*Archives – Cet article est tiré du Vol. 50 No. 7 de Moto Journal.
KTM raffûte le Scalpel !
La 790 Duke est morte ! Vive la 890 Duke ! L’occasion est trop belle pour la laisser passer. Je profite donc de la superbe météo de la fin du mois de juin pour tester la nouvelle Duke sur route et sur piste. Un grand moment !
Lors de la présentation du prototype du Scalpel, au salon EICMA de Milan 2016, j’ai eu un coup de cœur pour le roadster rebelle de KTM. Ses lignes acérées dues au Studio Kiska, le bureau de design de la firme de Mattighofen, tranchent avec l’esthétique sage et classique des autres roadsters et le démarquent de la production de l’époque. La 790 Duke respire la performance et la délinquance. Et la compétition…
Et pour démontrer le potentiel sportif des Scalpel, l’importateur français de la marque crée la 790 Duke Cup, un championnat monomarque intégré à la Coupe de France Roadster Cup WERC. Ready To Race !
Du coup, j’ai encore plus hâte de l’essayer.
L’occasion se présente enfin au printemps 2019, à l’occasion de son introduction nord-américaine, soit deux ans après sa sortie en Europe. Le fougueux bicylindre LC8 et la partie cycle tiennent leurs promesses, mais la Duke reçoit un accueil mitigé de la part de la presse spécialisée en raison d’une monte pneumatique indigne de son pedigree (Maxxis Supermaxx ST) et de suspensions perfectibles. Le Scalpel est un peu émoussé. Son fil est moins affilé qu’espéré.
Cependant, le modèle jouit d’une bonne cote auprès du public. Ce qui n’empêche pas KTM d’être consciente des carences de la 790 et de réagir promptement.
En 2020, la firme de Mattighofen corrige le tir et présente la 890 Duke R, une version optimisée pour la piste gommant les défauts de jeunesse de la 790. La R se distingue par un moteur plus caractériel, mais surtout, par des suspensions WP Apex premium entièrement réglables et des pneus Michelin Power Cup 2 hyper performants. Tout ça pour seulement 1 000 $ de plus. Une aubaine dans les circonstances.
Dès lors, on aurait pu croire que cette Duke R « Ready To Race » deviendrait l’unique Duchesse de moyenne cylindrée au catalogue KTM. Mais voilà ! Fin 2020, la firme autrichienne décide de lancer la 890 Duke, un modèle de base bonifié, plus abordable que sa devancière. Elle est en effet offerte à 11 899 $, soit 550 $ de moins que la 790.
Des changements bénéfiques
Réglementation européenne oblige, la 890 Duke adopte un moteur Euro 5 de plus grosse cylindrée (+ 100 cm3) pour contrer les effets castrateurs de la nouvelle norme. Il développe 115 ch à 9 000 tr/min pour un couple de 68 lb-pi à 8 000 tr/min et se situe à mi-chemin entre le bicylindre parallèle de la 790 (105 ch pour 65 lb-pi) et celui de la 890 Duke R (126 ch pour 73 lb-pi). Si on en croit KTM, il affiche 20 % d’inertie en plus, ce qui améliore la réponse à bas et moyen régimes.
L’arsenal électronique est encore plus exhaustif et inclut plusieurs modes paramétrables, dont trois modes de conduite de série (Sport, Route, Pluie) et un mode Piste (Track) optionnel que le pilote peut configurer selon le circuit et ses préférences. L’antipatinage MTC et la glisse du pneu arrière MSR (Motor Slip Regulation) peuvent être ajustés sur neuf paliers, l’anticabrage peut être désactivé et la réponse de l’accélérateur électronique se règle sur trois niveaux. Un capteur d’angle permet à la centrale inertielle 6 axes de réagir en 3D et de distiller une multitude d’informations et de données provenant du comportement et du positionnement de la moto pour un retour d’information optimal.
La 890 Duke fait l’impasse sur les suspensions premium de la version R, mais adopte une fourche WP Apex de 43 mm dépourvue d’ajustements et un monoamortisseur à gaz ajustable en précontrainte du ressort. Ces éléments disposent d’un réglage optimisé, mais aussi de nouveaux clapets et de ressorts assouplis pour une conduite confortable sur route.
Le freinage n’est pas en reste et est lui aussi bonifié. Le système utilise des étriers de freins KTM fabriqués par J. Juan, comme sur la 790, plutôt que les superlatifs Brembo Stylema de la 890 Duke R. En revanche, de nouvelles plaquettes plus mordantes sont installées dans les pinces KTM, procurant à la 890 un freinage efficace sur route comme sur piste.
