Dans les années 1970, les 750 étaient les plus grosses motos offertes sur le marché. Et quand Kawasaki est arrivé avec sa 900, elle semblait énorme. Pourtant, aujourd’hui, les modèles de 600 à 800 cc sont considérés comme de format moyen, et il y a maintenant des motos de 1200, 1600 et 1800 cc, avec des moteurs plus puissants que ceux de bien des autos pas si âgées…
Mais on dit aussi que moins c’est mieux, et small is beautiful. Il y a toutes sortes de dictons qui prêchent pour la simplicité et le retour aux objets plus simples et plus petits. Est-ce que cela peut s’appliquer aux motos?
Pour résoudre cette question existentielle forte, nous avons décidé de mettre les dictons à l’épreuve et de vérifier si on pouvait avoir autant de plaisir, ou même plus, avec moins de centimètres cubes. Pour ce faire, nous avons réuni trois motos de tourisme d’aventure de différents formats, et nous avons pris la route. Et pour rendre l’expérience encore plus scientifique (mais aussi plus simple…), nous avons choisi trois modèles de la même marque : les Kawasaki Versys 300, 650 et 1000.
Bien sûr, nous savons que lorsqu’un acheteur cherche une moto, il n’aura pas tendance à comparer des modèles de cylindrées si différentes. Les amateurs de grosse cylindrée risquent peu d’opter subitement pour une 300, et les néophytes ont tout intérêt à laisser de côté les grosses cylindrées et leurs 150 chevaux disponibles par une simple torsion du poignet. Cela dit, il a été très intéressant, et souvent surprenant, de voir comment se comparent ces trois machines de même catégorie, mais très distinctes côté motorisation.
Première observation : les motos de petite cylindrée ont énormément évolué au cours des dernières années. Il n’y a pas si longtemps, les machines de moins de 400 ou 500 cc étaient souvent perçues comme essentiellement réservées à un usage urbain parce qu’on les disait trop petites et pas suffisamment puissantes pour rouler à bonne vitesse. La Versys-X 300 démontre clairement que, sans être idéales pour ce type d’usage, les petites cylindrées modernes sont parfaitement en mesure de s’attaquer à la grande route.
Une des qualités de la Kawasaki à cet égard, c’est qu’il s’agit d’une moto plein format. Sa selle à 815 mm (32 po) fera peut-être hésiter certains débutants, mais elle a l’avantage de créer un poste de pilotage aux proportions généreuses pour cette catégorie. Même un pilote de six pieds peut s’y installer confortablement. En fait, tout est « gros » sur la plus petite moto d’aventure de Kawasaki. Le carénage offre une bonne protection, la suspension est sérieuse et le triangle poignée–selle–repose-pieds est suffisamment ample. En réalité, le principal compromis exigé par la 300 ne provient pas de son format, mais plutôt de sa selle. Même en la décrivant comme « dure comme une planche », on est en dessous de la vérité… Étonnant que Kawasaki ait fait ce choix alors que les autres éléments relatifs au confort sont au rendez-vous. Au bout de 45 minutes, tous nos testeurs voulaient s’arrêter. Et tous ont dit qu’ils chercheraient à se procurer une selle Corbin ou Sargent aussitôt après avoir acheté la 300.
Dans la série « moto plein format », précisons que la 300 est livrée avec l’ABS et qu’on peut ajouter des valises en option. Avec un seul disque à l’avant, il s’avère presque impossible de bloquer la roue sur pavé sec de toute façon, mais sur surfaces mouillées ou glissantes, l’ABS fonctionne très bien. Quant aux valises, elles sont offertes à prix raisonnable, 561,83 $, mais elles ne nous ont pas impressionnés. Non pas tant qu’elles soient petites – leur capacité de 17 litres est raisonnable pour une moto de cette cylindrée –, mais elles semblent un peu fragiles et le système de verrouillage est tout simplement diabolique.
