*Archives – Cet article est tiré du magazine numérique Mars 2022 de Moto Journal.
Déshabiller une légende italienne comme la Panigale peut résulter en une nerveuse bécane enlaidie d’inélégants câbles et tuyaux. Mais l’exercice peut aussi donner naissance à une standard exceptionnelle. Tout dépend de la façon dont on s’y prend.
La Palma del Condado (Espagne). Une Panigale V2 avec un guidon haut, moins quelques chevaux et un carénage, égale une Streetfighter V2. Telle est la formule avec laquelle Ducati décrit sa nouvelle standard de 18 995 $. Durant le lancement global du modèle, dans la salle de presse surplombant le Circuito Monteblanco, à environ une heure de Séville, alors que j’écoutais le reste de la présentation et continuais de prendre mes notes, cette fameuse formule m’agaça de plus en plus. On peut effectivement créer une standard à partir d’une sportive pure en lui retirant simplement son carénage et en lui installant un guidon. Mais le fait est qu’une recette aussi simpliste amène généralement son lot de conséquences négatives. Aussitôt la conférence terminée, j’ai donc rattrapé Alessandro Valia, l’essayeur en chef chez Ducati qui avait parlé durant la majorité de la présentation, et lui ai lancé cette question : «Est-ce vraiment aussi simple?» Sa réaction fut immédiate : «Non!» Il continua : «Si tout ce qu’on fait est d’installer un guidon plus haut et d’enlever le carénage, on se retrouve avec des problèmes. Par exemple, la moto devient instable. Il y a donc beaucoup de travail réalisé en arrière-scène avant de transformer une sportive comme une Panigale en une bonne standard. On a fait beaucoup de tests et avec un bras oscillant plus long, de nouvelles suspensions et un recalibrage des aides électroniques, je crois qu’on est arrivé à un beau résultat.»
C’était l’information que je cherchais. Ça fait des années que je remarque que plus les standards deviennent puissantes, plus elles sont difficiles à contrôler lorsqu’elles sont poussées à fond. À elle seule, par exemple, la différence entre la position de conduite d’une sportive et d’une standard suffit à rendre cette dernière nettement plus susceptible à se soulever en accélération. Les systèmes de contrôle de traction et/ou d’antiwheelie entrent alors en action et font redescendre l’avant, mais même avec des aides électroniques avancées, il n’est pas rare d’expérimenter de l’instabilité à ce moment, surtout quand les niveaux d’interventions des systèmes sont réduits au minimum. Bref, une sportive doit subir davantage de modifications avant de devenir une standard civilisée sur la route. Après avoir roulé la Streetfighter 2022 sur le Circuit de Monteblanco et sur les routes suprêmement sinueuses qui l’entourent, il est clair que Ducati a pris ce travail au sérieux.
Commencer la journée d’essai par la portion routière a bien fait mon affaire. Ça me permettait de me familiariser avec la SF V2 avant de passer aux choses sérieuses sur la piste dans l’après-midi, sous une température moins froide. Nous avons quitté le circuit pour nous diriger vers les collines avoisinantes et en quelques minutes à peine, on s’est retrouvé sur des routes tellement sinueuses qu’elles en devenaient étourdissantes. Elles montaient et descendaient au gré d’une topographie rocheuse et brunâtre typique de la campagne espagnole. La qualité du revêtement était correcte, mais pas parfaite, et les routes à double sens où nous roulions étaient particulièrement étroites. Comme mon groupe a immédiatement adopté un rythme très rapide, piloter avec précision s’est avéré essentiel, une nécessité à laquelle la Streetfigher V2 s’est prêtée très naturellement.
Sa position de conduite est plus sportive que la moyenne chez les standards avec des repose-pieds hauts et reculés ainsi qu’un guidon juste assez bas pour pencher un peu le torse vers l’avant, mais pas au point de charger les poignets. Comme c’est commun chez les Ducati animées par un V-Twin, la mécanique n’aime pas traîner sous les 2000 tr/min sur le troisième rapport et plus, mais elle se montre très agréable ensuite. Au-dessus de ce seuil, un très bon couple à bas et moyen régimes suivi par un punch excitant sans être extrême à haut régime permet au pilote soit d’adopter un rythme détendu en gardant les tours bas, soit de passer en mode Superbike Mondial, ou encore d’alterner entre les deux. Un sélecteur de vitesses assisté en montée et en descente est installé de série tandis qu’un module de mesure inertielle (IMU) à six axes gère une suite d’aides électroniques au pilotage comportant l’ABS, des contrôles de traction, de wheelies et de frein-moteur, ainsi que trois modes de conduite et trois modes de puissance dont le plus faible réduit la puissance de 153 ch à 110 ch.
