Je suis derrière une camionnette qui roule à un peu moins de 50 km/h dans la zone de 80. Ça me semble encore plus lent que l’allure de 30 km/h auquel nous nous déplacions quelques minutes plus tôt, dans le village. Je m’en accommode et prends mon mal en patience, mais je sais que devant nous, pour plusieurs kilomètres sur cette route de campagne très peu achalandée, les lignes pointillées sont devenues continues. Disparues les quatre zones qui existaient il n’y a pas si longtemps où j’aurais simplement mis le clignotant et accéléré un peu, tout à fait légalement et sans prendre de risque. Jusqu’à la municipalité suivante, il n’y a désormais aucun dépassement permis et une fois franchi le panneau qui annonce le changement de juridiction, la limite est passée de 80 à 50 km/h. Bien sûr que les pointillés sont inexistants dans ce secteur aussi. Je n’ai absolument rien contre le fait que ce petit monsieur, ou quiconque qui n’est pas pressé, roule doucement. C’est seulement qu’avec cette tendance de marquage de chaussée de plus en plus en vogue, ces utilisateurs de la route moins véloces doivent trouver qu’ils se font désormais beaucoup d’amis, amis qui leur tiennent compagnie tout près, derrière eux, et qui se font parfois très pressants.
J’imagine que plusieurs d’entre vous ont aussi fait ce constat : les pointillés disparaissent de nos routes aussi rapidement qu’elles se détériorent, sinon plus. Il y a bien sûr des endroits où nous n’avons pas besoin d’un dessin pour comprendre la raison de passer à un trait continu; l’augmentation de l’achalandage, la densification et autres modifications de l’environnement justifient certains ajustements pour assurer la sécurité. Rien à dire là-dessus. À d’autres emplacements cependant, je ne vois pas vraiment d’explications plausibles, si ce n’est le besoin de « rentabiliser » l’investissement dans la force policière. Les contraventions émises sur les routes d’une municipalité contribuent à la cagnotte de cette dernière et ce détail n’échappe pas aux élus qui doivent être créatifs pour boucler les budgets. Quand vient le temps de payer pour repeindre les lignes, le donneur d’ouvrage dit souvent son mot. Une belle ligne continue qui remplace des pointillés va possiblement s’autofinancer (et plus) grâce aux impatients qui se feront pincer…
Après avoir roulé en Europe à quelques occasions, revenir à notre réalité québécoise est un peu frustrant. La différence entre les zones de dépassement met en évidence l’approche opposée en matière de sécurité. Là-bas, je prends le temps de juger si la manœuvre sera sécuritaire; les zones sont nombreuses et bien disposées. Il est possible de dépasser en sortie de virage à certains endroits et, à mes yeux, la logique prévaut. Avec plusieurs opportunités, rien ne justifie de prendre de risques. Ici, les pointillés sont si rares que lorsqu’une chance se présente, on assiste parfois à un rodéo quand il y a quelques véhicules accumulés, tous visant profiter de la rare chance!
Les vitesses permises aussi se voient ajustées selon des considérations pas toujours claires depuis une dizaine d’années au moins. Un peu après avoir faussé compagnie à mon compagnon de route mentionné plus haut, je me retrouve sur une autre route rurale où la vitesse a été diminuée à 70 km/h. Ou je devrais dire remontée à 70 km/h après avoir été diminuée de 80 à 50. Il y a des règles pour décréter les vitesses maximales et, parfois, il y a des élus qui vont trop loin, ce qui était le cas ici. Cette route a quand même permis d’émettre un nombre considérable de billets avant qu’un juge ne décide que la limite de 50 km/h était excessivement basse et injustifiée.
J’aimerais bien voir une approche plus européenne de la conduite et des règles qui l’encadrent ici, mais honnêtement, je crois que c’est un vœu pieux. La mentalité de nos autorités et de nos concitoyens n’est pas propice à responsabiliser les utilisateurs de la route. Nos limites de vitesse et autres règles de circulation, telles les zones de dépassement, paraissent très, très conservatrices aux yeux des visiteurs qui arrivent de l’autre côté de l’Atlantique, eux qui sont habitués aux autoroutes à 130 km/h et aux pointillés où un motocycliste peut faire un dépassement sans se casser la tête. Comme on dit : il faut faire avec! Je vais essayer d’être patient, je n’ai pas envie de passer à la caisse!