Enfin, les Maxxis Supermaxx ST de la 790 font place à des Continental ContiRoad, des pneumatiques sport/touring plus performants qui s’avèrent rassurants sur le sec comme sur le mouillé.
Au plan de l’esthétique, la nouvelle KTM 890 Duke reprend intégralement l’allure de ses devancières. Tout est similaire, sauf les coloris et les décos. Certains apprécient cette filiation cosmétique, d’autres regrettent que KTM n’ait pas profité de l’occasion pour redessiner son roadster de moyenne cylindrée et lui donner une nouvelle identité. D’autant que la concurrence, menée par la Ducati Monster qui s’est offert un lifting plutôt réussi, se renouvelle visuellement. La 890 Duke reste donc facilement reconnaissable avec son style épuré mettant en vedette des lignes taillées à la serpe et une finition haut de gamme.
Le verdict de la route
Du côté de la position de conduite, on est là encore en terrain connu. La 890 Duke, comme ses prédécesseures, est un roadster inspiré de l’univers Supermotard qui favorise une position de conduite relevée, très avancée vers le réservoir. On pilote dos droit, coudes écartés, le buste légèrement penché vers l’avant. Les jambes sont repliées afin de préserver une bonne garde au sol.
Cette position spacieuse et confortable convient bien aux grands gabarits qui se sentent immédiatement à l’aise sur la Duke. La selle fine et plutôt bien rembourrée permet de se déplacer facilement, particulièrement sur circuit où on déhanche constamment, mais se montre assez glissante. Grâce à sa hauteur d’assise de 820 mm, un pilote de gabarit moyen (1,72 m et plus) peut facilement poser les pieds au sol à l’arrêt, d’autant que la selle est étroite à la jonction avec le réservoir.
Cette position facilite le maniement en ville et en mode balade. Extrêmement facile à prendre en main, la KTM demande cependant un certain temps d’adaptation pour rouler vite. Surtout quand on n’est pas habitué aux Supermotards. Sur route sinueuse ou sur piste, elle requiert une bonne lecture des trajectoires et une bonne anticipation. Et une implication de tous les instants. À son guidon, la paresse et l’inattention sont proscrites.
En ville, la 890 Duke profite de son étroitesse, de sa légèreté et de son agilité extrême pour se jouer de la circulation dense. Instinctive et précise, elle brille dans les manœuvres serrées, grâce à son excellent rayon de braquage et à son poids contenu. Elle change de trajectoire d’une simple poussée sur le guidon, avec une aisance étonnante. Quand vient le temps de s’extraire du trafic, à un feu par exemple, elle peut compter sur son moteur souple et disponible à bas et moyen régimes. Le twin reprend sans cogner dès 2 700 tr/min et se montre bien rempli entre 4 000 et 6 000 tr/min. Mais, c’est entre 7 000 et 9 500 tr/min, début de la zone rouge, qu’il se révèle vraiment faisant preuve d’un punch addictif. Il vous donne une vraie claque à chaque rotation de l’accélérateur électronique. Et moi, j’adore.
Dans cette plage de puissance, le twin LC8c est explosif, plein de caractère. Il maltraite le pneu et l’amortisseur arrière, particulièrement en sortie de courbe. Heureusement, l’antipatinage et le MSR veillent au grain. Tout comme l’amortisseur de direction. Ce comportement est paramétrable en mode Track et peut même devenir très joueur si vous optez pour des réglages peu intrusifs.
La Duke se démarque aussi par sa signature sonore, laquelle participe du plaisir que l’on ressent à son guidon. Le LC8 expire par un échappement deux-en-un à la sonorité riche, envoûtante, soulignée par le souffle addictif du Quickshifter qui fait preuve d’une efficacité diabolique. Les pétarades du bicylindre à la décélération sont tout simplement enivrantes.
La Duke est à son meilleur sur les routes secondaires sinueuses. Plus elles tournent, plus la KTM brille. Affûtée, précise, extrêmement agile, c’est un véritable bistouri dans les virages serrés et dans les enfilades. Le punch de son moteur lui permet de sauter d’une courbe à l’autre avec aisance et de tracer des trajectoires d’une précision chirurgicale. Il suffit de pousser sur le guidon pour amorcer la mise sur l’angle et de tourner l’accélérateur pour sortir en force. La 890 Duke tourne d’un bloc et donne envie d’attaquer.
