Triumph Bonneville:le temps retrouvé

Par Neil GrahamPublié le

La Triumph Bonneville est toujours vendue et la plus récente édition incarne les derniers jours de la machine originale, juste avant la chute du fabricant.

Il y a des villes en Amérique qui ne sont pas d’Amérique, comme San Francisco, New York et Austin, au Texas. Ce sont des villes libérales avec une scène artistique vibrante qui semble avoir évité le conservatisme culturel qui tient le reste du pays (tout dépendant de votre vision des choses). Ça me rappelle la blague dans laquelle un homme dit à un autre qu’on devrait rassembler tous les hippies des États-Unis et les mettre sur une île. « C’est déjà fait, dit le second homme, on a nommé l’île Manhattan. »

Mais de toutes les villes nord-américaines, aucune n’est aussi unique que la Nouvelle-Orléans. Elle est le lieu de naissance du jazz et, peut-être à cause de cela, le centre artistique et spirituel de la vie afro-américaine aux États-Unis. On y trouve également de la nourriture alléchante, une architecture épatante et les bars les plus plaisants que j’ai fréquentés. Ses habitants partagent une théâtralité quotidienne avec les New-Yorkais. Un homme s’est approché de moi dans la rue, s’est arrêté, a retiré son chapeau et m’a salué gracieusement, sans raison apparente. Il n’était pas nécessairement un type étrange, il n’était pas ivre et il ne voulait pas d’argent. Je lui ai souri et j’ai hoché la tête comme si j’étais de la royauté. Ç’a semblé lui plaire et il s’est mis à rire avant de se relever et poursuivre son chemin. Voilà un moment sublime qui s’est produit un matin de semaine, avant 9 heures.

La Nouvelle-Orléans est également un lieu tragique. Il y a eu la tragédie de l’ouragan Katrina et ensuite la réaction bâclée du gouvernement, une tragédie encore plus désastreuse. Mais la ville ne fut pas défaite. Quelqu’un m’a dit que « personne à la Nouvelle-Orléans n’est ici de force; nous voulons vivre ici. » Et je suis heureux d’y être aussi, grâce à Triumph, qui a choisi la Nouvelle-Orléans pour le lancement de son plus récent modèle de la Bonneville.

Contrairement aux villes mentionnées plus haut, celles qui ne correspondent pas à la définition de l’Amérique , la Bonneville est incontestablement de l’Amérique. Célébrant son 50e anniversaire cette année (ce ne sont toutefois pas des années consécutives, car l’entreprise a fait faillite et s’est ensuite reformée), la Bonneville est aussi américaine que la Honda Gold Wing, une autre motocyclette qui n’existerait pas si ce n’était pas des États-Unis. Dans le cas de la Bonneville, son lancement en 1959 fit sensation et elle est rapidement devenue la GSX-R de son époque. Tandis que les Britanniques se satisfaisaient de motocyclettes de 500 cm3, ce n’était pas assez pour les Américains, assoiffés de puissance, qui exigeaient 650 cm3. Ajoutez à cela un record de vitesse obtenu aux Bonneville Salt Flats, d’où son nom, et une icône était née.

Ce qui est bizarre à propos de la flopée de motocyclettes de style rétro présentement sur le marché, c’est qu’elles ont déjà été des machines très performantes, mais les versions rééditées livrent une performance plutôt moyenne. De sa création jusqu’à peu près 1970, la Bonneville était une motocyclette extrêmement belle, légère et agile, réalisant une performance vibrante. Mais il y avait aussi des problèmes, particulièrement sa fiabilité et la vibration intense qu’elle produisait. Par ailleurs, l’apparition de la Honda CB750 en 1969 a marqué le début de la fin pour les motocyclettes bicylindres en parallèle anglaises. Comme l’Empire britannique s’éteignait, l’industrie britannique de la motocyclette s’effondrait.

La Bonneville SE qui est devant moi dans la cour intérieure de l’hôtel a de la classe. L’ingéniosité démontrée par Triumph envers la Bonneville n’a pas de limites, et en modifiant les garde-boue, les systèmes d’échappement et la finition, le fabricant arrive à reproduire la Bonneville originale dans toutes ses incarnations, du modèle de 1959 aux machines des années 70. Ce sont justement les machines des années 70 qui ont inspiré les Bonneville et Bonneville SE 2009.

