À la conquête du Stelvio

Par Steve ThorntonPublié le

Edelweiss nous guide avec brio au cœur des Alpes
La montée jusqu’en haut du col de Stelvio, avec ses 48 virages ultraserrés, est le genre de défi que je déteste. Parce que je sais que je ne pourrai pas m’empêcher de l’essayer, tout en sachant que je pourrais très bien ne pas réussir. C’est une route qui ne pardonne pas. En plus d’être excessivement serrés, les virages en épingle à cheveux sont tous en montée, jusqu’à ce qu’on atteigne le sommet, à 2750 mètres. Toute erreur peut devenir extrêmement embarrassante, et même mortelle. Sans compter que vous pourriez aussi entrer en collision avec un autobus.

Même si c’est la montée qui était la plus difficile, c’est dans la descente que nous avons vécu le moment le plus stressant et le plus dangereux de toute notre randonnée. Il y avait une automobile immobilisée devant nous sur la route étroite, avec la montagne d’un côté, et la force gravitationnelle d’un ravin de l’autre… Je voyais la moto devant qui s’apprêtait à croiser l’auto et je savais que ça serait bientôt à mon tour de passer sur l’équivalent d’une corde raide asphaltée.

Devant moi, il y avait Gary et Alvin sur leur R1200RT. Gary est un Texan volubile et extraverti, et Alvin est tout le contraire d’un Texan volubile et extraverti. Spontanément, j’ai trouvé Alvin sympathique même s’il parle tellement vite que je comprends seulement la moitié de ce qu’il dit; mais il est aimable et d’un naturel joyeux. Quant à Gary, disons qu’il faut un certain temps pour s’habituer au personnage. Il me fait penser à Robert Duvall avec des bottes de cowboy et un chapeau Stetson, sauf qu’il porte des bottes de moto et un casque Shoei; je m’attendais à ce qu’il nous explique un beau matin à quel point il aime l’odeur du napalm. Mais en réalité, une des premières fois où je l’ai entendu parler, c’était pour critiquer un pilote qui s’était faufilé devant lui : « Ça ne me dérange pas de rouler derrière quelqu’un qui sait rouler, mais ce gars-là bla-bla-bla… ». Je me suis éloigné en me faisant deux réflexions : (1) il a raison, c’est ­désagréable quand un pilote lent va se placer devant les pilotes plus rapides, et (2) il n’a pas l’air d’être si rapide que ça lui-même – c’est ce que nous verrons à l’usage.

Quand Gary s’est faufilé entre l’automobile et le précipice, nous roulions depuis quelques jours déjà et j’avais appris à l’apprécier : un peu rude, mais un vrai bon gars au fond. Et quant à ses qualités de pilote, il faut reconnaître qu’il était un des plus véloces.

Parlant de pilotage, Wim et Claudia, nos guides Edelweiss, conduisent de façon fluide et rapide. Wim est belge, il n’aime pas le chocolat, mais il fume pendant les pauses, ce qui me plaît bien. Claudia est allemande, elle travaille à temps partiel pour Edelweiss. La première fois que je l’ai vue, c’était en descendant du train à Erding en Allemagne, en provenance de Collalbo, en Italie. Je m’apprêtais à chercher un taxi pour m’emmener à Munich, qui n’est pas très loin, lorsque j’ai entendu quelqu’un qui disait : « Monsieur, monsieur, êtes-vous ici pour une randonnée avec Edelweiss? » C’était Claudia qui avait amené en visite touristique une partie du groupe auquel j’allais me joindre. Pour une raison quelconque, elle s’était arrêtée à la gare, et je descendais du train juste à ce moment-là. Elle a dû trouver que j’avais l’air d’un motocycliste à cause de ma veste Alpinestars et de mon sac Ogio. C’est ce que j’appelle une arrivée réussie.

En montant dans la camionnette d’Edelweiss, Claudia m’a présenté les occupants, dont une motocycliste qu’elle a appelée Ducati Jane. Ducati Jane, vraiment? Mais quand je l’ai vue rouler, j’ai trouvé qu’elle portait bien son nom.

UN TUNNEL VERS LE SOLEIL
Dimanche 3 septembre, hôtel Henry, Erding. Pour commencer la journée, nos guides nous font une petite présentation, accompagnés par Dieter, le grand Allemand calme et souriant qui conduira la camionnette d’accompagnement. Ils nous montrent les routes que nous allons emprunter, les cols à franchir et les cinq pays que nous allons traverser : Allemagne, Autriche, Italie, Liechtenstein et Suisse. Ensuite, à l’aide de son iPad, Wim nous fait voir en direct la vue sur un des cols que nous devions franchir (grâce à la caméra de surveillance routière installée là-haut). C’est le spectaculaire Großglockner (le ß équivaut à un double s en allemand), il est à 3800 mètres d’altitude, et la route est complètement enneigée… Malheureusement, nous allons devoir prendre un autre trajet.

