Un défi de 16 000 km en 20 jours

Par Marc ParadisPublié le

Le Défi Québec-Yukon à moto de David Jean et Simon-Pier Ouellet
À l’été 2015, deux amis d’enfance passionnés de moto, et en manque de défi, se cherchaient une destination à la hauteur de leurs ambitions. La première destination proposée par Simon-Pier, la Trans-Labrador Highway, ne constituait pas vraiment un défi assez ambitieux pour son compagnon. Se rendre à Whitehorse, au Yukon, représentait, aux yeux de David, une destination beaucoup plus intéressante, mais impossible à réaliser à court terme pour les deux compagnons pour différentes raisons. Mais une semaine avant le décès de sa sœur Virginie, atteinte du cancer du sein, Simon-Pier se décida et proposa de combiner leur randonnée à un défi visant la collecte de fonds pour la recherche sur le cancer du sein. « On ne savait vraiment pas dans quoi on s’embarquait, tant pour l’organisation d’un tel voyage que pour la collecte de fonds! » de dire Simon-Pier. C’est avec une expérience moto, disons un peu limitée (il débuta en 2014 sur une Kawasaki Super Sherpa 250), que Simon-Pier s’enlignera au départ du défi en comparaison avec David qui, lui, motocycliste d’expérience, a fait de la compétition en dirt track et en supermotard.

Qui dit défi de cette envergure dit choix de motos adaptées aux conditions susceptibles d’être rencontrées en cours de route. Des KLR650 furent envisagées, mais nos hommes recherchaient plus de puissance et de confort pour rouler de 10 à 16 heures par jour! Des V-Strom auraient pu faire l’affaire, mais en raison de la taille de Simon-Pier qui s’y trouvait à l’étroit et aussi de l’entraînement par chaîne, le choix se fixa finalement sur deux Yamaha Super Ténéré dénichées à bon prix grâce aux recherches de Gilles Gagné de Gagné Lessard Sports. Les gens de Bourret Moto Sport ont aussi été d’une aide précieuse, fournissant l’équipement des motos, plaques de protection, pneus à crampons (qui seront expédiés à Whitehorse) au prix coûtant.

Le défi étant mis à jour quotidiennement, il était impératif de trouver quelqu’un (une rédactrice Web) pour transposer les avancements et émotions, ce qui fut fait avec succès. Imaginez de rouler sans arrêt ou presque et devoir faire des montages le soir, et ce, 20 jours durant! Faire connaître le défi au public via les médias constitua un autre défi en soit. Le journal Le Placoteux dans Kamouraska contribua, à sa manière, à publiciser la collecte de fonds en publiant un article qui sera repris dans Le Journal de Québec et de Montréal. Lors du départ, en plus de Moto Journal, TVA était présent pour couvrir l’événement.

