Archives – Essai Moto Journal Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022

Par Bertrand Gahel. Photos : Bertrand Gahel et Suzuki Canada. Publié le

*Archives – Cet article est tiré du Vol. 50 No. 7 de Moto Journal.

Une troisième génération pour la légendaire Hayabusa

L’annonce d’une nouvelle Hayabusa est un rare événement. Durant les deux décennies suivant l’arrivée de la Busa originale en 1999, une seule refonte du modèle fut offerte par Suzuki, en 2008. En 2021, la marque de Hamamatsu met finalement un terme à des années de rumeurs et dévoile la GSX1300R Hayabusa 2022 de troisième génération.

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Suzuki Canada.

Avec si peu de nouvelles excitantes à propos de la Hayabusa à travers les années, avec la disparition de la course aux records de vitesse de pointe et avec l’arrivée sur le marché de multiples sportives pures ultralégères produisant autour de 200 chevaux, le monde du motocyclisme semble un peu avoir oublié la raison d’être de la grosse Suzuki. On pourrait même s’interroger sur le bien-fondé de sa présence sur le marché en 2021. Les motocyclistes ont-ils tout simplement tourné la page et passé à autre chose? Sommes-nous à une époque si différente de celle où cette fameuse chasse aux plus de 300 km/h était tellement captivante qu’une machine totalement dédiée à cette mission n’a plus beaucoup d’intérêt?

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Bertrand Gahel.

Si tel était le cas, le monde automobile nous indique qu’il existe un remède infaillible pour raviver la flamme, celui des performances extrêmes. Suzuki n’aurait ainsi qu’à dévoiler une Busa turbo de 300 chevaux capable de 400 km/h pour que la planète entière se mette à parler du nouveau monstre. La formule est utilisée avec beaucoup de succès chez les voitures où on entend désormais parler de 1000 chevaux et plus avec régularité.

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Bertrand Gahel.

Mais ça n’est pas la direction choisie par Suzuki pour faire évoluer la Hayabusa 2022. Loin de là, en fait, puisque le modèle perd une demi-douzaine de ses 197 chevaux et représente plutôt une bonne mise à jour de la version précédente. Plusieurs amateurs n’ont d’ailleurs pas caché leur déception face à ce conservatisme.

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Bertrand Gahel.

D’une certaine façon, mon premier contact avec la Busa 2022 refléta ce faible degré d’excitation. J’ai eu la chance de participer au lancement mondial de la version originale de 1999. Il se déroulait en Espagne et demeure à ce jour l’un des événements de presse les plus mémorables auxquels j’ai pris part. Je me souviens du discours du relationniste de presse de Suzuki : « Le modèle a le nom d’un faucon capable d’atteindre les 300 km/h, mais nous vous demandons de respecter la limite vitesse sur la portion d’autoroute de notre trajet, qui devrait durer 45 min. »

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Suzuki Canada.

Sans problème, Monsieur.

Une fois la fameuse autoroute arrivée, des journalistes venus de partout dans le monde pour faire l’expérience de cette prétendante au trône de la vitesse firent exactement le contraire et enroulèrent sans retenue l’accélérateur de la nouveauté. J’ai suivi de mon mieux le peloton de tête. Jamais de ma vie je n’ai roulé aussi vite et aussi longtemps sur la route. Le trajet de 45 min n’a duré que 15 min et le compteur n’affichait moins de 300 km/h que lorsque l’autoroute n’était plus parfaitement droite. Heureusement, les grands amateurs de vitesse et de course que sont les Espagnols coopérèrent en laissant toute la place nécessaire au convoi de Hayabusa et en nous envoyant même la main. Un moment de moto absolument inoubliable.

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Suzuki Canada.

Bien qu’un peu moins exotique, la présentation de la seconde génération, la 2008, sur la piste de Road America au Wisconsin, aux États-Unis, fut elle aussi généreuse en vitesse. Le tracé ultrarapide permettait de voir apparaître les 300 km/h au compteur (donc un peu moins au radar) trois fois par tour. Brasser la longue et lourde Suzuki autour du circuit s’avéra exceptionnellement difficile d’un point de vue physique, au point où je ne me souviens pas d’un autre test sur circuit plus drainant en énergie. Après quelques intenses séances matinales durant lesquelles il était hors de question de se faire passer par les journalistes américains, je me suis mis à avoir des crampes particulièrement sévères aux mains et aux avant-bras, un gros problème au moment du lunch puisque je n’arrivais plus à presser la bouteille de ketchup.

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Suzuki Canada.

