Quand moins c’est mieux
KTM se fraie son propre chemin dans une mer de bicylindres et de multicylindres, et réussit à éblouir les masses au passage.
KTM a pris part sur le tard à la lutte que se livrent les motos dénudées, mais après avoir fait sa marque pendant des années en hors route, les responsables des produits nouveaux de Mattighofen ont lancé la Duke 620 alors que personne ne s’y attendait en 1994. Bien que la Duke originale soit, selon les normes de 2009, essentiellement une supermoto, il s’agissait de la première incursion du constructeur autrichien sur le marché des motos de route pures. Même si la Duke et sa grande sœur, la V-twin SuperDuke, ont migré davantage vers la catégorie des motos dénudées pour ce qui est de leur conception au fil des ans, leurs racines de Supermoto sautent toujours aux yeux.
Dans les années qui ont suivi, KTM a élargi ses horizons et présente désormais une gamme plutôt diversifiée de motos de route, mais la Duke propulsée par un monocylindre demeure le modèle de base de la gamme. Affichant les lignes angulaires et le cadre treillis qui lui sont caractéristiques, la nouvelle Duke abrite en son cœur la dernière version du monocylindre LC4. Le moulin à SACT de 102 x 80 mm (alésage et course) intègre une culasse à quatre soupapes et affiche un rapport volumétrique de 11,8:1, ce qui en fait (selon KTM) le plus robuste monocylindre actuellement offert sur le marché.
Outre sa puissance, l’engin détient aussi le titre du monocylindre le plus avancé techniquement sur le marché, le moulin à injection de carburant de 654 cm3 étant doté d’un échappement abaissé façon « Buell » (avec convertisseur catalytique), d’un embrayage à rétroglissement EPTC, d’un volant du vilebrequin entraîné par engrenages et, pour couronner le tout, d’une manette des gaz fly-by-wire (connue sous le nom de Electronic Power Throttle ou de l’acronyme EPT) ainsi que d’un sélecteur du mode de puissance ajustable, d’un commutateur situé sous la selle du côté droit du longeron du cadre (ce qui le rend beaucoup plus accessible que sur les modèles SMC et Enduro) permettant à l’utilisateur de sélectionner l’un des trois réglages disponibles. La courbe de puissance standard (nº 3) délivre la pleine puissance du moteur à haut régime ainsi qu’une réponse moins abrupte à bas régime, tandis que la courbe de puissance agressive (nº 2) permet une ouverture plus rapide du papillon des gaz à bas régime pour une réponse plus incisive. Enfin, la courbe à bas régime (nº 1) réduit la puissance de 30 % sur l’étendue de la plage des régimes, limitant la puissance à 48 ch.
Le gros monocylindre démarre presque instantanément en émettant un bruit sourd par le biais de ses échappements abaissés. Heureusement, les ingénieurs de KTM ont fait leurs devoirs et le son des échappements, bien qu’atténué, produit tout de même un claquement et des notes sportives. Il faut toutefois prêter une oreille attentive pour distinguer le son des échappements, car l’embrayage émet un cliquetis qui s’apparente étrangement à l’embrayage à sec d’une Ducati. Sur une note positive, ce bruit de ferraille se résorbe en grande partie lorsqu’on actionne le levier de l’embrayage et il est camouflé par le bruit du vent une fois la moto en route.
La 690 peut être pilotée même après un départ à froid, grâce à son système d’injection de carburant et à son cerveau électronique. En dépit du mélange appauvri nécessaire pour passer les tests d’émission, la 690 est relativement immunisée contre les problèmes de démarrage à froid qui affligent de nombreux autres modèles actuels. Rien n’indique que le câble de la manette des gaz ne soit pas directement relié au papillon et la réponse des gaz, comme on peut s’y attendre, est fonction du mode de puissance sélectionné par le pilote. Peu importe le mode choisi, toutefois, la réponse hors ralenti demeure un peu faible (bien qu’il s’agisse d’un problème qui est extrêmement difficile à régler sur un gros monocylindre).
La livrée de puissance dans les deux modes pleine puissance est assez impressionnante, et pas simplement pour un monocylindre. La bande de puissance est vaste et linéaire, et une généreuse dose de couple est disponible pour vous ralentir à la sortie de virages serrés, aux feux de circulation ou dans la circulation. L’accélération est rapide même si, à l’instar de sa compagne d’écurie, la RC8 (ou de tout autre gros monocylindre ou bicylindre) la façon dont la puissance est appliquée semble la rendre plus lente qu’elle ne l’est en réalité. Point positif, comme la livrée de puissance est largement espacée, elle permet une excellente adhérence, même sur une chaussée mouillée.