Côté motorisation, la Versys-X utilise un bicylindre vertical de 296 cc dérivé de celui de la Ninja 300. Bien sûr, il pose certaines limites, mais elles ne proviennent pas nécessairement d’où on pourrait s’y attendre. Pour suivre les plus grosses motos, il faut tordre solidement la poignée, de façon à extraire chacun des 39 chevaux disponibles, mais la Versys-X y arrive bien. On peut filer toute la journée à 130 km/h et avec un minimum de planification, on peut dépasser (assez) facilement les véhicules trop lents. Par contre, avec le rapport final de série, le petit moulin donne l’impression de révolutionner comme un blender sur les stéroïdes. À 100 km/h en sixième vitesse, il tourne à 7500 tr/min; à 120, il atteint le cap des 9000 tr/min. À ce régime, le moteur ne pose pas vraiment de problème de vibrations, mais on a de la peine pour lui… Sur la grande route, on a toujours l’impression qu’il tourne à fond de train. Tous les participants à cet essai étaient d’accord : après avoir remplacé la selle, ils installeraient un pignon plus grand pour réduire le régime moteur aux vitesses de croisière (même si on y perdrait un peu en accélération).
La Versys-X 300 2018 est offerte à 6499 $. Au moment d’écrire ces lignes, Kawasaki proposait encore des modèles 2017 (c’est celui que nous avons testé) à 5899 $.
Avec la Versys 650, la puissance et le régime du moteur à vitesse de croisière ne sont plus des préoccupations. Son bicylindre vertical de 649 cc n’a pas été revu depuis un moment, mis à part des changements mineurs pour l’injection et le système d’échappement pour répondre aux normes d’émissions Euro4. Mais il s’agit toujours d’un excellent moteur, solide à bas régimes et toujours preneur pour les régimes élevés. Cela dit, il n’émet pas la même musique rassurante qu’un V-2 et il engendre un peu de vibrations dans les repose-pieds quand on dépasse le cap des 6000 tr/min (ce qui correspond à 125 km/h en sixième). Ce moteur est monté sur caoutchouc, de même que les repose-pieds et le guidon, ce qui rend la dernière génération de la Versys 650 plus douce que la première.
En 2016, la 650 avait eu droit à d’importantes améliorations par rapport au modèle d’origine, notamment pour la selle, la suspension et les freins. Elle avait également gagné un carénage et un pare-brise nettement plus grands, empruntés directement à la Versys 1000. Kawasaki affirme que sa surface est 1,7 fois plus grande que celle du modèle original. La protection est améliorée de beaucoup, mais il y a un peu plus de turbulence. Cela dit, le pare-brise est facilement ajustable et il y a moins de ballottement du casque que sur la Versys 1000, principalement parce que la position de conduite fait en sorte qu’on est un peu plus près du pare-brise. Sur la 650 LT avec protège-mains et équipement complet que nous avons essayée, la protection contre le vent – et surtout la pluie – est très bonne.
Les valises viennent brillamment compléter les aptitudes de la Versys 650 LT pour le mototourisme. Elles offrent un volume de 28 litres chacune et leur fonctionnement est ultra pratique. Elles se verrouillent avec la clé de contact de la moto, et le mécanisme de fermeture d’inspiration Givi est facile à utiliser. En fait, il s’agit essentiellement des mêmes valises que celles de la Versys 1000 LT. On peut aussi ajouter une valise centrale de 47 litres (366,93 $, plus 107,59 $ si vous ajoutez le dossier pour passager) et des sacs souples très pratiques pour l’intérieur des valises latérales (154,12 $).
Toujours dans l’optique du tourisme, la 650 est maintenant plus facile à adapter aux différents niveaux de charge possibles grâce aux dispositifs d’ajustement de la précharge et de l’amortissement de la suspension. Pour ajuster la précharge à l’arrière, il suffit d’actionner la molette à commande hydraulique placée à portée de main. À l’avant, un des poteaux de fourche contient le ressort tandis que l’autre contient le système d’amortissement. On a donc un seul ajustement à faire pour chaque paramètre. Facile et pratique.
Avec son poids léger de 216 kg tous pleins faits, la 650 LT est très maniable et il suffit d’une légère pression sur le guidon pour l’inscrire dans les courbes. Elle brille aussi par sa direction particulièrement neutre : en cette ère de superbikes qui exigent qu’on se déhanche à chaque virage, il est reposant de prendre le guidon d’une moto d’aventure qui se laisse piloter si facilement. Le pneu avant de 17 po (120/70ZR17) explique en partie cette neutralité sur la route. Par contre, il rend la 650 nettement moins adaptée aux escapades hors route.