L’exotisme de l’essai de la troisième génération de la Hayabusa était d’un tout autre niveau, puisque je l’ai simplement récupérée dans le driveway d’Éric Ménard, qui venait d’en terminer le tournage pour son Show de Moto. Fait intéressant, toutefois, il s’agissait d’une moto de série et non d’une version de préproduction spécialement préparée pour un lancement de presse. J’ai souvent remarqué, du moins chez les constructeurs japonais, que les versions de production livrées chez les concessionnaires sont plus raffinées que les modèles de préproduction des présentations officielles, et c’était l’impression que j’ai eue dans ce cas. Par ailleurs, le fait de tester une nouveauté localement amène aussi l’avantage du choix des conditions d’essai, alors que c’est le contraire durant un test à l’extérieur. Bref, à défaut d’être exotique, réaliser l’essai de la nouvelle Busa au Québec a quand même eu certains avantages.

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Suzuki Canada.

Suzuki a retouché la Hayabusa de troisième génération à presque tous les niveaux. La nouveauté propose principalement une facilité de pilotage supérieure grâce à l’arrivée d’une foule d’assistances électroniques, une amélioration de la longévité de la mécanique et un style entièrement revu. Les amateurs du modèle qui paieront les 22 399 $ pour acquérir la 2022 (une augmentation de prix importante par rapport aux 15 699 $ de la 2020) obtiendront donc une Hayabusa considérablement améliorée, mais pas réinventée.

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Suzuki Canada.

On constate ce fait dès l’instant où l’on s’allonge le torse pour rejoindre les poignées. Cette position, qui couche carrément le pilote au-dessus du réservoir, a déjà été commune chez les sportives, mais il y a de cela des décennies. Aujourd’hui, la norme est une posture bien plus compacte dictée par une distance nettement réduite entre la selle et les poignées. Prendre les commandes de la Hayabusa représente ainsi un voyage dans le temps ramenant le pilote à une autre époque des sportives, du moins en termes d’ergonomie.

Il ne s’agit pas d’une position de conduite confortable à moins de rouler suffisamment vite pour que la pression du vent vienne soulager les mains du poids qu’elles supportent. D’ailleurs, parmi les nouvelles caractéristiques de la Busa 2022 se trouve un régulateur de vitesse acceptant d’être activé jusqu’à 200 km/h. Pratique sur l’autobahn peut-être…

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Suzuki Canada.

Il est un peu dommage que Suzuki n’ait pas profité de cette révision pour réduire ou même éliminer l’aspect radical de la position, car pour le reste, en termes de confort, la Hayabusa n’est pas mauvaise du tout. La selle, par exemple, s’avère étonnamment large et moelleuse pour une sportive, tandis que les suspensions, qui demeurent entièrement ajustables, ont été revues et offrent une souplesse remarquable qui isole le pilote de coups rudes même sur mauvais revêtement. Compte tenu du fait que le test fut effectué dans les environs de Montréal sur des routes dont l’état était souvent épouvantable, cette constatation représente un très beau compliment envers la nouveauté. En fait, on se met parfois à rêver, aux commandes de la Busa, d’une variante routière du modèle, d’une Hayabusa GT : même superbe style, même puissance et gros couple, même châssis absolument imperturbable et même technologie, mais avec une paire de valises bien intégrées et des poignées considérablement plus hautes et reculées permettant une position de conduite redressée. Mais bon.

Non seulement la puissance de la Hayabusa 2022 n’a pas augmenté, mais elle a plutôt été réduite d’une demi-douzaine de chevaux. Décevant? Oui, toujours. On ne souhaite jamais reculer à ce chapitre, sur ces motos. Cela dit, il reste encore environ 190 chevaux, ce qui n’a rien de banal. Suzuki offre comme raisons, pour ce recul, une amélioration du couple à bas et moyen régimes, soit les tours principalement utilisés en conduite quotidienne; une optimisation de la fiabilité à long terme; une réduction des vibrations; et finalement le respect de la norme Euro 5. Afin d’atteindre ces buts, le gros 4-cylindres a fait l’objet d’un travail de révision important qui a touché pratiquement toutes ses pièces internes.

Suzuki GSX 1300R Hayabusa 2022. Crédit photo : Suzuki Canada.

À n’en pas douter, nombreux seront les débats sur les choix faits par Suzuki qui, soit dit en passant, rassure les éventuels acheteurs du modèle en confirmant que la vitesse de pointe de 299 km/h demeure intacte sur la Busa 2022. Tous ces débats prennent néanmoins fin dès l’instant où l’on arrête de discuter et qu’on passe à la réalité en ouvrant entièrement l’accélérateur électronique de la grosse Suzuki et en enfilant les six rapports de son excellente transmission.

