Honda sidère l’industrie de la moto en installant pour la toute première fois un système de freinage antiblocage (« ABS ») sur une sportive.
La confiance. C’est la chose la plus difficile à faire. Faire confiance à quelqu’un, ou à quelque chose, c’est de passer au travers des dures épreuves de la vie puis d’en tirer des leçons. J’ai fait confiance à des femmes, à des amis, à des employeurs et à mon propre jugement. En y repensant bien, la plupart ne m’ont pas déçu – sauf mon propre jugement. Mon jugement à propos des motos est particulièrement médiocre. En tant que pilote, je prends presque toujours la mauvaise décision. Parfois, juste le fait de me pointer sur la piste était une mauvaise décision. J’ai donc du mal à croire les dires de Honda.
Les représentants de Honda (se tenant en toute sécurité sur le bord de la piste, ce qui me rend encore plus méfiant – si quelqu’un fait une chute, ce ne sera que moi) affirment que je peux atteindre 100 km/h puis serrer le levier de frein sans ménagement et aussi fort que je le souhaite. Ils m’assurent que tout ira bien, que je ne tomberai pas ni ne ruinerai une autre combinaison de cuir ou abîmerai un autre casque. Et une dernière chose – de l’eau sera déversée sur la piste, pas partout, mais à un seul endroit.
Bien entendu, la Honda possède l’ABS, mais ce qui est inhabituel, c’est que la CBR600RR et la CBR1000RR sont les premières véritables hypersports qui en soient dotées. (Le modèle HP2 Sport de BMW est muni de l’ABS, mais ce n’est pas une hypersport au sens le plus strict du terme.) Bien que l’intégration à une sportive du système de freinage antiblocage d’une machine destinée uniquement à une utilisation sur route puisse sembler aussi simple que de transférer la technologie d’une machine à une autre, la configuration d’une sportive exige la mise au point d’un système complètement différent. Et pour quelle raison ? L’ABS traditionnel, sous l’action duquel le levier transmet des pulsations perceptibles au point de blocage, convient parfaitement pour éviter que votre aile avant vienne heurter le derrière d’un orignal, mais dans le cas d’une hypersport aux réactions incisives, ce système est beaucoup trop omniprésent pour permettre un contrôle précis. Cela équivaudrait à essayer d’insérer une barre à trémolo dans un Stradivarius, ce qui est possible, bien entendu, mais ne servirait pas à grand-chose.
Le nouveau système de Honda est essentiellement un système de freinage par commande électronique. Il n’y a aucun lien direct entre le frein arrière ou le frein avant et l’étrier. Les pulsations transmises au levier de frein par un système ABS traditionnel s’expliquent par le relâchement de la pression exécuté par la soupape de purge afin d’éviter le blocage de la roue. Bien que ces pulsations indiquent que le système fonctionne, cette sensation de pulsation peut être déconcertante, particulièrement quand on essaie de maintenir un freinage puissant avec précision.
Le système de Honda — qui ne tient pas compte des interventions du pilote dans le processus de freinage — permet au système électronique complexe de la moto de fournir une rétroaction au levier qui n’est pas influencée par le freinage de la moto. Cela peut sembler contre-intuitif, mais dans la pratique, c’est tout le contraire. Lors d’un freinage sur chaussée mouillée à l’amorce de n’importe lequel des virages cernés de béton du circuit de Mosport, la dernière chose dont le pilote a besoin en tentant de retrancher de la vitesse est que le levier de frein transmette des coups saccadés et se mette à valser.
Voici comment ce système fonctionne : la pression hydraulique appliquée sur le levier de frein avant ou sur la pédale de frein arrière n’est pas relayée directement aux étriers, mais est plutôt décelée par un capteur, qui commande à l’élément de réglage électronique (« ECU ») d’appliquer suffisamment de pression aux plaquettes de frein au moyen d’un système parallèle. L’effet ressenti au levier et à la pédale est semblable à la sensation que procure un système de freinage habituel (en effet, si vous passez de la CBR600 sans ABS à celle avec ABS, vous auriez intérêt à vérifier si le capteur se trouve bien sur la roue avant, afin d’éviter d’appliquer sauvagement les freins sur le modèle qui serait dépourvu de l’ABS). La pression au levier et à la pédale est essentiellement produite par le système et aucune pulsation n’est ressentie, puisque le système parallèle purge efficacement le surplus de pression – c’est ce système qui génère toute la force de freinage.
Un freinage féroce à la limite de la traction disponible représente l’ultime frontière pour tout motocycliste. J’ai déjà cru que le fait d’incliner la moto jusqu’à ce que le genou et même l’épaule frottent le sol constituait un exploit considérable, mais il n’en est rien. Bien que je sois un pilote relativement rapide sur la piste, je suis loin de rouler au même rythme qu’un pilote de course sérieux, mais sur les photos, on dirait que ma moto est tellement inclinée que je semble courir après mon malheur, mais ce n’est pas le cas – du moins tant que je ne pars pas aux trousses d’un autre pilote. Mais le freinage est différent. Un freinage vraiment intense est tout à fait terrifiant.
