En ces temps de post-vérité et de réalité alternative, est-ce que nous nous dirigeons vers un monde où les faits seront ce que l’on veut bien croire? Ou encore ce que l’on veut nous faire croire? Vous avez sûrement une idée d’où me vient cette interrogation, mais je fais ici le parallèle avec le monde de la moto.
Nous avons tous connu quelqu’un qui nous arrive avec des affirmations sur sa monture ou ses exploits personnels. Des chiffres de puissance, de performance ou de faible consommation parfois, disons-le, un peu embellis. Je me souviens entre autres d’une rencontre chez mon concessionnaire. « J’ai fait de tel point à ici en 15 minutes sur ma moto! » me confiait le gars avec un air sérieux. J’ai un vague doute qu’il tentait de m’impressionner par une légère distorsion des faits; la distance en question versus le temps mentionné implique une vitesse moyenne de plus de 300 km/h et, clairement, sa moto n’aurait pas atteint de telle vélocité, encore moins en tenant compte de la route en question… C’était il y a plusieurs années… Je dois dire que ce genre d’exagération me semble plus rare de nos jours. Du côté des données vérifiables, les errances semblent moins fréquentes aussi.
Mon point de vue est que, depuis plusieurs années, nous avons vu les manufacturiers et aussi nous, les magazines et revues spécialisés, faisons un effort pour chiffrer clairement et de façon réaliste ce qui peut l’être.
Reculons un peu dans le temps et regardons les poids des motos par exemple. Si je prends la RZ 500 1985 que j’ai possédée, elle était annoncée à 177 kg (poids à sec bien sûr) sur un dépliant que j’ai vu au moment de faire mon dépôt sur cette machine qui serait disponible quelques mois plus tard à l’été 1984. Cette V4 deux temps promettait de rendre accessible au grand public des performances qui, en théorie, s’approchaient des motos de Grand Prix. Elle se devait d’être légère puisque la YZR 500 de Kenny Roberts ne faisait que 140 kg. Les gens du marketing ont probablement eu un gros mot à dire au moment d’inscrire le poids de la RZ sur la brochure. Ils savaient que les potentiels acheteurs comme moi seraient beaucoup plus enclins à faire le saut avec des beaux chiffres et que peu prendraient la peine de faire des vérifications. Même en enlevant tous les liquides, ce qui veut dire le liquide de refroidissement, les huiles (moteur, suspensions et huile à frein!) et la batterie, le 177 kg était simplement hors d’atteinte. Elle était passablement lourde ma RZ, en réalité, l’aiguille de la balance indiquait 205 kg, prête pour la route avec un peu d’essence. Une déception pour moi, mais rien d’exceptionnel pour l’époque. Cette façon de faire était plutôt la norme. Une comparaison avec la VF500 Interceptor donne 185 kg annoncés à sec pour un 206 kg en état de marche, tout de même des chiffres un peu moins éloignés l’un de l’autre que ceux de ma Yamaha. C’était de bonnes motos quand même, mais si vous comparez sur papier, il faut y voir clair. La nostalgie et le changement dans la façon de publier les données peuvent déformer les faits.
Les fiches maintenant sont beaucoup plus près de la masse réelle des motos en état de rouler, malgré que les méthodes varient légèrement pour ce qui est de l’essence; avec le plein ou encore avec le réservoir à demi rempli ou, plus rarement, sans carburant. Je vérifie lorsque je le peux le poids des motos d’essais et je suis habituellement réconforté de constater que les différences sont souvent minimes ou à peu près inexistantes.
Avec le poids, c’est assez simple de trancher; la question de la puissance est plus difficile à évaluer, car les façons de mesurer varient beaucoup. Les puissances au vilebrequin font abstraction d’une partie des pertes par friction, mais au moins, la fantaisie a aussi fait place à plus de réalisme de ce côté. L’information voyage maintenant beaucoup et l’excès d’optimisme risque d’être mis à jour ou, du moins, pointé du doigt. Les questions techniques sont faciles à départager; vérifier la vitesse se fait en un clin d’œil avec un simple GPS, la consommation se calcule aussi facilement et ainsi de suite.
La question de la réalité alternative est plus floue sur Internet. Il y a tant d’informations sur les réseaux sociaux qu’il devient difficile de faire la part entre ce qui est sérieux et ce qui est le fruit d’un esprit un peu créatif. L’on peut croire ce que l’on veut, espérons seulement que la réalité sera toujours là pour nous ramener à la raison.