Une autre des caractéristiques que la 690 partage avec la plupart des autres monocylindres et bicylindres est son hésitation à accepter de généreuses ouvertures des gaz à bas régime. Dans ce cas particulier, le fait de tourner la poignée agressivement à des régimes inférieurs à 3 000 tr/min donne lieu à de sérieuses secousses et protestations. Heureusement, le tout se replace une fois que l’aiguille du tachymètre passe la marque des 3 000 tr/min et tout va de nouveau pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Le système de sélection du mode de puissance, même s’il n’est pas accessible « à la volée » comme le système S-DMS de Suzuki, tient ses promesses. Le réglage de série procure une réponse tout en douceur et prévisible qui rend le gros monocylindre facile à manier en ville ou lors de manœuvres à basse vitesse tout en livrant le genre de punch instantané auquel on s’attend d’une Duke. Bien que le personnel de KTM nous ait prévenus de ne pas sélectionner le réglage agressif sur la route (« trop extrême » selon eux), nous avons succombé à la tentation et sommes passés à l’acte, sélectionnant le commutateur à la position numéro 2 (le changement ne nécessitant tout au plus que 2 minutes). Aucunement difficile à gérer après le changement, la réponse des gaz dans la partie inférieure de la rotation des gaz est nettement plus rapide (tant en accélération qu’en décélération), rendant les ajustements délicats encore plus difficiles et impitoyables. Finalement, nous avons essayé le mode puissance réduite et il assagit sans contredit la puissance et la réponse du moteur, donnant presque l’impression qu’un élastique a été ajouté entre le câble et le papillon des gaz. Sauf pour une utilisation sur une piste de Supermoto étroite, mouillée et glissante, nous ne voyons aucune réelle nécessité de sélectionner ce réglage.
Le groupe motopropulseur répond aux normes auxquelles on est en droit de s’attendre de la part de KTM. L’effort au levier d’embrayage hydraulique caractéristique du constructeur autrichien est léger, tout comme celui sur le levier au pied qui se fait sans effort, et les rapports sont bien espacés. L’embrayage à rétroglissement fonctionne bien également, procurant un effet de roue libre appréciable lorsqu’on coupe les gaz. Le seul pépin est la tendance à tomber en faux neutre entre les 5e et 6e rapports quand on est paresseux avec le levier de vitesses. L’espacement entre les rapports est plutôt éloigné (sans aucun doute pour se conformer à la réglementation en matière de son et d’émissions), le moulin LC4 tournant à une vitesse de 4 000 tr/min à 100 km/h. Même si certains propriétaires réduiront sûrement l’espacement entre les rapports pour améliorer l’accélération (la Duke possède un pignon arrière à 40 dents comparativement à 42 pour la SMC dotée d’un moteur similaire), l’espacement éloigné des rapports combiné au travail efficace du balancier se traduit par une expérience de conduite onctueuse à vitesse d’autoroute, seule une légère vibration étant communiquée par le guidon. Un autre avantage de l’espacement éloigné des rapports est la maigre consommation d’essence de 4,1 L/100 km (69 milles au gallon) de la Duke, ce qui procure une généreuse autonomie de 330 km pour son réservoir de 13,5 L.
Les gènes de supermoto de la Duke ressortent dans sa position de conduite qui est relevée et spacieuse, et donc généralement plus confortable que la position recroquevillée d’une supersport en relâchant la pression sur les poignets et le dos du pilote. Cette position améliore le contrôle et le transfert de poids dans les virages étroits sur un parcours en lacet. Par contre, la position verticale expose le pilote aux bourrasques à vitesse d’autoroute, ce qu’une légère inclinaison permet d’alléger quelque peu. La sensation initiale que renvoie le guidon conique Renthal en aluminium semble étrange en raison d’un léger manque de rétroaction, mais on s’y habitue rapidement. Sa largeur octroie une prise suffisante, ce qui facilite les manœuvres. Les rétroviseurs montés sur le guidon sont bien positionnés, mais leur efficacité est grandement compromise car la vision se trouble à cause des vibrations. Le siège, qui est légèrement incliné vers l’avant, procure un bon maintien grâce à la largeur et à la fermeté de son rembourrage. Offrant un confort qui se situe à des années-lumière de la selle des modèles Enduro et SMC, ce n’est qu’au bout de 120 km que la selle de la Duke commence à devenir inconfortable. Bien qu’elle ne soit pas une routière sportive, un des essayeurs a parcouru plus de 600 km en un jour à son guidon et a survécu.
