Daniel me téléphone : « Je me trouve sur la 132 avec un gars tombé en panne. Sa XS750 est morte, kapout! Et ça ne regarde pas bien; il n’a pas juste besoin d’une petite réparation, le moteur est cuit. Peux-tu lui donner un coup de main pour retourner sa moto à Montréal? » La discussion m’apprend que Paul est Allemand et qu’il parle un peu l’anglais. Daniel, qui ne parle qu’un peu l’anglais aussi, a compris qu’il arrive d’un tour de la Gaspésie sur sa vieille Yamaha achetée deux semaines plutôt pour une bouchée de pain. Il est parti de Montréal et y retourne en espérant que sa moto le rejoigne. Je dis à Daniel que je vais l’aider de mon mieux.
Le dimanche Daniel m’accompagne. Nous arrêtons avec mon camion au restaurant où il a trouvé Paul et sa Yamaha deux jours plus tôt. « Il est quand même chanceux d’avoir fait presque tout son voyage sur cette vieille brette. Il aurait bien pu tomber en panne à la même place la semaine passée et n’avoir jamais vu la Gaspésie! » sont les commentaires que m’inspire l’examen de la machine. Le voyageur est reparti avec ses bagages en auto-stop et déjà rendu à son port d’attache temporaire. On charge la XS dans ma remorque avec mes motos de course. J’ai mis une annonce sur Facebook pour trouver un lift à l’épave vers la métropole, ce qui devrait être possible au circuit aujourd’hui. Il y a plusieurs coureurs de l’ouest de la province et j’espère en trouver un qui aura de la place pour rendre service à Paul. L’Allemand aventurier offre de payer un peu d’essence pour retrouver sa compagne de voyage. Il m’a confié au téléphone que cette dizaine de jours passés sur la route ont été mémorables au point qu’il s’est attaché à sa moto…
D’après mon évaluation rapide, qui concorde avec celle de Daniel, il n’y a rien à faire avec le moteur si ce n’est une table de salon de style art de garage. L’odeur de l’huile et les bruits émis en le faisant tourner ne font que confirmer qu’une catastrophe quelconque s’est produite. Si Paul avait été un cowboy dans la prairie, il n’aurait pas eu à achever sa monture, seulement à l’enterrer ou à la laisser aux vautours. Mais notre Allemand semble entrevoir une autre issue et espère ressusciter la dépouille… de la pensée magique, malheureusement pour lui! Mais je ne vais pas crever sa bulle, et comme promis, je trouve un bon samaritain qui rapatrie sa XS jusqu’à Laval. La suite était prévisible; Paul a dû abandonner son rêve de continuer son tour du Canada au guidon de sa bécane.
Si je me fie au fil Facebook de ma nouvelle connaissance, il a gardé le sourire et passe du bon temps. Il a évité la déprime, du moins à moyen terme. C’est vrai que si tu es du genre à partir à l’aventure sur une moto payée le prix d’une paire de pneus, la fibre de l’inquiétude ne doit pas être trop dominante chez toi, passer à autre chose et continuer de s’amuser étant la façon naturelle de faire.
J’ai déjà été moi aussi, comme Daniel, celui qui avait besoin d’un coup de main. Bien souvent c’est un autre motocycliste qui offre son aide. Parfois ce qui sauve la mise n’est que le simple accès à quelques outils pour rafistoler, réparer une crevaison, ou même seulement à un bidon et un peu de l’essence, comme cette fois où j’étirais l’autonomie de ma Ducati au Dakota du Nord. À cette occasion, c’est sur la selle du passager d’une ST1300 que j’ai fait l’aller-retour à la station pour quérir le précieux liquide.
Lorsque je vois quelqu’un en panne, je m’arrête et autant que possible, je donne au suivant. Mon tour viendra surement encore d’être celui qui se retrouve sur le bord de la route, et j’aurai alors mis les chances de mon côté!