Dès les premiers kilomètres parcourus dans la circulationmatinale de la Nouvelle-Orléans, la Bonneville s’est insinuée dans mes bonnes grâces en se montrant l’une des motocyclettes les plus douces que j’ai conduites. Le moteur est si fluide qu’il tire avec netteté et douceur peu importe le nombre de révolutions ou la vitesse. Un journaliste blaguait qu’elle est aussi simple à conduire qu’un scooter équipé d’une transmission à variation continue. L’embrayage est léger et, même si le poids à sec de la Bonneville est de 200 kg (440 lb), ce qui est loin d’être une machine légère, elle offre un bon équilibre et est facile à manœuvrer.

Ce qui distingue la Bonneville 2009 de ses prédécesseures est l’adoption de roues en aluminium moulé. Et plutôt que d’être munie d’une roue avant de 19 pouces, comme l’est la Bonneville T100, plus classique, la Bonneville et la Bonneville SE adoptent une roue avant de 17 pouces. Cela lui donne une allure plus moderne, mais l’amélioration esthétique la plus importante est l’adoption d’un système d’échappement qui se passe de la courbe maladroite dans le tuyau d’échappement à la jonction du tuyau de tête et du pot d’échappement. Des pots d’échappement de style sarbacane complètent l’aspect général de la Bonneville. Même si elle semble plus légère que la T100, ce n’est qu’une illusion, car elle ne fait que cinq kilogrammes de moins.

La documentation fournie par Triumph affirme que d’avoir changé la roue avant pour une roue plus légère et de plus petit diamètre rend la conduite plus précise. Et c’est vrai, jusqu’à un certain degré. Mais en essayant à tour de rôle la T100 et la Bonneville on réalise que la roue étroite de 19 pouces de la T100 permet également des manœuvres agiles. La jante de 3,5 pouces de la roue avant de la Bonneville autorise toutefois la pose d’un pneu plus charnu, produisant une meilleure tenue de route à vitesse élevée sur des routes sinueuses.

La différence entre la Bonneville (8 699 $) et la Bonneville SE (9 399 $) est surtout cosmétique. Le modèle de base arbore un logo peint, tandis que la SE a un logo de métal sur une combinaison de deux couleurs. La SE est également munie de couvercles de moteur au fini métallique, tandis que la Bonneville en a des noirs. La SE obtient un tachymètre et un odomètre assortis, mais le modèle de base n’est doté que d’un odomètre.

La gamme Bonneville s’est avérée populaire auprès des néophytes à cause de son prix modique et de son maniement aisé. Mais parmi ses aspects négatifs, il faut noter la selle relativement haute, surtout si on la compare à la Sportster de Harley-Davidson, l’une de ses principales concurrentes. La nouvelle Bonneville possède une selle un pouce plus bas que sur la T100, soit d’une hauteur de 751 mm (29,5 po), et qui est aussi plus étroite. Mais cela a du bon et du mauvais. Il est facile de voir que l’étroit fuseau à la jonction de la selle et du réservoir plaira à ceux qui ont un petit entrejambe, mais c’est en regardant la T100 qu’on réalise que cette baisse est due au fait qu’on a mis moins de mousse dans la selle. Si la T100 n’était pas là à titre comparatif, on n’en parlerait même pas, car la selle de la Bonneville est acceptable. Mais, tout de même, ce pouce de plus est comme de la crème comparée à du lait écrémé dans un café; quand on a goûté à mieux, il est difficile de revenir en arrière !

Avec un vilebrequin de 360 degrés (comme la Bonneville d’origine), le moteur de 865 cm3 à injection est un exemple parfait de civilité. Sa performance est très douce, surtout pour une si grosse cylindrée, mais c’est sa fluidité remarquable qui compense son manque de puissance. Même avec le corps collé sur le réservoir, je n’arrive pas à passer 110 miles/heure sur l’odomètre réglé pour les États-Unis, ce qui est probablement ce que la Bonneville originale pouvait atteindre. Mais avec cette machine, comme c’est le cas avec la plupart des cruisers (sa performance la place en plein dans ce groupe), une vitesse moindre est plus satisfaisante. Notre virée sur les routes des marais à des vitesses allant jusqu’à 90 miles/heure fut plutôt frustrante. Je me suis mis à espérer qu’on abandonne le rythme du lancement de presse pour rouler à une vitesse plus raisonnable de 65 miles/heure, ce qui rendrait la position de conduite verticale beaucoup plus tolérable.

