Miracle à Milwaukee

Par David BoothPublié le

Harley-Davidson transforme ses produits en authentiques moto.
Je roule sur le circuit du Blackhawk Farms Raceway, un petit ruban d’asphalte sinueux à une heure de route de Milwaukee. Il s’agit d’un circuit régional qui, un peu comme Shannonville près de chez nous, offre un pavé qui a connu de meilleurs jours et où la manœuvrabilité, des suspensions bien contrôlées et une ample garde au sol, pour négocier les quelques virages en devers, sont requis. Et de bons freins, car les deux longues lignes droites se terminent en épingles diaboliquement serrées. Un tracé parfait pour une légère 600 supersport, une Triumph Daytona 675 cc pour moi s’il-vous-plait, pour le couple du trois cylindres en sortie de courbe lente et sa partie cycle affûtée. À la rigueur, un gros mono fera l’affaire avec des freins presque aussi efficaces qu’un mur de briques et assez de garde au sol pour exciter Marc Marquez. Pas de 1000 cc, par pitié; simplement trop de puissance. Même une 750 me semblerait excessive sur un circuit aussi serré que Blackhawk.

Pourquoi donc je chasse les points de corde, à quelques millimètres des vibreurs, sur une Harley Softail Slim ? Oui, une Harley Softail. Oui, une Slim. Eh oui, vous avez bien lu, sur une piste de course.

Les mots Softail et piste de course sont rarement utilisés dans une même phrase, à moins bien sûr de vouloir dénigrer une utilisation inappropriée, et plus particulièrement la Slim, la moins bien nantie en garde au sol des Harley, qui sont toutes limitées en ce qui concerne cet élément. Pourtant, je fonce vers le long virage Blackstone sur cette Slim en me demandant à quel moment les marchepieds vont rencontrer la piste. J’en suis à mon deuxième tour et toujours pas d’étincelles sous ceux-ci. Une légère paranoïa s’installe; est-ce que je ne fais pas ce que je dois ? pas assez rapide ? je prends les mauvaises lignes ? ou quelque chose ? car la danse « on racle, on se dandine, on racle et on se dandine encore » qui arrive normalement lorsque l’on tente d’incliner une Softail Slim de quelques degrés ne se produit pas.

Quelques tours plus tard, la Deluxe, une autre Softail reconnue pour laisser voler les étincelles à chaque virage, refuse tout autant d’user facilement sa quincaillerie sur le bitume. Bien sûr qu’éventuellement les repose-pieds en viennent à toucher la piste, mais ce n’est qu’après m’être mis à rouler, vraiment oui, comme sur une vraie moto. En plus, la suspension de la Deluxe ne talonne pas sur cette grosse bosse au virage trois, ça me laisse perplexe.

J’exagère à peine, les repose-pieds de la Deluxe et de la Slim en ont pris pour leur rhume, mais nous assistons ici au plus gros changement d’une gamme de modèles de l’histoire récente d’Harley-Davidson. Il n’y aura plus de Dyna, tous les modèles munis de ce cadre seront désormais bâtis sur la plateforme Softail qui, comme vous avez pu le déduire par mes commentaires plus haut, est grandement améliorée.

Premièrement les amortisseurs montés sous le moteur des précédentes Softail sont mis au rancart, remplacés par le cadre appelé Da Vinci (selon des documents internes secrets que j’ai vu de façon fortuite). Il s’agit d’un cadre avec une grosse poutre centrale qui va du pivot de fourche au simple amortisseur de type cantilever. Deux concepts connus depuis longtemps, les cadres fabriqués par Fritz Egli ont fait connaître les cadres avec poutre en épine dorsale (quoique celle d’Egli soit ronde, tandis que la poutre du cadre Harley est rectangulaire) et la nouvelle suspension monoamortisseur de Milwaukee a des relents d’une machine de cross de la fin des années 1970, ce qui ne diminue en rien l’efficacité de ces deux composantes.

