virage étant seulement limitée par les pièces qui touchent au sol. À des vitesses beaucoup plus basses, la M90 restait bien équilibrée et facile à contrôler dans les manœuvres serrées.
Le seul avantage de la position repliée du pilote sur la M90 est de lui procurer un meilleur aérodynamisme. Nous pouvions rouler confortablement à 130 km/h sans nous retenir de toutes nos forces au guidon. Pour atteindre le guidon plat de style dragster en tournant la roue avant complètement, il faut plier encore plus le corps — ce qui serait peut-être moins un inconvénient si nous n’étions pas des journalistes vieillissants et avions moins d’estomac à comprimer… Contrairement à la tendance des selles de plus en plus basses, celle de la M90, à 716 mm, assure aux pilotes de taille moyenne à grande un accès confortable au sol, sans avoir l’impression humiliante d’avoir volé le tricycle du fils de votre voisin.
Les commandes sont bien conçues, robustes et faciles à actionner même avec de gros doigts recouverts de cuir. L’addition du feu de détresse est utile et on le retrouve sur de nombreux nouveaux modèles. Le phare de 60/55 watts éclaire bien, et il y a un interrupteur de dépassement qui commande les deux circuits simultanément. Étonnamment, les rétroviseurs offrent une bonne visibilité sans vibration, quel que soit le régime moteur.
Nous avions des sentiments partagés sur l’instrumentation à deux étages. En effet, avec un indicateur de vitesse placé sur la tête de fourche et un ensemble de voyants monté sur le réservoir, le design est plaisant à regarder, mais ça oblige les yeux à surveiller deux sources d’information séparées. Nous préférerions avoir tous les instruments à un seul endroit pour pouvoir tout vérifier d’un seul coup d’œil. Les lignes trop serrées sur l’indicateur de vitesse rendaient aussi la lecture de la vitesse difficile, à moins d’y regarder un peu plus longtemps.
Une petite diode dans ce dernier indique dans un graphique à barres le niveau d’essence restant, et la dernière barre clignote lorsque le réservoir est bientôt vide. Dans la même fenêtre, vous pouvez afficher l’odomètre, deux totalisateurs partiels et une horloge.
Un avantage certain d’un cruiser construit par une compagnie qui a une réputation pour les motos sport rapides est qu’il est équipé de freins décents. Même si les deux disques flottants équipés d’étriers à deux pistons à l’avant n’ont pas le mordant d’une moto sport, ils sont plus puissants que ceux que l’on retrouve sur de nombreux concurrents. La pédale de frein arrière risque de bloquer la roue arrière si elle est utilisée un peu abruptement. Il manque l’ABS qui, de nos jours, devrait être offert au moins en option.
Pour 13 500 $, la M90 est une bonne affaire. Vous en aurez pour votre argent. Il y a assez de chrome pour ceux qui aiment bien frotter et polir, mais pas suffisamment pour décourager celui qui veut acheter des accessoires. C’est une moto qui affiche un beau style : une présence forte, depuis le garde-boue avant jusqu’au feu arrière. La nôtre était équipée d’une section arrière optionnelle qui recouvre le siège passager et c’est ainsi que nous la commanderions. Le mélange du caractère d’une moto sport avec le style d’un cruiser peut sembler étrange — certainement pas pour tout le monde —, mais ce n’est pas le type de cruiser pour ceux qui vont souvent se détendre à la campagne. La M90 en offre presque autant que sa grande sœur et elle ravira ceux qui aiment rouler avec la poignée des gaz ouverte à fond.