*Archives – Cet article est tiré du magazine numérique Mars 2022 de Moto Journal.
L’impressionnant maxi-scooter électrique BMW de seconde génération
Contrairement à l’Amérique du Nord où l’on ne se tourne presque jamais vers les deux-roues pour solutionner le problème de la mobilité urbaine, en Europe, il y a longtemps que motos et scooters fourmillent dans les grandes villes. Le nouveau maxi-scooter BMW CE 04 propose le même type de solution, pollution en moins.
Barcelone (Espagne). Il ne se passe plus une semaine sans qu’on entende parler d’un constructeur automobile annonçant l’arrêt du développement de ses moteurs à combustion ou l’arrivée prochaine d’un nouveau modèle électrique. Du côté des grandes marques de moto, toutefois, la pression de remplacer l’essence par l’électricité est de toute évidence largement inférieure. Les projets abondent quand même, comme chez Triumph où l’on a dernièrement annoncé que le prototype électrique TE-1 progressait. KTM et Husqvarna, quant à eux, disent avoir une E-Pilen et une E-Duke en développement, tandis que Kawasaki affirme que toutes ses motos seront électriques ou hybrides à partir de 2035. Sans parler des innombrables concepts électriques que Honda et surtout Yamaha présentent depuis des années. Mais en termes de modèles ayant atteint le stade de production, lorsqu’il est question de ces grandes marques, à peine une poignée existe. Dans ce contexte, le fait que BMW en soit déjà à présenter une seconde génération de son maxi-scooter à batterie —une monture complètement repensée par rapport au C Evolution de première génération— s’avère d’autant plus impressionnant.
Le style du CE 04 est intimement lié à la façon dont il est construit. Le chef du design chez BMW Motorrad, Edgar Heinrich, explique que travailler sur un projet électrique s’est avéré extraordinairement libérateur pour son équipe et lui : «Vous devez comprendre que l’architecture d’une moto animée par un moteur à combustion est presque immuable. Il y a très peu de choses qu’on peut bouger. Avec un produit électrique, on travaille avec une page blanche. Non seulement l’architecture est complètement différente, mais elle est aussi flexible. On peut bouger de gros morceaux si on le souhaite et ces choix nous amènent une liberté de design que nous n’avons pas eue depuis très longtemps. On peut être créatif et différent avec le style et les ingénieurs arriveront quand même à faire fonctionner le tout. On a vraiment tiré avantage de cette situation avec le CE 04.»
Heinrich n’exagère pas. Non seulement un simple regard vers la nouveauté démontre que son équipe a décidément eu l’approbation d’y aller librement en termes de créativité, mais par rapport au C Evolution de première génération, tous les composants du CE 04 ont effectivement été déplacés. Le C Evolution —le premier deux-roues électrique d’une grande marque— utilisait son massif module de batteries central comme élément structural du cadre et affichait une ligne similaire à celle des maxi-scooters à essence populaires. Le CE 04 est une machine complètement différente. Le cadre en acier à double berceau est d’un type plus commun, tandis que les principaux composants électriques proviennent du monde automobile. Par exemple, le moteur électrique de 42 ch est exactement le tiers du moteur du VUS hybride enfichable X1 de BMW. Même histoire avec le module de batterie de 8,9 kWh qui est simplement l’un des 11 modules qui alimentent le VUS électrique iX de la marque. Une différence notable dans le cas du module de batteries est que dans le cas du CE 04, les 40 piles de 3,7 V sont montées en série afin d’atteindre un haut voltage, soit 148 V. Comme pour la majorité des voitures électriques, le module de batteries est plat et logé horizontalement sous le «plancher», un choix qui garde le centre de gravité bas, qui n’entrave aucun espace important et qui permet au module d’être refroidi par l’air défilant sous le scooter. Le moteur est refroidi par liquide et logé juste en arrière, alors que le reste de la quincaillerie électrique est poussée en périphérie du cadre afin de dégager un volume de rangement au centre, entre les pieds du pilote. Il n’est pas énorme, puisqu’il accueille tout juste un casque intégral, mais pratique quand même.