Le diable, ici plutôt la rigidité du cadre, est dans les détails. Ben Wright, ingénieur en chef du projet Softail, confie qu’en optimisant la géométrie, l’amortisseur arrière est parfaitement aligné sur le centre du cadre, la poutre principale a moins de force de torsion à encaisser et peut donc être significativement plus légère, contribuant à abaisser le poids du cadre Softail de sept kilos tout en étant 35 % plus rigide selon les affirmations de Harley. De plus, nous dit Wright, en formant une boîte avec la poutre supérieure, les ingénieurs d’Harley ont placé la majorité du faisceau électrique à l’intérieur du cadre pour cette allure dépouillée, sans câblage apparent, ce que les spécialistes des modifications personnalisées nous disent difficile à exécuter proprement et pour lequel ils demandent des milliers de dollars. Un autre avantage de ce faisceau à l’intérieur du cadre est le port USB placé à l’avant, où la serrure de blocage de la direction résidait auparavant.

De plus, ce nouveau cadre, et suspension arrière, est doté d’un amortisseur classique, qui se voit compresser (tandis que l’ancien système étire l’amortisseur), facilitant l’ajustement de la précontrainte du ressort.

La facilité de cet ajustement dépend du modèle. Pour des raisons d’espace et de style, ne permettant pas d’ajusteur de précontrainte externe, les Slim (19?499 $), Street Bob (17?999 $) et la nouvelle Low Rider (18?999 $) exigent d’enlever la selle et de s’attaquer à l’amortisseur avec un outil traditionnel afin de régler le ressort. Les modèles moins limités en espace, Heritage Classic (22?999 $) et Deluxe (22 499 $), disposent d’une molette de précontrainte hydraulique, toujours sous la selle, mais beaucoup plus conviviale d’utilisation. Les versions plus sportives de la lignée Softail, les Fat Bob (21?299 $), Fat Boy (22?999 $) et la Breakout (22?999 $), disposent, concession à la modernité, d’une molette de précontrainte similaire à celle se trouvant sur une moto sport tourisme ou d’aventure haut de gamme.

Deux longueurs d’amortisseurs, non interchangeables entre les modèles comprenez bien, offrent des débattements différents. Les modèles cruisers se débrouillent avec 86,4 mm de mouvement vertical de la roue arrière tandis que la Fat Bob et la Heritage Classic, plus sportif et pour le tourisme, s’offrent « un bon » 112,8 mm de débattement. La suspension à l’avant est confiée à une fourche Showa Dual Bending Valve, la même qui équipait les modèles tourisme l’an dernier.

Ceci couvrant la partie cycle, comme vous pouvez vous y attendre, toutes les Softail de la mouture 2018 seront propulsées par le nouveau V-Twin de Harley, le Milwaukee-Eight. Essentiellement, le vénérable V-Twin à 45º mis à jour, culasses à quatre soupapes, le 107 pouces cubes (1746 cc) équipe les Slim, Deluxe, Street Bob et Low Rider. Les Heritage, Breakout, Fat Bob et Fat Boy sont disponibles avec le 107 po3 ou le moulin de 114 po3 (1868 cc). Toutefois, les Softail, avec le Milwaukee-Eight, sont toutes dotées de deux arbres de balanciers vu le montage rigide, contrairement aux modèles tourisme qui sont montés sur caoutchouc.

Notez que ces moteurs sont passablement plus puissants que les précédents Twin Cam 103, résultant en accélération 10 % plus rapide selon Harley, mais l’accent est toujours sur le couple avec 78 chevaux pour le 107 et le 114 en développant environ 82 à la roue arrière. Et si vous êtes armé d’assez de dollars et d’un accueillant concessionnaire, vous aurez le loisir d’opter pour l’un des quatre ensembles Screamin’ Eagle. L’ensemble Stage IV, qui comprend arbres à cames, corps d’injection et pistons plus gros ainsi que des culasses retravaillées, porte la puissance à la roue arrière à 120 chevaux pour le 107 (qui passe à 114 po3) et 122 chevaux pour le 114 (gonflé à 117 po3). Et bien sûr, ces kits répondent aux normes antipollution (vous vous souvenez peut-être qu’Harley a connu quelques problèmes juridiques avec les émissions de kits Screamin’ Eagle dernièrement). J’espère que nous aurons la chance de faire l’essai d’un Stage IV complet bientôt.