Comme nous sommes 16 participants, plus les guides, le groupe sera séparé en deux. Je commence avec Wim. En prenant la route, le temps devient de plus en plus frais et pluvieux. Nous arrêtons pour enfiler nos imperméables et je me dis que je devrai peut-être faire une croix sur la température estivale que j’ai connue la semaine dernière en Italie. Peu de temps après, nous nous arrêtons à l’entrée nord du long tunnel de Felbertauern (5,3 km), dans le sud-ouest de l’Autriche. Il y a de la neige tout autour de nous, mais pas sur la route elle-même. Je vois le groupe de Claudia qui approche, mais elle ne s’arrête pas. Comme elle voit que Wim s’apprête à prendre une photo, elle prend la pose. J’ai pu la photographier aussi.

Nous remontons sur nos machines et nous entrons dans ce long tube qui s’enfonce sous la montagne. Dans ce tunnel, et dans d’autres que j’ai traversés la semaine précédente dans la cadre du cours de conduite alpine d’Edelweiss (voir le dernier numéro), il y a des postes d’incendie à tous les 500 m environ, avec des sorties de secours. À chaque poste, il y a une affiche qui indique la distance jusqu’à chaque extrémité du tunnel. Dans certains longs tunnels, il y a des voies d’évitement pour les véhicules en panne, et parfois même des routes secondaires qui mènent dans une autre partie de la montagne.

À la sortie du tunnel, nous étions encore en Autriche, mais dans un décor complètement différent : vert, ensoleillé et chaud! J’ai arrêté pour prendre une photo, et il m’a fallu ensuite une quinzaine de minutes pour rattraper le groupe. Je roulais parfois à près de 160 km/h, mais je n’ai pas eu de billet d’excès de vitesse – il paraît qu’ils sont excessivement chers en Autriche.

Nous avons passé la nuit à l’hôtel Traube, à Lienz, pas très loin de la frontière avec l’Italie. Je me souviens de notre conversation du lendemain matin au petit déjeuner. Avec des motocyclistes de nationalité américaine, allemande, néo-­zélandaise et canadienne, ça discutait ferme sur des sujets comme le contrôle des armes à feu et le système de santé publique. Les Américains revenaient toujours au concept de « liberté ». Une conversation parfois vigoureuse, mais amicale.
Ensuite, nous avons pris la route vers l’Italie, en direction de l’hôtel où j’avais passé plusieurs nuits la semaine précédente.

AU COEUR DES DOLOMITES
Aujourd’hui, pour faire changement, je vais rouler avec le groupe de Claudia. Le plan est de filer vers le sud-ouest jusqu’aux Dolomites, de superbes montagnes aux pics escarpés que Wim a décrites comme « le terrain de jeu des motards européens ». C’est dans cette région que j’ai piloté la semaine dernière pour mon cours de conduite alpine. J’avais hâte d’y retourner parce que les routes sont tellement belles, il y a tellement de paysages à voir et tellement de virages serrés à négocier qu’on ne peut pas tout saisir du premier coup, et c’est seulement après qu’on réalise à quel point on vient de faire une randonnée extraordinaire.

Notre objectif pour aujourd’hui est Collalbo, un village niché dans les montagnes au-dessus de la ville de Bolzano. En route, nous nous arrêtons pour dîner près d’un ancien bunker de la Deuxième Guerre mondiale. Dieter a pris de l’avance avec la camionnette et il nous a préparé un pique-nique. C’est un endroit étrange, à la fois rude et beau. « Il suffirait d’une bombe de 500 livres pour raser ce bunker-là », nous explique Larry, un vétéran de la guerre du Vietnam. Je le crois sur parole. Cela dit, ce bunker n’est peut-être pas super efficace contre les avions ennemis, mais il est parfait pour abriter une toilette… Et la vue à partir de l’urinoir me rappelle certains des plus beaux paysages qu’on peut admirer en randonnée en Colombie-Britannique.