La hauteur de la selle semi-stratosphérique (du moins, pour une moto de route) de la Duke qui culmine à 865 mm (34 pouces) trahit également son héritage de moto hors route, comme l’a constaté un de nos essayeurs (qui mesure 1,80 m) qui devait se tenir sur la pointe des pieds. Les repose-pieds, qui sont abaissés et centrés, permettent de plier généreusement les jambes, ce qui donne amplement d’espace pour ceux qui ont de grandes jambes. Curieusement, les repose-pieds de la Duke renferment un isolant en caoutchouc, ce qui contribue à absorber les vibrations.
Sa tenue de route est la raison d’être de la Duke et les ingénieurs de KTM se sont assuré, tant au niveau de la conception que du choix des composantes, que la nouvelle 690 livrait la marchandise. Son cadre en treillis rigide, sa robuste fourche inversée WP de 48 mm, son bras oscillant en aluminium moulé sous pression (qui exhibe fièrement sa surface nervurée interne) et ses pneus Dunlop Sportmax agissent de concert pour former un tout des plus agiles qui procure une excellente adhérence du pneu avant et une très bonne rétroaction. Son large guidon, son centre de gravité abaissé, ses roues en alliage coulé léger Marchesini et son faible poids (qui atteint 148 kg/326 lb à sec) permettent à la Duke d’être extrêmement rapide dans les enchaînements de virages. Sa garde au sol est également de premier niveau, ce qui fait qu’il est presque impossible de frotter des pièces au sol. Heureusement, sa maniabilité accrue n’enlève rien à sa stabilité et la Duke demeure composée à vitesse de croisière.
Les composantes des suspensions WP sont hautement ajustables (la fourche permet deux réglages en détente tandis que l’amortisseur peut aussi être ajusté en compression haute vitesse) et s’acquittent parfaitement de leur tâche qui consiste à garder les roues collées à la route. Comme on peut s’y attendre sur des suspensions d’une telle qualité, les réglages fonctionnent bien et quelques déclics sur les réglages de la compression ont un effet remarqué sur leur action. La constante de rappel des ressorts est quelque peu rigide (particulièrement pour quiconque pèse moins de 81,5 kg/180 lb), le contrôle des roues et la tenue de route l’emportant sur le confort.
Le personnel de KTM a également accordé la priorité au freinage, comme en témoignent le choix des composantes Brembo de première qualité et le câble de frein en acier tressé aux deux extrémités. À l’avant, un simple disque de frein de 320 mm est pincé par un étrier à quatre pistons à montage radial doté de quatre plaquettes de frein procurant une adhérence accrue. À l’extrémité du guidon, un maître-cylindre radial assure la pression. Le résultat final est un frein avant qui peut, et fera, lever la roue arrière d’une simple pression des doigts. Il ne s’agit pas juste d’une question de puissance, toutefois, et le léger effort requis, la remarquable rétroaction et la facilité de modulation fournissent une excellente combinaison. À l’arrière, un disque de 240 mm est jumelé à un étrier à simple piston. Bien que solide et généralement contrôlable, le frein arrière peut faire barrer la roue si on ne l’utilise pas avec précaution. On note la présence d’un levier rabattable, sans doute un vestige des origines de moto hors route du modèle.
L’instrumentation est un amalgame de cadrans analogues et numériques incluant un tachymètre, un indicateur de vitesse numérique et un témoin de la température du moteur sous forme de diagramme à colonnes. Malheureusement, il n’y a aucune jauge à essence même si on note la présence d’une lampe témoin (qui, étrangement, reste allumée sur environ 5 km après un plein d’essence). Les instruments sont bien positionnés et faciles à consulter, même en plein soleil.