Le 17 juillet, jour du départ, l’émotion est à son comble (c’est ce que croient les gars, sans savoir ce qui les attend en route!). Contrairement à l’itinéraire qui a été établi à l’avance, aucune réservation de motel n’était prévue; nos motocyclistes ne sachant pas où ils se situeront chaque soir et, de toute façon, il n’y a pas de vacances de la construction dans les autres provinces et surtout pas au Yukon… Étrangement, rendus « seulement » à Mont-Laurier le premier soir (l’objectif était Val-d’Or), nos gars seraient mûrs pour un bon dodo, les émotions du départ et l’intensité des préparatifs les ayant vidés! Ni l’un ni l’autre ne voulant l’avouer (orgueil mal placé), ils finissent pourtant par se rendre à l’évidence qu’une bonne nuit de repos leur serait bénéfique. Évidemment, une telle courte distance les fait se remettre en question : ont-ils visé trop haut? Le lendemain matin, nos compagnons sont debout à 5 h 30 et parcourent la distance séparant Mont-Laurier et Nipigon en Ontario, soit environ 1400 km. Cette fois, le défi est vraiment lancé. La route du nord de l’Ontario n’étant pas la plus divertissante, sa traversée se fait sans trop d’arrêts. Avec ses limites de vitesse un peu sévères (80 km/h) et des policiers sur les principes, cette portion n’est pas des plus mémorables; David gérant même sa compagnie de construction par téléphone en roulant! Ils se rendront à Winnipeg au Manitoba pour un deuxième arrêt. L’expérience de la route s’accumulant, Simon-Pier s’aperçut rapidement que sa consommation d’eau déficiente et l’absence de bouchons d’oreilles affectent sa conduite et sa forme physique; il y remédiera pour le reste du voyage (il est loin de ses randonnées en Super Sherpa dans les bois de St-Aubert!). Autres « petits détails » pour ceux visant les longues randonnées : l’utilisation sans trop de modération de Rain-X ou son équivalent sur la visière lors des journées pluvieuses et une selle à sections gonflables de type AirHawk ajoutent à la sécurité et au confort. Lors d’une traversée du Canada, il faut s’attendre à toutes sortes de températures, après la fraîche du nord de l’Ontario, des températures écrasantes attendent nos voyageurs dans les Prairies. La route séparant Winnipeg d’Edmonton est avalée en une journée, en partie sous les orages, mais surtout sous les grands vents qui tirent sur les casques de type aventure dont la palette est bien pratique pour contrer le soleil, mais un peu dure sur le coup face aux rafales. Une fois arrivés à Edmonton sous le soleil de fin de journée, ils s’improvisent une petite soirée bien arrosée pour fêter ça et repartent le lendemain un peu défraîchis! Edmonton-Fort Nelson en Colombie-Britannique (plus de 1000 km), lieu de rencontre avec un Québécois qui semble peu impressionné par leur défi. Ce dernier, habitué des Iron Butt, trouve que la distance et le temps imparti par nos compagnons ne constituent pas un réel défi… lui qui dit faire Edmonton-Montréal en deux jours! Ce motocycliste un peu fendant à première vue finira par les accompagner et se révéler un bon compagnon sur sa BMW K1600 beaucoup mieux adaptée pour affronter les éléments sur les autoroutes que les Super Ténéré. Prochaine étape : Whitehorse au Yukon, la destination ultime du défi. L’essence sera payée par le nouveau compagnon (ce sera son don pour la cause)! En fin de journée, le « fendant » de la veille confiera vouer beaucoup de respect aux « jeunes » qui ont su garder le rythme malgré l’exposition aux éléments. Mononcle Pierre qui, originalement, voulait se rendre en Alaska en louant une GS mieux adaptée aux routes de cet État américain que sa grosse K, changea d’avis après avoir vu ce qu’était réellement le pilotage sur route défoncée… Le but de nos releveurs de défi étant atteint, ils se reposèrent deux jours en compagnie de la conjointe de David qui les y rejoint. Une surprise attendait Simon-Pier : David avait secrètement projeté de rouler la Dempster Highway. Il faut croire que David fut convaincant ou encore que l’appel de la garnotte rongeait Simon-Pier qui acquiesça. Nos amis se retrouvent donc à Dawson, ville figée dans le temps, qui les ramène à la fin du 19e siècle et de sa ruée vers l’or. Trottoirs de bois, rue principale non pavée, vieux édifices très bien conservés et un saloon… tout un voyage dans le temps sur des chevaux mécaniques. C’est à Dawson qu’ils changèrent leurs pneus pour des versions à crampons sur une table extérieure dans le stationnement de l’hôtel. C’est aussi à Dawson qu’ils rencontrèrent deux Montréalais qui ont fait le parcours en quatre jours en Nissan Micra remplie de caisses de bière et de fumée de cigarette! Ces deux énergumènes avaient vu le reportage à la télé et observaient chaque moto rencontrée dans le but de faire la connaissance des participants au défi. Ils réservèrent un bel accueil à nos explorateurs, leur firent un don de 100 $ et de quelques bières!