La Versys 650 LT 2018 est offerte à 10 299 $ (9749 $ pour le modèle 2017).
Avec elle aussi un pneu avant de 17 po, la Versys 1000 LT a également un penchant essentiellement routier. Elle n’aurait aucune chance contre une Africa Twin dans un duel dans la boue… Mais elle offre le même côté polyvalent et fonctionnel que la 650, avec en prime deux fois plus de pistons, et presque deux fois plus de puissance.
Curieusement, même avec son moteur de 1043 cc dérivé de celui de la Ninja 1000, le talon d’Achille de la grosse Versys est son manque de puissance. Elle est loin d’être anémique, mais ses 125 ch sont nettement sous la barre des 160 et plus proposés par les Ducati Multistrada, BMW S1000XR et KTM 1290. Cela dit, on ne peut tout de même pas qualifier de lente une machine capable de faire le quart de mille en 11 secondes. De plus, son moteur monté sur blocs caoutchoutés est beaucoup plus doux que celui des autres Ninja quatre cylindres. C’est vrai aussi par rapport à la Yamaha FJ-09 tricylindre à laquelle on la compare souvent. Le gros quatre cylindres de la Versys brille également par son couple à bas régime; il est si généreux qu’on n’a pratiquement jamais besoin de s’approcher de la zone rouge, qui débute à 10 000 tr/min. Côté tirage final, la 1000 est tout à l’opposé de la 300 : à 130 km/h, le moteur ronronne à 5000 tr/min. La Versys 1000 tire long par rapport à la plupart des quatre cylindres.
Avec son moteur souple, son embrayage à action légère et son levier de changement de vitesse doux et précis, la Versys 1000 dégage une impression de calme. Sa tenue de route va dans le même sens avec une légèreté et une neutralité impressionnantes pour une machine de 249 kg (548 lb) avec un empattement de 1520 mm (59,8 po).
En fait, un des grands points forts de la Versys 1000 s’avère son côté non intimidant et sa convivialité. De plus, comme elle est munie de très peu d’éléments électroniques (pas de régulateur de vitesse ni de suspension électronique, tableau de bord simple et classique, pas de surabondance de boutons aux poignées), elle fait un contrepoint intéressant aux grosses machines d’aventure modernes suréquipées. Certains l’élimineront sans doute de leur liste de magasinage à cause de ce manque de technologie, de son déficit d’une trentaine de chevaux par rapport aux plus puissantes machines du segment et de son look moins emballant. Mais la Versys 1000 demeure une machine confortable, fonctionnelle, conviviale et abordable.
La Versys 1000 LT 2018 est offerte à 14 899 $ (14 399 $ pour le modèle 2017).
Somme toute, qu’avons-nous appris en comparant trois modèles de même marque et de même catégorie, mais de cylindrée différente? Premièrement, que la cylindrée importe encore, mais moins qu’avant. La Versys-X 300 fait partie de cette nouvelle génération de motos abordables (avec les G310 de BMW et les 390 de KTM, par exemple) qui offrent une bonne partie des caractéristiques et des fonctions pratiques des motos plus grosses. Et dans la catégorie des machines d’aventure, le poids léger de la 300 devient certainement un avantage. En réalité, la seule Versys que nous avons vraiment eu envie de rouler hors route était la 300. Bien sûr, sa roue avant de 19 po (contre 17 pour les 650 et 1000) constitue un atout, mais c’est surtout sa légèreté qui la démarque : à 175 kg (385 lb), la 300 pèse 74 kg (162 lb) de moins que la 1000. Il s’agit d’un écart imposant.
Et comment ces trois Kawasaki se comparent-elles par rapport à leurs concurrentes directes des autres marques? La Versys X 300 se trouve au sommet de sa catégorie : c’est le modèle qui fait le plus « vraie moto » du segment des 300. La 650 s’avère très compétente également, et elle est nettement améliorée par rapport au modèle original. Par contre, elle doit faire face à une concurrence sérieuse avec la Suzuki V-Strom 650. Quant à la 1000, elle reste dans l’ombre de ses rivales plus puissantes et plus équipées. Mais elle mériterait plus de visibilité parce que c’est une machine simple, conviviale et particulièrement agréable; un de nos testeurs en ferait son premier choix dans la catégorie des grosses machines d’aventure.