Honda DN-01, l’autocycle

Par Neil GrahamPublié le

Honda est en quête de nouveaux motocyclistes. Avec la CBR125R, le fabricant s’attaquait au marché des débutants; avec la DN-01, il tente de séduire les automobilistes.

Assis dans un café, mon regard se dirige vers trois motards à l’allure douteuse, scrutant la Honda DN-01 stationnée à l’extérieur. Je ne peux qu’imaginer ce à quoi ils pensent. Ils portent des chandails sans manches et des pantalons qui ne couvrent plus très bien leur postérieur… Leur peau est de la couleur d’un homard bien cuit, excepté leur ventre, blanc comme une perle, qu’ils laissent entrevoir lorsqu’ils relèvent leur chandail pour se gratter… Si le lancement de Honda se déroulait ailleurs qu’au Bike Week de Daytona, je les aurais pris pour des sans-abris et je leur aurais acheté un sandwich. Mais ça se corse. Ils regardent dans le café, tentant de trouver le propriétaire de la DN-01. Ils entrent, laissant pénétrer l’impardonnable soleil d’un après-midi floridien, tandis que discrètement, je me mets à chercher la porte arrière.

Durant les instructions matinales, Warren Milner de Honda Canada a exprimé ce que nous avions tous pensé en voyant les premières images de la DN-01 : « C’est quelque chose de complètement différent, quelque chose que personne n’avait exigé. » Voilà un commentaire qui peut s’interpréter de deux façons. Nous ne demandons pas une augmentation des taxes, mais qui n’aime pas une bordée de neige imprévue qui nous fait prendre une journée de congé pour aller glisser ? Le commentaire de M. Milner référait sans doute à la deuxième option.

La division motocyclette de Honda se laisse parfois emporter dans un coma auto-infligé. C’est le genre de malaise sans direction qui afflige de grosses entreprises qui ont eu beaucoup de succès commercial. Par chance, la qualité des produits fabriqués par Honda n’a jamais souffert. Mais on ne peut pas dire la même chose de son imagination. La création de nouveaux modèles a beaucoup ralenti et les modèles existants n’ont pas été renouvelés. Honda a manifesté sa frustration à l’égard des motocyclistes, ces derniers ne reconnaissant pas la supériorité de ses produits ! Si Honda était un garçon de six ans, on le qualifierait de petite brute.

Mais les brutes peuvent être rééduquées. Honda aussi. En premier lieu, le fabricant a précisé le créneau de la CBR1000RR, comme moto sportive, et ensuite il a dévoilé la Fury, l’interprétation japonaise d’une motocyclette chopper nord-américaine qui a le mieux fonctionné à ce jour. Cette année, Honda nous offre la DN-01. Mais contrairement à la Fury et la CBR, qui s’insèrent dans des créneaux bien établis, la DN-01 est un peu comme une danseuse de baladi qui joue du bongo. Il est difficile de savoir quoi en penser. Périodiquement, Honda s’est aventuré en territoire inconnu au cours de son histoire. Parfois, ça fonctionne (son VTT à trois roues a mené au VTT à quatre roues qui, lui, a démarré le phénomène Quad), mais d’autres fois, c’est raté (la moto de tourisme sportif Pacific Coast s’est éteinte comme aucune autre).

Milner avoue que la DN-01, vue à travers le spectre de l’évidence statistique, n’impressionnera probablement pas la majorité des motocyclistes. Les motocyclettes de moyenne cylindrée qui se vendent 17 499 $ ont une façon de pousser les vieux routiers à clamer la fin de la civilisation. Mais la DN-01 n’est pas une machine destinée aux motocyclistes existants. « Ce n’est pas une motocyclette sportive ni une cruiser ni un scooter, poursuit Milner. Nous la qualifions de motocyclette multisegment. Elle est destinée aux gens qui, en temps normal, ne songeraient pas à se procurer une motocyclette. »

Tandis que la CBR125R et son énergique commercialisation tentaient d’attirer de jeunes gens vers le motocyclisme, la DN-01 essaie de toucher une tout autre tranche de motocyclistes potentiels. La DN-01 est une motocyclette… pour les automobilistes ! La dernière fois que j’ai jeté un coup d’œil dans ma fenêtre de bureau, il ne semblait pas en manquer. Mais comment conçoit-on un véhicule à deux roues pour un conducteur de véhicule à quatre roues?

Premièrement, il faut se débarrasser des vitesses. À moins que ce ne soit une voiture économique de base, l’utilisation d’une transmission manuelle est laissée au choix du conducteur, ce n’est pas une nécessité. Pour la DN-01, Honda a jumelé un moteur bicylindre de 680 cm3 refroidi au liquide à une boîte portant l’acronyme le moins technique du monde de la motocyclette, soit HFT, Human Friendly Transmission. Mais ce n’est pas une transmission à variation continue du type qu’on trouve sur la plupart des scooters et quads; c’est un dispositif hydromécanique sophistiqué pressurisé à l’huile de moteur. En guise de démonstration, Milner a pris un bagel qui se trouvait sur le plateau de déjeuner et y a inséré un marqueur, le faisant ensuite tourner sur lui-même. Le bagel s’est mis à vaciller. En termes de transmission, c’est le plateau cyclique et il est fixé au vilebrequin. Tandis que le plateau cyclique tourne, il pousse sur des pistons du diamètre d’une cigarette, créant une pression hydraulique. L’huile pressurisée est ensuite transférée à un autre plateau cyclique qui, contrairement à celui qui est fixé sur le moteur, présente des angles variables; c’est cette variation d’angles qui transmet un ratio d’entraînement variable (par l’arbre) à la roue arrière. À des vitesses d’autoroute, dès que le moteur et la roue motrice atteignent un ratio 1:1, le dispositif se barre automatiquement afin d’éliminer les pertes dues à l’inefficacité hydraulique. La détermination de l’angle du plateau cyclique est complexe. Un dispositif de régulation numérique du moteur gère le procédé en fondant ses décisions sur la vitesse du moteur, la charge et la vitesse de l’arbre de sortie. Honda affirme que la transmission HFT fonctionne avec un taux d’efficacité de 90 %, comparativement à 70 % pour une transmission à courroie à variation continue.