Sur les maxi-scooters, l’espace destiné au rangement se trouve généralement vers l’arrière, sous la selle. Son déplacement au centre a complètement exposé l’arrière du CE 04, créant l’une des caractéristiques stylistiques les plus marquantes du modèle. Heinrich explique : «Il n’y a plus rien à l’arrière. Pas de silencieux, pas de couvercle de transmission CVT, rien. Alors on a laissé la partie arrière dégagée et en bonus, on a gagné un derrière très étroit permettant de se faufiler plus facilement dans la circulation.» Et ça marche. Durant la partie de l’essai qui s’est déroulée dans la circulation dense de Barcelone, nous avons suivi les règles locales non officielles stipulant que s’il est possible de s’insérer n’importe où pour dépasser n’importe quoi, on le fait. Un comportement chaotique pour les Nord-Américains, le quotidien dans les grandes villes européennes. Dans cet environnement pour lequel le CE 04 a été conçu et où la largeur d’une moto ou d’un scooter est l’ennemi, cet arrière ultra mince inspirait effectivement confiance et m’a permis de piloter en calculant que si les genoux passaient, le reste suivrait.
Cela dit, concevoir l’arrière du CE 04 de cette manière amène aussi des désavantages. Par exemple, le fait que si peu d’éléments mécaniques encombrent la partie arrière aurait été l’opportunité parfaite pour augmenter le volume de rangement. BMW aurait très bien pu garder un tel arrière étroit et le dessiner audacieusement. L’aspect pratique et fonctionnel du CE 04 —la mission première des maxi-scooters, après tout— aurait ainsi grandement été amélioré. À la défense du constructeur, un support à bagages et une valise centrale étant offerts en option, le volume de rangement peut être augmenté si nécessaire.
Un autre aspect de l’arrière du CE 04 qui m’a un peu agacé, c’est que les parties exposées ne sont pas particulièrement jolies. Par exemple, en suivant le CE 04, le regard est attiré par le lettrage blanc de la courroie d’entraînement qui tourne encore et encore. Ça m’a paru étrange. Puis, il y a la roue arrière qui n’est finalement qu’un disque plein noir mat qui rappelle une roue de secours de voiture. À son centre se trouve un gros boulon gris sans finition. Je crois simplement qu’un arrière complètement exposé avec un bras oscillant monobranche mériterait un traitement esthétique un peu plus raffiné, surtout sur un produit ayant fait l’objet de tant d’efforts au chapitre du design et de la finition.
Et maintenant, la pièce de résistance du CE 04 : sa motorisation électrique. Oh, la petite merveille! Dès le premier instant de conduite et toujours après, l’ensemble offre la caractéristique que j’exige absolument des produits de grands constructeurs : le raffinement. On met en marche le CE 04 de manière instinctive et directe. Avec la clé électronique dans sa poche, on pousse le bouton ON, on tire le levier de frein gauche et on presse le bouton du «démarreur». Le mot «Ready» apparaît sur le superbe écran TFT de 10,25 pouces et l’on est prêt à partir. Notons qu’au besoin un bouton R sur la poignée gauche permet d’engager la marche arrière. On n’entend aucun bruit à ce point et seul un très faible sifflement devient audible lorsqu’on enroule l’accélérateur et que le CE 04 se met à avancer. À pleine puissance, le sifflement provenant du moteur devient plus présent, mais demeure quand même subtil, rendant l’opération du CE 04 presque complètement silencieuse. Quant aux amoureux du bruit qui détestent passionnément le silence des véhicules électriques, je dis ceci : c’est un scooter, pas une Panigale V4 avec des Termignoni, alors du calme… vous n’avez pas perdu grand-chose.