Avec toute cette technologie faisant discrètement son travail en arrière-plan, on n’a pratiquement plus à se préoccuper des freinages forts en entrée de courbe ou de la gestion de la traction en sortie de virage, un cadeau qui fut bienvenu en cette froide matinée sur ces routes inconnues parcourues à haute vitesse. La précision et la solidité de l’étroite plateforme partagée avec la Panigale V2 sont des qualités immédiatement apparentes dans ce contexte. Mais ce qui est le plus particulier à propos de la Streetfighter V2, c’est à quel point Ducati a réussi l’adaptation de piste à route dont avait parlé plus tôt l’essayeur du constructeur. En effet, bien qu’il ne fasse aucun doute, une fois aux commandes de la SF V2, que les gènes de celle-ci proviennent d’une sportive pure, il reste que la standard se comporte avec grâce et sans le moindre signe de nervosité sur la route. Elle est agile, légère (178 kg à sec, 200 kg avec les pleins faits) et rapide, mais elle ne se montre jamais capricieuse ou stressante.
La puissance raisonnable —relativement— produite par le V-Twin Superquadro est une autre caractéristique contribuant à la nature «amusante sans être terrifiante» de la SF V2. Les 153 ch annoncés représentent un chiffre excellent pour ce type de moteur et sont à peine inférieurs aux 155 ch de la Panigale V2. La force des accélérations peut être comparée à ce qu’offre une GSX-R750, par exemple, et il est donc question d’un niveau de performances considérablement inférieur à celui des standards extrêmes d’environ 200 ch. Par ailleurs, bien que ces dernières soient imbattables lorsqu’il est question de «pétage de bretelles», au quotidien, elles s’avèrent tellement puissantes qu’elles en deviennent presque impossibles à exploiter pleinement. Ça n’est pas le cas de la Streetfighter V2. Je sortais souvent d’une courbe en seconde à pleins gaz pour ensuite passer la troisième sans embrayage et l’étirer jusqu’à ce que l’arrivée rapide du prochain virage demande de sauter sur les freins. Lors des rares occasions où une ligne droite apparaissait, pousser la quatrième à fond était même possible.
Sur ces routes vides de la campagne espagnole, j’ai particulièrement apprécié la possibilité d’exploiter pleinement le merveilleux V-Twin de la Panigale avec régularité. C’était du plaisir sans drame et un bonheur pour l’ouïe. Est également digne de mention, sur la route, la surprenante souplesse des suspensions qui absorbaient la majorité des défauts du pavé sans sècheresse, et ce, tout en conservant le contrôle requis pour un rythme rapide. Chaque fois que je tombe sur des suspensions «régulières» aussi bonnes et au comportement si naturel, je me questionne sur la raison d’être des systèmes semi-actifs tellement plus complexes et coûteux. Mais bon. Quant au freinage, il est excellent. À l’exception de plaquettes moins agressives, le frein avant est identique à celui de la Panigale V2.
Pour la partie piste du test, les rétroviseurs furent retirés, les suspensions furent ajustées selon les suggestions des essayeurs de Ducati, des pneus frais furent montés et les ailettes optionnelles en fibre de carbone furent installées. Elles génèrent une force verticale de 27 kg à 265 km/h, selon Ducati, et ajoutent décidément un élément cool au design. Après les centaines de courbes de la portion routière de l’essai et le rythme élevé de la matinée, entrer en piste se fit tout à fait naturellement et après une première séance de 15 minutes, le tracé du Circuit de Monteblanco devenait déjà familier.
Au cours des trois séances qui suivirent, j’ai continuellement raffiné mes lignes, repoussé mes freinages et amélioré mes sorties de courbes. Et exactement comme sur la route, le tout s’est fait spontanément, sans l’ombre d’un mauvais comportement et avec une grande dose de plaisir. Les mêmes qualités notées en matinée, notamment la précision de la direction, l’impressionnante minceur de l’ensemble ainsi que la solidité et l’agilité du châssis, entre autres, ont permis à la Streetfighter V2 de prendre la forme d’un outil ultra efficace sur la piste, démontrant finalement que durant sa transformation en standard, l’âme de sportive pure de la Panigale V2 est absolument demeurée intacte. En ce qui concerne la nature relativement accueillante des 153 ch sur la route, elle s’est avérée encore plus évidente sur piste où la puissance était suffisante pour amuser, mais pas assez élevée pour devenir exigeante à gérer.
L’idée de transformer une sportive pure en standard a beau sembler simple, mon expérience est qu’un bon résultat est loin d’être certain. En voulant conserver toutes les qualités de la monture originale en piste, les constructeurs finissent parfois avec une routière nerveuse et inconfortable. Dans d’autres cas, les caractéristiques routières prennent tellement de place qu’il ne reste plus grand-chose des capacités de la monture originale sur piste. La Streetfighter V2 est un cas particulier, puisqu’elle réussit à se montrer agréablement compétente dans les deux mondes.
Sur la route, un motocycliste ignorant l’origine du modèle pourrait facilement croire qu’en raison du confort raisonnable, du coupleux V-Twin, de la partie cycle sans surprises et de la nature généralement amicale de la Streetfigher V2, celle-ci fut spécifiquement conçue pour la route. Mais la réalité est plutôt que sous cette superbe tenue minimaliste se trouve réellement une Panigale V2, une machine née par et pour la piste et l’une des sportives pures de puissance moyenne les plus désirables du marché actuel. La Streetfighter V2 se veut donc deux très bonnes motos jumelées avec beaucoup de talent en une seule.