Nous arrivons en fin d’après-midi au superbe hôtel Bemelmans-Post de Collalbo. La vue est magnifique ici et il y a différentes attractions touristiques, dont un téléphérique qui permet de descendre jusqu’à Bolzano. Nous bavardons devant un apéro et, à un moment donné, Ducati Jane me fait remarquer que je n’ai pas daigné rouler derrière elle cet après-midi. Je lui réponds que, sincèrement, je n’aurais aucune objection à la suivre sur ma GS. (En réalité, Ducati Jane ne roule pas en Ducati, et personne d’autre d’ailleurs. J’ai appris quelques semaines plus tard qu’elle avait tellement aimé sa GS700 qu’elle en a acheté une en rentrant en Nouvelle-Zélande – mais elle a aussi gardé sa Ducati, bien sûr.) Juste après que j’ai dit à Jane que j’étais prêt à rouler derrière elle, Wim me confie à voix basse « tu sais vraiment piloter une moto, toi ». Je ne sais pas exactement pourquoi il m’a dit cela, mais venant de quelqu’un dont le travail est de regarder les autres conduire, je l’ai pris comme un compliment.

Le lendemain, le mardi 5 septembre, nous avions droit à une journée de congé, mais la plupart des participants ont décidé d’aller faire une virée dans les Dolomites. Pour atteindre un restaurant situé dans les hauteurs, nous avons pris une route étroite et sinueuse, qui est devenue encore plus étroite, et même boueuse, à mesure que nous montions. À un moment donné, un des pilotes a manqué de traction et il a échappé sa machine. Pas de blessure, pas de dommages à la moto, alors notre guide n’a pas semblé s’en faire. Nous sommes repartis et nous avons roulé sans encombre jusqu’au restaurant. Nous avons mangé une bouchée et pris un café sur la terrasse avec une vue absolument superbe.

Un peu après l’heure du midi, nous décidons de couper court à notre escapade pour rentrer à l’hôtel un peu plus tôt. La conduite est fabuleuse, mais vient quand même un moment où on veut prendre un peu de repos. Sur la route du retour, nous arrêtons à une station-service pour refaire le plein – c’est une obsession chez Edelweiss : toujours faire le plein avant de ranger les motos pour la nuit, même si vous êtes fatigué et si vous avez le derrière en feu. Sauf que les employés de la ­station-service sont en train de dîner – c’est une obsession chez les Italiens : toujours ­fermer ­boutique sur l’heure du midi pendant deux heures pour prendre un repas à cinq services et abandonner les clients à eux-mêmes. La solution en pareil cas, c’est de choisir une pompe qu’on peut faire déma­rrer avec une carte de crédit, mais il faut une carte avec NIP et plusieurs participants n’en ont pas. On peut alors mettre de l’argent comptant dans la machine et il se peut qu’elle vous donne de l’essence, ou pas… Larry a mis un billet de 10 euros, la machine l’a avalé, mais la pompe n’a pas démarré. Wim a eu plus de chance, mais il n’a pas pu avoir de reçu. Il a alors décidé d’aller déranger les employés. L’un d’eux est sorti, visiblement mécontent, il a remboursé Larry et la pompe a démarré.

MESDAMES ET MESSIEURS, LE STELVIO
Mercredi 6 septembre. Tout le monde n’a que le Stelvio en tête quand nous prenons la route ce matin. Notre collaborateur David Booth m’avait prévenu que la moto que j’ai choisie pour la semaine, une BMW R1200GS, était trop grosse et trop lourde pour des routes de col comme celles-ci. En théorie, il n’avait pas tort. La GS est effectivement une grosse machine et les 48 courbes du Stelvio sont toutes extrêmement serrées, dangereuses et techniquement exigeantes. Pensez aux routes de montagnes de Colombie-Britannique ou de la Nouvelle-Angleterre et imaginez que chaque virage est au moins deux fois plus serré. Parfois, ça tourne aussi carré que pour un coin de rue. Et ça monte, avec un angle de pente de 10 degrés. En pratique, toutefois, la R1200GS s’est avérée très efficace pour ce genre de défi. Elle est un peu haute pour moi, mais son équilibre et sa manœuvrabilité à basse vitesse sont exemplaires. Finalement c’était la machine idéale pour moi sur ce genre de routes.

Les virages en épingle à cheveux de la route du Stelvio sont très rapprochés les uns des autres et ils se négocient à basse vitesse. Comme dans d’autres parties du monde, cette route a été conçue à l’origine pour des chariots de transport de passagers et de marchandises tirés par des chevaux. Et comme les chevaux ne peuvent pas remorquer de lourdes charges dans des pentes abruptes, on construisait les routes en zigzag. La conséquence pour nous, motocyclistes, c’est qu’on peut soit être terrifiés par la randonnée, soit en retirer un plaisir d’une extrême intensité.