D’autant que ses pneus Continental ContiRoad au profil sport/touring sont globalement efficaces, sans offrir le grip des exceptionnels Michelin Power Cup 2 de la 890 Duke R qui sont d’authentiques gommes de course. Les Conti sont rassurants, sur le sec comme sur le mouillé, mais le train avant n’offre pas autant de retour d’information que les pneus français. Ce qui fait qu’on est plus prudent, même s’ils permettent de prendre beaucoup d’angle, en toute sécurité.
Sur autoroute ou route rapide, la KTM pêche par une protection moyenne et un confort perfectible. Ce n’est pas vraiment son environnement préféré. Même chose pour le duo. À réserver aux passagers sado-masos ou vraiment amoureux. Confort aléatoire et absence de poignées de maintien rendent l’exercice périlleux et fatigant. En cas de dépannage seulement. Ou pour favoriser les rapprochements.
À l’assaut de la piste
Durant cette prise de contact de la KTM 890 Duke, j’ai été invité à découvrir les nouvelles Aprilia RS 660 et Tuono 660 à l’Autodrome Montmagny, situé à environ 90 km au sud-est de Québec. Ce circuit a été créé en juin 1994. À cette époque, il s’agissait d’une piste de terre battue d’un demi-mille de long. Un ovale de 3/8 mille en asphalte fut construit en 1998. Puis, en juin 2014, un circuit routier de près de 2 km de long, ainsi qu’une piste d’accélération de 1/8 de mille en asphalte furent ajoutés.
L’Autodrome de Montmagny est un circuit technique qui compte deux courtes lignes droites, 10 virages — 7 à gauche, 3 à droite — et un dénivelé qualifié de mini « Corkscrew » en raison de sa ressemblance avec le fameux virage aveugle et plongeant du circuit de Laguna Seca.
Avec un roadster de moyenne cylindrée, on y évolue principalement sur les deuxième et troisième rapports, à des vitesses peu élevées (moins de 200 km/h).
En raison de sa configuration technique et des vitesses que l’on y atteint, c’est un circuit idéal pour valider les changements apportés à la 890 Duke et profiter de son incroyable agilité.
J’ai donc profité de l’occasion pour essayer l’Autrichienne sur piste et voir comment elle se comparait face aux deux Italiennes. Ma moto d’essai disposant du mode Track optionnel, je l’ai réglée sur cette cartographie en ajustant le contrôle de la glisse du pneu arrière MSR sur le niveau 3 de 9 et en optant pour l’ABS Supermoto (déconnecté à l’arrière).
Court et technique, le circuit de Montmagny n’est pas très rapide. En revanche, pour s’initier au circuit ou s’amuser au guidon d’un roadster de moyenne cylindrée, c’est un tracé idéal et sûr qui met en exergue l’agilité et la vivacité de la KTM ainsi que le dynamisme de son moteur.
La légèreté et l’agilité supérieure de la 890 Duke constituent ses principaux atouts sur piste. Fine entre les jambes, elle se pilote du regard et trouve la corde en virage instinctivement, d’une légère impulsion sur le guidon. En fait, l’Autrichienne est une moto joueuse et rebelle qui fait preuve d’une précision étonnante en plus de pardonner les erreurs de pilotage, comme négocier une courbe sur le mauvais rapport. Elle favorise un pilotage à l’instinct. Un vrai jouet !
En mode agressif, on peut violenter le bicylindre et rétrograder violemment, à la dernière minute, sans risque de bloquer la roue arrière, grâce à l’embrayage antidribble PSC.
La boîte est excellente. Elle bénéficie d’un étagement court sur les trois premiers rapports qui dynamise les accélérations. Quant au Quickshifter + bidirectionnel, c’est un modèle d’efficacité et de précision. Les rapports passent avec douceur et précision, à la volée, à la montée comme à la descente, ce qui nous permet de nous concentrer sur les trajectoires.
Les suspensions souples ne sont pas aussi rigoureuses ni efficientes que celles de la R, sur piste en tout cas, mais elles font du bon travail dans l’ensemble. Sur route, elles offrent un bon compromis performance/confort.
Même commentaire pour le freinage qui est efficace, moins que celui de la R, mais beaucoup plus que celui de la 790. Les étriers KTM/J. Juan font preuve de mordant, d’endurance et de modularité. Un bon compromis route/piste. L’ABS actif en virage, réglé en mode Supermotard autorise les dérapages contrôlés de la roue arrière dans les longs virages et favorise l’utilisation de la technique du « trail-braking » en freinage sur l’angle.