Malgré cette description complexe, le système fonctionne en toute simplicité. Le moteur étant à peine audible, il est nécessaire d’appuyer sur un commutateur à bascule placé à droite du tableau de bord pour l’activer. Cela permet, d’après un Milner au visage sérieux, « au moteur d’être mis au neutre à un feu rouge et d’être rinsé. » Mais même lorsqu’il est emballé, on n’arrive pas à l’entendre, donc je ne crois pas que les gens succomberont plus d’une fois aux charmes de cette monture.

Le moteur possède deux modes automatiques et un mode manuel. Drive est le mode standard et, comme c’est le cas avec toutes les transmissions à ratio variable, une fois que vous roulez, le moteur conserve une vitesse relativement constante (dans le cas de la DN-01, environ 4 000 tr/min). En mode Sport, les révolutions montent jusqu’à 4 800, entraînant des accélérations plus vives. Et pour ceux qui aiment tout faire eux-mêmes, il y a six préréglages de transmission manuelle, accessibles par un commutateur situé à gauche sur le tableau de bord. Le changement manuel des vitesses permet des accélérations plus dynamiques, mais elles ne sont pas beaucoup plus efficaces qu’en mode Sport, donc ça ne vaut pas vraiment la peine. Comme on s’y attend, le système est très facile à utiliser. Si la DN-01 ralentit jusqu’à s’immobiliser et que vous êtes en sixième vitesse en mode manuel, la transmission a la capacité de percevoir votre inaptitude et rétrogradera pour vous. Sachez que vous pourrez passer d’une transmission manuelle à une transmission automatique à tout moment. L’une des critiques adressées aux véhicules munis d’une transmission à variation continue est qu’à mesure qu’on ralentit — au point où la transmission débraye —, il arrive qu’on ressente une étrange sensation d’accélération, tandis que le système se met à rouler au point mort. Les ingénieurs de Honda ont tenté de dupliquer la sensation du freinage en compression en permettant à la pompe hydraulique de ralentir la roue arrière. Ça fonctionne bien, limitant et amoindrissant la sensation de rouler au point mort jusqu’au dernier mètre avant un arrêt complet.

L’idée de concevoir une motocyclette qui est destinée aux automobilistes a fait sourciller plusieurs invités lors de la présentation de Milner. Le long capot d’une auto procure une sensation de sécurité. La DN-01 tente de reproduire cet effet avec une section avant allongée. Du point de vue d’un motocycliste, c’est plutôt inusité; un peu comme si on conduisait la motocyclette à partir de la selle arrière. Mais la position de conduite combine la selle basse (690 mm/27,2 po) d’une moto cruiser avec le guidon et les plates-formes d’une moto standard. Oui, des plates-formes, car les automobiles n’ont las de repose-pieds !

Grâce à ses pneus de motocyclette sportive, son maniement est équilibré et rassurant, tandis que le dégagement latéral est plus que suffisant pour les trajets sinueux rapides. La suspension est flexible sans s’embourber en vitesse supérieure. Paradoxalement, les motocyclistes veulent être protégés du vent, mais les automobilistes, habitués d’avoir un toit, des portes et un pare-brise, veulent du vent. La seule chose que le petit pare-brise de la DN-01 réussit à faire est de bloquer le tachymètre graphique pour les pilotes mesurant plus de six pieds.

Avec un empattement de 1 605 mm (63,2 po) et un centre de gravité très bas, la DN-01 possède des caractéristiques issues autant des automobiles que des motocyclettes. Son frein avant, qui souffre quelque peu d’un manque de feedback, fournit un freinage adéquat, sans plus. Mais si vous appuyez sur la pédale du frein arrière, en plus d’utiliser le frein avant, les freins — liés par un système antiblocage — immobiliseront la DN-01 avec vigueur, sans le tangage caractéristique des motocyclettes standard. Très rassurant, comme une automobile.

Selon Milner, la DN-01 est un succès en Europe, mais les motocyclistes nord-américains se méfient habituellement des concepts inhabituels. Par contre, si elle n’a pas été conçue pour nous, les motocyclistes, nous ne sommes peut-être pas les bonnes personnes auprès de qui s’informer. Qu’importe sa raison d’être, elle se comporte bien, s’immobilise solidement et atteint facilement 160 km/h. Et elle attire l’attention. Vraiment. Vous vous rappelez ces motards que je tentais de fuir ? Il s’est avéré qu’ils avaient lu des articles à propos de la DN-01, et la trouvaient tout simplement superbe. Qui aurait cru ?

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