Même en silence, rien n’empêche de bien s’amuser aux commandes du CE 04. Les départs pleins «gaz» sont particulièrement drôles. BMW annonce un 0-50 km/h en 2,6 s, mais honnêtement, je n’avais aucune idée quoi penser de l’information. Le couple maxi de 45,7 lb-pi n’est pas énorme, mais il est en revanche disponible instantanément. Ça devient un peu confus lorsqu’on est habitué aux chiffres des moteurs à combustion et à la manière dont ces derniers génèrent leurs performances. De plus, BMW explique que le 04 dans CE 04 indique des performances s’approchant de celles d’un scooter à essence de 400 cm3. En essayant de donner du sens à toutes ces données, mon petit cerveau a conclu qu’il fallait s’attendre à des accélérations tout au plus décentes et à des performances générales seulement pratiques. Il a mal calculé.
C’était devenu un rituel. À chaque feu rouge, je m’arrêtais à côté de notre guide Archie. On ne se regardait pas et à l’exception du moment où il m’a demandé d’avancer de quelques centimètres et d’aligner ma roue avant avec la sienne «pour que je n’aie pas d’excuses», on ne se parlait pas non plus. Nous attendions juste en silence que le feu passe au vert. Son temps de réaction était parfait et chaque fois il arrivait à bondir devant moi. Je suis sûr qu’il avait un truc, quelque chose comme ouvrir l’accélérateur tout en tenant les freins, mais ç’aurait été trop humiliant de lui demander. Ce que j’ai retiré de tout ce fin journalisme, c’est que le CE 04 décolle de manière très surprenante à partir d’un arrêt. Non seulement on le sent, mais on peut aussi le voir, comme les quelques fois où, distrait, j’apercevais Archie se catapulter vers l’avant au feu vert comme si un élastique invisible avait été coupé. La vision était frappante, puisqu’il n’est pas du tout commun d’observer un véhicule accélérer à partir d’un arrêt aussi fort et dans un silence parfait.
À plus haute vitesse, disons 80 km/h et plus, les performances ne sont plus aussi impressionnantes, mais elles restent assez bonnes pour que l’on ne ressente pas l’impression de manquer de puissance. Qu’il s’agisse d’accélérer sur une bretelle d’entrée pour rejoindre la circulation sur l’autoroute ou de dépasser sur une route de campagne à deux voies, le CE 04 le fait sans effort, en silence et sans la moindre vibration. La vitesse de pointe est limitée électroniquement à 120 km/h. En ce qui concerne la consommation d’énergie, mon ordinateur de bord affichait une moyenne de 8 kWh par 100 km, signifiant que la batterie de 8,9 kWh aurait été bonne pour environ de 110 km. Toujours selon l’instrumentation du CE 04, j’avais parcouru 62,5 km durant l’essai avec 36 % d’énergie restante ou 40 km additionnels, pour une autonomie totale de 102 km, et ce, en mode pleine puissance (optionnel) Dynamic. On parle donc d’une autonomie d’une centaine de kilomètres dans des conditions décidément pas favorables comme une course de drag à chaque feu vert et les poignées chauffantes réglées au maximum toute la journée.
Opter pour le mode ECO moins puissant et piloter avec plus de douceur aurait considérablement augmenté l’autonomie, si bien que les 130 km annoncés par BMW semblent tout à fait plausibles. Les autres modes sont Rain qui réduit l’effet de récupération d’énergie et Road avec pleine puissance et régénération presque au maximum. Quant au temps de recharge, il n’a pas été possible de le vérifier durant l’essai, mais il est annoncé comme suit pour amener la pile de 0 à 100 % : 5 h 30 min sur une prise murale nord-américaine de 110v/15A (4 h 20 min en Europe en raison de leurs prises murales de 220 V) ou environ 1 h 40 min avec le chargeur rapide optionnel sur 220 V.