Dans cet environnement, la KTM m’a permis de m’amuser sans retenue. En fait, il aurait suffi de la chausser des pneus à gomme sportive comme les Michelin Power Cup 2 de la 890 Duke R pour qu’elle soit une authentique pistarde.
Un roadster explosif
La 890 Duke est nettement plus performante et aboutie que la 790 qu’elle remplace, particulièrement en ce qui a trait aux suspensions, aux pneus et aux freins qui sont désormais efficaces sur route. C’est l’archétype de la moto joueuse et performante.
KTM prétend que le nouveau Scalpel est « l’arme de rue la plus précise ». Ce qui serait vrai si la 890 Duke R n’existait pas, car, dans le cas qui nous intéresse, la R est la principale adversaire de la 890 Duke, mais aussi le roadster le plus précis du marché. Elle est plus puissante, mieux suspendue et mieux chaussée. En fait, si vous envisagez de faire de la piste régulièrement, je vous conseillerais d’opter pour la 890 Duke R. Elle vous reviendra moins cher qu’une 890 Duke dont vous modifieriez les suspensions et les pneus, tout en se montrant un poil plus performante et plus affûtée.
Face à ses concurrentes directes — Aprilia Tuono 660, BMW F900R, Ducati Monster, Triumph Street Triple 765 RS, Yamaha MT-09 —, la KTM fait mieux que se défendre. Elle occupe une place enviable dans l’univers des roadsters de moyenne cylindrée et parvient à imposer ses choix esthétiques et techniques.
Son bicylindre est l’un des moteurs les plus explosifs et les plus addictifs du lot, avec les trois cylindres de la Triumph et de la Yamaha, alors que sa partie cycle est l’une des plus affûtées, avec celles de la Ducati et de la Triumph. Et quelle agilité ! Un vrai jouet !
Depuis la sortie du Scalpel original, il y a quatre ans, la KTM fait preuve d’un dosage idéal de sportivité, de performance et de caractère. Elle constitue un des meilleurs achats de la catégorie.
FICHE TECHNIQUE
INFORMATIONS GÉNÉRALES
Poids à sec : 169 kg (187 kg tous pleins faits)
Hauteur de selle : 820 mm
Capacité essence : 14 L
Consommation : 6 L/100 km
Autonomie : 230 km
Durée de l’essai : 400 km route — 6 séances de piste à l’Autodrome Montmagny
Prix : 11 899 $
Coloris : orange/noir — noir
MOTEUR
Moteur : bicylindre parallèle, 4-temps, DACT, 4 soupapes par cylindre, refroidi au liquide
Puissance : 115 ch à 9 000 tr/min
Couple : 68 lb-pi à 8 000 tr/min
Cylindrée : 889 cm3
Alésage x course : 90,7 x 68,8 mm
Rapport volumétrique : 13,5:1
Alimentation : injection électronique
Transmission : 6 rapports, Quickshifter bidirectionnel de série
Entraînement : par chaîne
PARTIE CYCLE
Suspension : fourche inversée WP Apex de 43 mm de diamètre, non ajustable; monoamortisseur WP Apex réglable en précontrainte du ressort seulement
Empattement : 1 482 mm
Chasse/Déport : 24,3°/99,7 mm
Freins :
– AV : Double disque de 320 mm, étriers radiaux J. Juan à 4 pistons opposés; ABS Bosch 9.1 MP actif en virage, mode Supermotard ;
– AR : Simple disque de 240 mm pincé par un étrier simple piston J. Juan; ABS Bosch 9.1 MP actif en virage, mode Supermotard
Pneus : Continental ContiRoad
– AV : 120/70ZR17
– AR : 180/55ZR17
Ce qui change…
Par rapport à la 790 Duke
Moteur Euro 5 de plus grosse cylindrée (+ 100 cm3)
Puissance accrue (+ 10 chevaux)
Couple renforcé (+ 3 lb-pi)
20 % d’inertie en plus
Bas et mi-régimes renforcés
Suspensions bonifiées
Freinage amélioré (nouvelles plaquettes)
Électronique réactualisée
Pneumatiques plus performants (Continental ContiRoad au lieu de Maxxis Supermaxx ST)
Par rapport à la 890 Duke R
Puissance réduite de 11 chevaux (115 au lieu de 126)
Couple inférieur de 5 lb-pi (68 au lieu de 73)
Selle plus basse de 10 mm
Pneus Continental ContiRoad à la place des Michelin Power Cup 2
Étriers de freins KTM fabriqués par J. Juan à la place des Brembo Stylema
Fourche non ajustable
Amortisseur réglable en précontrainte du ressort seulement
Pas de capot de selle