J’avoue honnêtement que j’étais craintif à l’approche de chacun des foutus virages en épingle sur la droite et en montée. Mais je les ai tous franchis avec succès : je n’ai débordé que très rarement et très peu dans l’autre voie, je n’ai jamais calé le moteur, je n’ai pas eu à poser le pied au sol, je n’ai pas foncé dans un autobus, et je n’ai pas déboulé en bas d’un ravin. Une fois arrivé en haut, j’étais surpris d’avoir déjà négocié les 48 virages. Eh oui! J’avais réussi à conquérir le Stelvio et je me sentais parti­culièrement bien. Et pour fêter cet exploit, quoi de mieux qu’une gigantesque saucisse cuite sur un gril extérieur, servie dans un pain tout aussi gigantesque, pour seulement 3 euros.

En haut du col du Stelvio, il y a toute une faune : des cyclistes, des conducteurs d’auto sport, des visiteurs venus en autobus et même des skieurs. Tout ce beau monde se promène entre les boutiques de souvenirs, ils prennent des photos des points de vue spectaculaires, ils font des égoportraits en pensant à leur page Facebook, ils mangent une bouchée. Pendant la montée, nous roulions à environ une vingtaine de mètres les uns des autres. Devant moi, il y avait Mike et sa conjointe Alicia, les deux plus jeunes de notre groupe. Mike est un jeune homme plein d’humour; il travaille dans le secteur de la construction, mais il n’en a pas l’air. Son père, Big Mike, a aussi beaucoup d’humour; lui, il a l’air d’un gars de la construction, mais il travaille comme pianiste dans un pub (du moins à temps partiel). Un soir, à l’hôtel, il nous a chanté plusieurs chansons en s’accompagnant au piano. Il a fait Hotel California en style polka, mais aussi des versions fidèles de chansons de Billy Joel et Elton John que tout le monde connaissait et aimait. C’était vraiment un beau moment de le voir et de l’entendre chanter pour nous. J’étais surpris de voir que ce gars costaud, rigolo, et très rapide sur la route, était aussi un excellent musicien. Ça prend de tout pour faire le monde, et c’est un des volets particulièrement sympathiques des escapades avec Edelweiss.

Après être monté au Stelvio, il faut aussi redescendre… Mais la descente est plus facile, peut-être parce que les courbes sont moins serrées, mais probablement surtout parce qu’on ne risque pas de caler le moteur au milieu d’un virage. Je suivais Gary et Alvin sur leur R1200RT quand nous sommes arrivés au passage étroit dont je parlais au début de ce texte. La route était bordée par la montagne à la gauche, et par un ravin sur la droite. En approchant d’une légère courbe vers la gauche, la route devenait plus étroite et une automobile venait en sens inverse. En nous voyant, le conducteur s’est arrêté et il a serré au maximum sur sa droite, mais il ne restait tout de même qu’un tout petit passage. Si on sortait de cette route, on ne tomberait pas en chute libre, mais on déboulerait pendant très très longtemps avec la moto avant de s’immobiliser. Quand Gary et Alvin sont passés, ils étaient si près de l’auto qu’ils auraient facilement pu mettre la main sur le toit. Après coup, Alvin, le passager, m’a confié qu’il avait fermé les yeux à ce moment-là. Puis, bien sûr, ce fut à mon tour. La seule chose à faire, c’était de ne pas trop réfléchir et de pointer la grosse GS fermement dans la bonne direction.

Les randonnées avec Edelweiss sont toujours bien remplies en matière d’aventures, de paysages et de conduite passionnante. Mais il y a aussi les motocyclistes extraordinaires qu’on rencontre. J’aurais aimé avoir l’espace pour parler de Jeff et de sa conjointe Arla, d’Horace, de Dean, de Dave et Donna, et de Scott, l’autre Canadien. J’aurais aimé aussi vous parler plus longuement de Larry, Jane et Murray, Mike, Mike et Alicia, et Gary et Alvin. Et bien sûr de nos guides Wim, Claudia et Dieter. Je me souviens entre autres d’une arrivée à l’hôtel en fin d’après-midi. Dieter avait ouvert la porte arrière de la camionnette et il y avait une bonne réserve de bière fraîche qui nous attendait. Nous avons pris quelques minutes pour célébrer une magnifique journée de conduite et le fait d’être tous ensemble. C’est aussi ça le charme de l’expérience Edelweiss.

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