Après ses performances et le raffinement de sa motorisation électrique, l’aspect le plus impressionnant du CE 04 est son comportement général qui se veut aussi bon qu’on peut l’espérer pour un maxi-scooter à roues de 15 pouces. L’une des raisons principales derrière cette qualité se veut le poids de 231 kg, soit 45 kg de moins que le C Evolution de première génération. Il s’agit d’une masse proche du poids moyen d’un maxi-scooter à essence de 650 cm3 et que les excellentes suspensions du CE 04 gèrent très bien. La majorité des imperfections du pavé sont absorbées sans transmettre de coup au pilote ou au passager, tandis que la fermeté s’avère suffisante pour donner au CE 04 des manières rassurantes en virage ou durant les changements de direction rapides. Quant au freinage, les triples disques et l’ABS font très bien le travail, mais comme la fonction de régénération d’énergie ralentit considérablement le CE 04 dès que l’accélérateur est fermé, je n’ai finalement touché aux freins que très rarement, si bien que les plaquettes devraient durer une éternité.
La résistance des motocyclistes face au passage de l’essence à l’électricité est très commune, et avec de bonnes raisons. Une imaginaire Electra Glide électrique incapable de parcourir de longues distances et dépourvue du son et du caractère de son gros Milwaukee-Eight ne fait tout simplement aucun sens. Pas plus qu’une R-GS qui laisserait son pilote en panne d’électrons sur une route de gravier peu après le début de l’aventure. En fait, la résolution de ce problème d’autonomie avec la technologie actuelle est très difficile à envisager chez les motos. Pour être franc, je ne crois pas que ce soit possible. Mais ce cas est différent. Lorsque la mission se veut de se rendre de A à B en ville, une autonomie de 130 km est loin d’être loufoque, surtout quand une heure suffit pour effectuer une bonne recharge.
Si l’on réfléchit logiquement au concept du remplacement de l’essence par l’électricité dans l’univers de la moto, alors les scooters —ou quoi que ce soit d’autre destiné à la mobilité urbaine— semblent être la seule catégorie propice, une conclusion que le BMW CE 04 prouve de manière admirablement convaincante. Il y a toutefois un coût à cet accomplissement, puisque le prix de détail de 15 000 $ n’a rien de léger. Mais telle est la réalité de toute nouvelle technologie : elle est chère au début. Qu’à cela ne tienne, en me faufilant en silence et sans effort dans les rues de Barcelone, je me disais continuellement que je n’échangerais cette étrange machine électrique pour aucun scooter à essence. Des gens intelligents ont sagement dit que pour obtenir du succès, un véhicule électrique doit être meilleur que son équivalent à essence, ce qui est élevé comme barre, mais très logique. Idéalement, le prix serait plus bas, mais à cette exception près, je dirais que le CE 04 atteint ce seuil.
CE 04 édition «ticket»
BMW affirme avoir vendu 160 000 motos au marché des autorités à ce jour et le constructeur compte augmenter ces ventes avec une version spécialement équipée du CE 04. L’un des aspects les plus intéressants de cette édition destinée à la police, c’est qu’il s’agit en gros d’une machine de production accessoirisée construite à Berlin sur la même chaîne d’assemblage que le CE 04 «civil». L’équipement additionnel a été développé par BMW et peut donc être entretenu ou remplacé par les concessionnaires de la marque. Le prix de la version policière est environ 50 % supérieur à celui de la version de base en Europe —plus le coût des accessoires supplémentaires exigés par le client. On pourrait donc parler d’environ 22 000 $ pour le Canada. Selon BMW, un sondage effectué auprès de corps policiers patrouillant en milieu urbain aurait révélé une distance moyenne parcourue d’environ 100 km. La batterie de 8,9 kWh du CE 04 de base, avec son autonomie de 130 km, a donc été jugée suffisante pour la version policière. Finalement, le CE 04 est couvert par la même garantie de trois ans avec kilométrage illimité que le reste des motos de la gamme BMW, mais la batterie bénéficie d’une rassurante augmentation de deux ans, soit cinq ans au total.