Oh-mon-Dieu.

Même en étant familier avec les performances des dernières hypersportives de plus de 200 chevaux, l’accélération de la Hayabusa ébahit, mystifie, stupéfie. Rien sur le marché — à part sa rivale de chez Kawasaki, évidemment — n’a la capacité de se catapulter vers l’avant, à partir d’un arrêt, avec une telle intensité. Et avec une telle facilité aussi, puisque l’exercice ne demande que des compétences moyennes maintenant que les nouvelles assistances électroniques gardent le tout sous un parfait contrôle.

Suzuki a mis beaucoup de temps avant d’entrer dans l’ère des assistances électroniques. La Hayabusa 2022 offre à peu près toutes les aides au pilotage communes aujourd’hui comme le contrôle de traction, le freinage ABS combiné, des modes de puissance (dont l’un réduit beaucoup la puissance, d’une soixantaine de chevaux environ— Suzuki ne communique pas le chiffre officiel), le contrôle du frein moteur, un sélecteur de vitesses assisté et un système de prévention du soulèvement de l’arrière en freinage intense. La nouveauté innove aussi avec une fonction permettant de déterminer une vitesse maximale afin d’éviter les excès involontaires. Toutefois, l’une de ces aides au pilotage se démarque, soit celle qui contrôle le soulèvement de l’avant durant les accélérations, ou Lift Control. Notons qu’au cœur de ces assistances électroniques se trouve une unité de mesure inertielle (Inertial Measurement Unit, ou IMU) à six axes. Il s’agit présentement de la technologie la plus avancée en matière de collection de données servant aux divers systèmes d’assistance au pilotage et dans le cas de la Hayabusa 2022, sa présence est directement responsable de l’efficacité du système anti-soulèvement.

N’importe quel propriétaire de sportive pure récente sait que le soulèvement de l’avant représente un aspect particulièrement difficile à maîtriser en pleine accélération à partir d’un arrêt, sur le premier rapport. Parce qu’elle est beaucoup plus longue, lourde et basse qu’une sportive pure comme une GSX-R1000, la Hayabusa a toujours eu un avantage naturel durant ce type d’accélération. Le système anti-soulèvement élève cet avantage de façon marquée en laissant la roue avant quitter le sol de quelques centimètres à peine (s’il est réglé ainsi, puisqu’il peut aussi être ajusté pour empêcher complètement l’avant de quitter le sol, ou encore être désactivé) dès le relâchement de l’embrayage. Durant la suite de l’accélération maximale sur les premier et second rapports, le système maintient le pneu avant à cette distance du sol avec une précision absolue et sans qu’on sente son intervention, permettant à toute la puissance de la Hayabusa d’être utilisée avec une facilité stupéfiante. Les experts en courses d’accélération expliquent toujours qu’un quart de mille parfait est celui où l’avant se soulève dès que possible de quelques centimètres et reste ensuite là le plus longtemps possible, une description qui correspond exactement au comportement de la nouvelle Hayabusa, et ce, peu importe l’expertise du pilote qui en prend les commandes. Le résultat est une accélération à partir d’un arrêt à la fois amusante et phénoménale qu’aucune sportive pure courte, haute et légère ne peut égaler, du moins tant qu’elle n’est pas pilotée par un coureur de très haut calibre, et encore.

La Hayabusa 2022 n’est finalement ni plus puissante ni plus rapide que sa devancière, mais ses nouvelles assistances au pilotage rendent ses fantastiques accélérations nettement plus accessibles. Et ces furieuses accélérations demeurent la caractéristique clé du modèle. Les montures similaires à la GSX1300R Hayabusa sont si peu nombreuses et si rarement renouvelées qu’il est facile d’oublier la férocité de leurs performances après plusieurs années à tester les nombreuses sportives pures de grosse cylindrée. On s’habitue à la façon dont accélèrent ces dernières, c’est-à-dire très difficilement en première et même en seconde vitesse alors qu’elles veulent toujours se soulever, puis très fortement ensuite. Mais reprendre les commandes d’une Busa met les choses en perspective et rappelle clairement pourquoi elle a atteint le statut de machine mythique. Il est vrai, sur circuit, que la grosse Suzuki ne fait que se débrouiller, sans plus. Mais lorsqu’il n’est plus question de tours de piste et plutôt de 0-300km/h, elle se retrouve dans son élément naturel et l’expérience qu’elle fait vivre demeure absolument phénoménale.

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