Le problème que pose l’apprentissage de freinages intenses sur une moto sont les conséquences de ne pas bien s’y prendre. Tout blocage de la roue peut se traduire par une rencontre intime avec la chaussée et par la fin de votre amour-propre et de votre plaisir. Et c’est en supposant que la chute se produise dans un endroit où il n’y aucun risque de se faire frapper par un autre véhicule. Mais les systèmes ABS de tout acabit – et particulièrement le système extrêmement souple de la CBR – peuvent s’avérer un appareil de sauvetage potentiel de même qu’un merveilleux outil d’apprentissage. Après tout, comment peut-on freiner à la limite de la traction sans connaître quelle est cette limite ? Et ce scénario que nous vous décrivions au début de l’article – des freinages intenses sur une section recouverte d’eau ? Une bagatelle; c’est comme s’il n’y avait pas eu d’eau sur la piste.
C’est sur le circuit Roebling Road Raceway, situé tout juste en bordure de la ville de Savannah, en Géorgie, qu’a eu lieu le lancement de Honda, et malgré les mises en garde de ceux qui y avaient déjà participé (Des bosses ! Des trous ! Du béton !), la piste était formidable, intégrant suffisamment de virages serrés pour tester l’ABS, du moins en théorie.
En regardant par-dessus mon épaule pour m’assurer que j’étais seul (et que Colin Fraser sur sa Silver Fox ne faisait pas des pieds et des mains pour essayer de maintenir mon rythme), j’ai aspiré une grande bouffée d’air avant de serrer le levier de frein avant aussi fort que possible. Le transfert de poids vers l’avant était considérable, mais pas aussi considérable que la vitesse à laquelle j’ai ralenti. « C’est donc aussi fort que ça que tu peux freiner », marmonnais-je à l’intérieur de mon casque avant de partir à la poursuite d’Uwe Wachtendorf au prochain virage (il l’a bien pris, même si je soupçonne qu’il ne se gênera pas pour me remettre vicieusement la pareille cet été).
Mais tout comme je l’avais appris en pilotant la Ducati 1198S à système d’antipatinage à l’accélération, l’intervention d’un système électronique peut être l’amorce d’une relation compliquée pour le pilote. Sur la Ducati, c’est sans surprise que des ouvertures généreuses de l’accélérateur peuvent propulser le pilote vers l’avant avec une rapidité déconcertante. Ce qui ne pose pas de problème jusqu’à ce qu’on réalise qu’il faut rester en piste et éviter la gravière au prochain virage. Ce qu’il faut retenir comme leçon, c’est que tant le système d’antipatinage à l’accélération de Ducati que le système de freinage antiblocage de Honda n’interviennent que lorsque la limite absolue est atteinte. Mais il faut tout d’abord atteindre cette limite.
Le système d’antipatinage à l’accélération peut être perçu comme un dispositif de sécurité, mais l’ABS est nettement plus utile comme appareil de sauvetage. Un pneu qui glisse sur le mouillé à la sortie d’un virage peut très certainement entraîner des conséquences catastrophiques, mais un pilote prudent qui doit composer avec un manque d’adhérence ajuste habituellement son style de pilotage en conséquence. Mais l’animal qui surgit sans crier gare au crépuscule sur une route détrempée n’a que faire des conditions d’adhérence qui prévalent. Bien que l’ABS soit plus efficace sur la route, sur la piste, l’écart entre les deux systèmes est beaucoup plus faible.
Sur une piste au revêtement impeccable et avec des pneus modernes et offrant une bonne adhérence, le fait de retarder suffisamment le freinage pour déclencher l’ABS signifie que le pilote se déplace avec une rapidité effrayante. C’est une chose de freiner à fond à mi-parcours sur un long droit désert pour tester le système, mais c’est tout autre chose d’être assez confiant pour retarder le freinage jusqu’à ce que vous aperceviez les moineaux bruns nichant dans l’arbre à la fin du long droit. Sur le circuit de Roebling Road, il n’y a que dans un seul des virages que j’ai réussi à freiner avec suffisamment de force pour déclencher l’ABS. Mais même dans ce cas, je n’ai jamais ressenti l’action du système par le levier de frein. La seule façon de savoir que l’ABS veillait à mes intérêts était de me fier à mon expérience.
Lors d’une course qui a eu lieu il y a quelques années sur le circuit Mont Tremblant au nord de Montréal, j’ai réussi, à mon plus grand plaisir, à faire soulever la roue arrière en freinant à l’amorce d’un virage serré tout juste avant le long droit. Comme toute bonne chose dans la vie, ce fut plaisant pendant quelques instants, mais la trop forte pression exercée sur le levier de frein a fini par faire soulever la roue arrière du bitume et à me catapulter dans la gravière de sûreté. Cette expérience m’a fait mal physiquement et financièrement (la moto, hélas, avait été empruntée, et se trouvait dans le même état que moi, mais en fin de compte, mes factures de traitements chiropratiques se sont avérées beaucoup moins corsées que le coût des pièces de rechange de la moto).