Sans négliger cette infusion de puissance, ce n’est pas le point central de cette refonte 2018. Comme il a été mentionné, la Slim et la Deluxe sont grandement améliorées côté comportement. Les cyniques diront que, A : le point de départ était très bas, B : que ces améliorations majeures que je vante ne les amènent qu’au niveau d’une moto normale. Les détracteurs de la marque ont maintenant un important point en moins pour les dénigrer et ceux qui hésitaient à faire le saut et acheter une Harley à cause de leurs déficiences dynamiques se voient confortés.

Dans la mesure où ces deux dernières sont bonifiées, c’est la Heritage Classic refondue qui progresse le plus. Celle qui n’était auparavant qu’une moto de tourisme moyenne (une suspension sèche, peu encline à accepter une pleine charge passager/bagages et valises à l’étanchéité aléatoire) est devenue une sérieuse alternative à la Road King comme meilleure sport tourisme de la gamme Harley. Le Milwaukee-Eight 107 dispose d’amplement de couple, même avec un passager, la suspension (le monoamortisseur à long débattement et la fourche Showa Dual Bending Valve) est à la hauteur de son rôle et les valises sont à l’épreuve de l’eau, en plus d’être désormais verrouillables. L’ajustement de la précontrainte hydraulique permet aussi de les charger à bloc sans avoir à se soucier du talonnage. Doté du 114, la Heritage Classic aura amplement de jus, surtout comparée à une Road King qui fait au moins 50 kilos de plus.

Les modèles Softail ont fait un pas de géant avec cette transformation, mais les précédents Dyna en ont aussi profité. Même le Street Bob, avec son guidon surélevé, peut être brassé sérieusement dans les courbes. Encore ici, cela demande une certaine adaptation pour se lancer sur l’angle avec une Harley munie d’un guidon haut sans que les repose-pieds se désintègrent. Les autre cruisers, soit la Low Rider et la Breakout, font aussi un bond en avant, quoique moins important.

Bien que les altérations de design mécanique aux cruisers Softail soient importantes, c’est la sportive Fat Boy qui change d’apparence de façon radicale. Ce qui était un style Low Rider/Street Rod est remplacé par une attitude carrément sportive. Disparus les échappements traditionnels sur le côté, la place est prise par deux pots courts (rappelant des demi-Akrapovi?) rattachés à un collecteur 2-1-2. Même la position de conduite est, disons-le, sportive… du moins du point de vue d’une Harley. Puis, avec la suspension améliorée (monoamortisseur 112,8 mm de débattement et fourche inversée à cartouche) jumelée à l’angle de chasse le plus serré de toutes les Softail, 28 degrés, la tenue de route de la Fat Bob est légitimement (presque !) sportive.

Ces aptitudes sont cependant émoussées par la dévotion de Harley au style avant tout. Pour 2018 les designers de la Motor Company ont fait passer le pneu avant d’un 130/90-16 à un gigantesque Dunlop D429 de 150/80-16. Un look décidément agressif et esthétiquement très réussi, mais qui handicape le comportement. Ce qui était une tenue de cap précise sur la 2017 est devenu, avec la 2018, une obligation de maintenir une pression sur la poignée intérieure pour garder sa trajectoire en virage rapide. La Fat Bob 2018 est somme toute plus compétente, mais demande plus d’efforts.

Harley a suivi la même voie avec la Fat Boy, mariant ce qui semble un pneu arrière à la fourche. En fait, le 160/60R18 avant de la Fat Boy est plus gros que le pneu arrière de la Slim. Comme sur la Fat Bob, le Michelin Scorcher II surdimensionné de la Fat Boy n’aide en rien la conduite, mais peu s’en soucieront, contrairement à la Fat Bob. Ce qui importe plus est que l’exercice de style Fat Boy s’avère sûrement l’un des mieux réussis par Harley ces dernières années.

Et finalement, c’est ce qui se trouve primordial pour la Motor Company. Malgré que monsieur Wright soit très fier de la réussite côté moteur, partie cycle et suspension, ce qui compte le plus pour les fidèles demeure encore le look. L’aspect le plus important de ces améliorations est donc pour ceux qui sont indécis à faire le saut. Ils ont une raison de moins de ne pas accéder au produit le plus valorisé d’Harley : le style.

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