Comme motocyclette de ville ou pour les promenades de fin de semaine, c’est une excellente machine et son prix est facile à digérer. Je n’ai jamais été très attiré vers les motocyclettes à l’esthétique rétro, mais la finition est exemplaire et le bolide entier dégage la qualité. Parfois, tout ce que nous voulons dans une motocyclette, c’est une machine honnête qui ne tente pas d’être une moto de course ni une cruiser à régime réduit ni un semblant de moto tout-terrain. Même si ce n’est pas une catégorie très reconnue dans le monde de la motocyclette, il se peut que la Bonneville soit la meilleure motocyclette pour une balade du samedi soir en campagne.

Un triomphe personnel

À la fin des années 80, lorsque mon père et moi avions placé une annonce dans un journal local, car nous cherchions une vieille motocyclette, nous avons reçu plusieurs appels inusités. Certaines personnes nous offraient des motos japonaises standards de 15 ans et d’autres nous proposaient des machines qui n’avaient pas fonctionné depuis des décennies. Un type a montré à mon père une Ariel des années 20 qui était partiellement enfoncée dans la terre, derrière une grange. Une petite poussée du doigt sur le réservoir avait percé ce dernier… Nous avons laissé faire.

Enfin, nous avons reçu un appel intriguant d’un homme qui disait avoir une Triumph dans son garage. Il ne savait pas quel était le modèle, mais il la vendait seulement 200 $. Comment pouvions-nous refuser ? Une fois à la maison, nous avons constaté que nous avions mis la main sur une T100 1970 de 500 cm3, presque complète, mais entièrement démontée. Et croyez-moi quand je dis entièrement démontée ! Les guides des soupapes avaient été sortis des têtes et chaque menue parcelle de la motocyclette avait été séparée. Ce qui rendait la situation encore plus étrange était le fait que le moteur était très peu usé. L’alésage du cylindre était standard et les pistons semblaient neufs. Donc, avec un livre sur les pièces et un manuel, nous avons complètement reconstruit l’engin. Ça peut paraître simple, mais il y a eu beaucoup de frustrations. Chaque motocyclette possède des milliers de cales d’épaisseur, de rondelles et de petits bouts de caoutchouc qui doivent être identifiés et installés dans le bon ordre. Ce n’est pas un travail pour les faibles.

Nous avons effectué nous-mêmes tout le travail mécanique et avons légué la peinture à des experts. L’installation du réservoir sur le moteur reluisant avait provoqué en moi une sensation que je n’oublierai jamais, et le fait qu’elle fonctionnait bien et qu’elle était fiable n’a fait qu’ajouter au bonheur. La Triumph était une machine destinée plus à la campagne anglaise qu’aux grands espaces nord-américains. Sa performance était très modeste et même si j’ai vu l’odomètre atteindre 80 miles/heure à quelques reprises, la vibration produite au-dessus de 60 miles/heure faisait fourmiller les pieds et engourdissait les mains.

Mon père l’utilisait encore à plus de 75 ans, mais son vieux genou a commencé à rendre le démarrage au pied trop difficile. Il a ensuite acheté une Honda Ascot pour les quelques années de motocyclisme qui lui restait, mais son cœur était avec la Triumph. Les gens nous ont demandé comment nous avions pu vendre une machine si exceptionnelle qui possède une telle connexion personnelle, mais les motocyclettes, comme les chevaux ou les instruments de musique, se dégradent s’ils ne sont pas utilisés régulièrement. Quand nous avons vendu la Triumph à un type du Texas, elle avait déjà passé trop de temps sans être utilisée. Comme avec les autres facettes de la vie, le temps avance, qu’on soit prêts ou non. Mais mes souvenirs d’avoir ramené cette moto à la vie avec mon père ne s’estomperont pas.

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