Mais revenons à ce virage sur le circuit de Roebling Road. Le fait de retarder mon freinage et la férocité avec laquelle j’ai serré le levier de frein auraient très certainement entraîné le soulèvement de la roue arrière sur une moto dépourvue de l’ABS. Et bien que je n’aie pu le confirmer à ce moment-là, je soupçonnais que la roue arrière était sur le point de se soulever légèrement du sol. Plus tard, en observant les autres pilotes tester le système, j’ai noté que la roue arrière se soulevait bel et bien du sol, quoique à peine de quelques centimètres, mais sans jamais entraîner une perte de contrôle.
Mais peu importe à quel point le système de freinage est novateur, il ne faut pas oublier de parler des autres composantes de la moto. La CBR600RR 2009 est dotée de nouveaux étriers de frein monoblocs repris de la CBR1000RR, en plus d’autres nouvelles pièces, telles que les pistons, la culasse et le système d’échappement qui est désormais muni d’une soupape de puissance. Ayant passé du temps en selle l’hiver dernier sur la CBR600RR sur le circuit sinueux de Streets of Willow en Californie, je connaissais bien ses charmes. Et sur la piste de Roebling Roads, avec son pavement de qualité supérieure et sa configuration fluide, la 600 s’est comportée comme un vrai petit bijou, mais c’est la CBR1000RR qui m’a causé un véritable choc.
Dans le numéro de mars 2008 du magazine, Costa Mouzouris avait relaté à propos de la nouvelle CBR1000RR d’alors, dans le cadre de son lancement au Qatar, que Honda avait promis aux journalistes moto de leur faire vivre une « profonde expérience spirituelle », mais après avoir égaré ses bagages et emprunté des bottes de moto trop petites pour lui, la seule expérience qu’il vécut fut plutôt amère. Les lancements de moto, particulièrement les lancements de sportives où la différenciation des produits entre les quatre géants japonais est très mince, inondent les essayeurs d’acronymes improbables et de phrases encore plus hyperboliques. Mais ignorant la « profonde expérience spirituelle » (l’expérience que j’ai vécue qui s’en rapproche le plus est d’écouter Otis Redding) et me concentrant plutôt sur la moto, je constate que Honda s’est affairé tout autant dans l’atelier que dans la rédaction publicitaire.
Honda dicte ses propres règles en matière de développement de produits, et n’adhère pas aux cycles sauvages de remplacement des modèles qui préoccupent les autres constructeurs japonais. Bien que cette approche signifie que Honda accuse à l’occasion un certain retard sur ses concurrents, cela veut également dire que lorsqu’un nouveau modèle est présenté, il a habituellement subi une refonte en profondeur, comme ce fut très certainement le cas de la CBR1000RR 2008. La plus conviviale, docile et sophistiquée des motos japonaises de 1 litre a fait place à une brute sportive à la fine pointe de la technologie dont la vision se rapproche davantage des machines des concurrents. Bien que les dimensions de la moto ne diffèrent pas beaucoup du modèle qu’elle remplace (les principales dimensions sont similaires et le poids a diminué de seulement 4 kg), le résultat, grâce à une redistribution considérable du poids et à la rigidité accrue du châssis, est spectaculaire.
La docilité de l’ancien modèle a disparu (et si nous l’avions essayé sur la route, cela nous aurait grandement manqué) pour faire place à un engin aux réactions pointues et acérées. L’effort sur la direction est très léger et les transitions latérales lors des mises sur l’angle se font sans effort. Heureusement, la réponse tout en douceur de l’accélérateur de l’ancien modèle a été conservée, ce qui fait de la 1000 une expérience révélatrice. C’est bien la première fois que je préfère une moto de 1 litre à une 600 quand j’ai la chance d’essayer les deux modèles simultanément. Cela peut ne pas sembler comme une déclaration si spectaculaire, mais bien que j’aie toujours admiré (ou, en vérité, été terrifié) la puissance massive des 1000, j’ai toujours roulé plus vite et éprouvé plus de plaisir sur des 600. Mais la CBR1000RR rétrécit l’écart entre les 1000 et les 600 grâce à sa maniabilité aisée et à sa puissance prévisible.
En intégrant l’ABS aux sportives, Honda a appliqué ses propres principes de sécurité grâce à son système exceptionnellement bien conçu techniquement. Mais cela n’a rien de surprenant, c’est ce que fait Honda. Pour 2009, la CBR600RR est offerte avec (13 999 $) ou sans l’ABS (12 999 $), tandis que la CBR1000RR équipée de l’ABS (16 599 $) est la seule option disponible. Mais encore plus étonnant que l’aspect technique est le fait que Honda se concentre désormais sur des modèles au caractère véritablement sportif. Nous l’avons déjà mentionné dans ces pages, mais nous croyons que ça vaut la peine de le répéter : Honda courait le risque de devenir la General Motors de l’industrie de la moto. Mais ceux qui ont grandi en pilotant des modèles Honda seront heureux de constater que le « géant rouge » est encore bien vivant.