Bien qu’il s’agisse d’un point plutôt subjectif, nous avons trouvé que la Duke constituait un ensemble très attrayant en raison de ses phares à faisceaux étagés qui lui confèrent un nez anguleux, de ses lignes angulaires excessives et de ses roues moulées. Parmi les caractéristiques dignes de mention, signalons le bras oscillant nervuré et la béquille latérale en aluminium taillé, qui ajoutent une touche d’exclusivité à un ensemble qui avait déjà du panache. La Duke a attiré les regards des passants tout au long de notre essai, nous ne sommes donc pas les seuls à ne pas être partiaux envers son allure. Même si notre moto d’essai était superbe dans sa livrée blanche, les versions en noir intégral et en noir/orangé offertes en 2009 sont encore plus belles selon nous.
La Duke n’a toutefois pas que des qualités et certains détails sont loin de nous avoir plu. En haut de la liste figure le bouchon du réservoir d’essence récalcitrant qui s’est avéré extrêmement difficile à dévisser. Le bon côté, c’est que le raccord de mise à l’air libre le maintient en place quand on fait le plein, ce qui signifie qu’il n’y a aucun risque de le laisser derrière soi par inadvertance. De plus, bien que la gestion thermique soit généralement acceptable, tout comme la RC8 du même constructeur dotée du même système d’échappement abaissé, une quantité importante de chaleur est transmise au niveau des pieds dans la circulation dense. Enfin, pourquoi le sélecteur du mode de puissance n’est-il pas situé à un endroit plus accessible ? Bien que le fait de choisir un autre mode ne soit pas une tâche impossible, on ne peut pas le faire à la volée comme c’est le cas sur les modèles de Suzuki équipés du système S-DMS.
En tant que seul monocylindre délinquant vendu actuellement, la Duke occupe un créneau unique sur le marché. Si nous nous fions à notre essai de la dernière incarnation de ce super mono, nous sommes convaincus qu’elle est là pour de bon. KTM a grandement assoupli les aspects plus rudes de l’ancienne Duke pour produire une moto de route bien équilibrée qui conserve un côté sportif qui la rend agréable à piloter. Si le mot plaisir est l’un de vos principaux critères en vue de l’achat de votre prochaine monture, vous vous devez de considérer la Duke. Assurez-vous toutefois d’amener votre chéquier avec vous, juste au cas…
En selle
Comme les temps ont changé ! Il y a à peine quelques années, les acheteurs en quête de performance levaient le nez sur les monocylindres destinés à une utilisation sur route. Bien entendu, cette attitude a commencé à changer quand KTM a procédé au lancement de son premier modèle Duke mais, même si ce modèle avait déjà fait ses preuves sur les pistes de supermoto, il s’agissait d’une monture sans compromis qui pouvait difficilement être considérée comme une moto à utiliser au quotidien. Arrive 2008, et ce que les ingénieurs de Mattighofen ont réussi à accomplir n’est rien de moins que remarquable ? ils ont conservé (et amélioré) le potentiel jouissif de la Duke tout en lui conférant un côté pratique et un attrait pour une utilisation quotidienne. La nouvelle Duke conserve sa rudesse et son tempérament caractériel pour assouvir notre côté voyou, livre des performances et une tenue de route qui laisseront les propriétaires de multicylindres loin derrière vous sur les routes sinueuses étroites, tout en se montrant à la hauteur de vos attentes lors de vos déplacements quotidiens et de balades de durée moyenne sur les routes de campagne. En effet, la dernière incarnation de la gamme des modèles Duke de KTM vous permet d’avoir le meilleur des deux mondes. Et qui ne souhaite pas ça ?
? Michel Garneau
Si vos compagnons de route roulent tous sur des sportives récentes, amusez-vous d’eux — allez-même jusqu’à les mettre dans l’embarras — en vous pointant au guidon d’une Duke 690 lors de votre prochaine virée de groupe sur vos routes sinueuses préférées. Il n’y a aucune raison pour que vous ayez besoin d’une autre moto que ce joyau pour les laisser loin dans votre sillage. Elle possède suffisamment de puissance, un châssis super rigide, et par dessus tout, sa tenue de route surpassera celle de presque n’importe qu’elle supersport si les droits entre les virages ne sont pas trop longs. Vous vous amuserez comme un petit fou en utilisant son couple pour faire soulever la roue avant sur des crêtes. Mais soyez prévenu, lorsque vous vous retrouverez dans un café après votre balade, faites preuve d’humilité et ne faites pas trop de cas du fait que vous êtes arrivé premier sur votre mono, car sinon, vous risquez de vous retrouver seul la prochaine fois…
— Costa Mouzouris