La pluie ayant fait rage depuis cinq jours (elle était maintenant arrêtée), les premiers kilomètres sur la Dempster en furent d’adaptation pour Simon-Pier, qui n’avait pas encore roulé sa grosse Ténéré sur la garnotte, à 80 km/h, pas trop sûr, avec des guidonnages inhabituels pour un pilote habitué au bitume sur pareille machine… Pour sa défense, rouler dans quatre pouces de gravier fraîchement étendu à la niveleuse avec une machine surchargée, ce n’est pas la façon la plus facile de s’initier aux chemins de terre… Mais avec l’expérience de David et ses précieux conseils, la confiance prend le dessus. À environ 100 km plus loin, le bivouac fut monté dans le parc territorial Tombstone pour y passer la nuit (5 oC au réveil). Le lendemain, les gars mirent le cap sur Inuvik. À mi-chemin, un arrêt s’impose à Eagle Plains (relais comptant une station-service, un garage, un restaurant et un hôtel. Tout y est cher en raison des coûts de transport. Cette portion de route fut négociée dans un épais brouillard en avant-midi. Après 380 kilomètres roulés dans des conditions moins que passables, nos affamés se ravitaillèrent (ils n’avaient pas encore déjeuné) au seul restaurant de l’endroit. En repartant d’Eagle Plains, le soleil les accompagna jusqu’à Inuvik. Sur cette portion de route, deux traversiers (dont un à câble) permettent de franchir des rivières sans encombre ou presque, Simon-Pier couchant sa moto sur l’un d’eux tellement la fatigue faisait son œuvre. À 200 kilomètres d’Inuvik, épuisés par tant de route en si peu de temps, nos aventuriers commencent à se remettre en question. Mais la pression de réaliser leur défi prend le dessus et ils poussent leurs machines jusqu’à destination. En faisant un arrêt près de la pancarte, un poids énorme s’est envolé de leurs épaules, fiers de leur exploit, ils firent une intervention Facebook en direct remplie d’émotions. Un repos bien mérité pour les hommes et les machines qui, comme pour leurs pilotes, en profitent pour se refaire une beauté! Pour ce qui est de dormir dans un lit confortable, ce sera pour une autre fois, car à 250 $ la nuitée (dans le seul hôtel, rappelons-le), la tente sera la bienvenue. Par contre, pour ce qui est de trouver le sommeil lorsque le soleil brille vingt-trois heures et quart par jour, on repassera! Simon-Pier, qui a besoin d’une noirceur presque complète pour s’endormir, ne la trouvera pas drôle… mais fatigue aidant, il finira par s’endormir. Le lendemain, nos deux « touristes » rencontrent par hasard le président de Parcs Canada, un Montréalais lui aussi passionné de moto, qui leur piqua une petite jasette. Sur le chemin du retour, c’est aux environs d’Eagle Plains que Simon-Pier commença vraiment à s’amuser sur la garnotte, sollicitant de plus en plus sa machine, augmentant la vitesse lors des sections dégagées et rendues plus faciles à négocier en raison de l’adhérence supplémentaire accordée par un revêtement sec. Petite pause pour rechercher les pneus route (qui avaient été laissés camouflés en bordure de route à l’aller) qui, même avec un repère GPS, se montrèrent plus difficiles à retrouver que prévu, même si la végétation est loin de ce à quoi nous sommes habitués au Québec! Un ranger du parc Tombstone s’informa du but de leur recherche (retrouver les pneus prit une demi-heure), ce qui le fit bien rire. Plus loin, une mère grizzly et ses deux petits, faisant le tour d’une camionnette, obligèrent nos amis à s’arrêter à distance (environ 100 pieds). Possiblement que la gestuelle de la conductrice excita la mère qui ne semblait pas trop « amicale ». La tactique choisie fut celle du rebrousse-chemin et retour à pleine vitesse (150 km/h), profitant que la mère soit descendue dans le fossé. Les rencontres animalières (orignaux, bisons, loups, ours noirs) furent communes, mais se faire survoler par un aigle à tête chauve demeure une expérience hors de l’ordinaire! Les derniers 100 kilomètres sur la Dempster Highway furent négociés côte à côte à la CHiPS tellement Simon-Pier avait pris de l’assurance! Arrivée à Dawson pour trinquer à la mission accomplie. Et de retour à Whitehorse le lendemain pour une bonne maintenance sur les machines (changement d’huile, nettoyage des filtres à air, en théorie remonte des pneus de route) qui dura plus longtemps que prévu. Les joints d’étanchéité de fourche de la Ténéré de David ayant rendu l’âme, il devint prioritaire de les changer, quitte à faire tout le trajet du retour sur les pneus à pitons. Aucun concessionnaire n’étant disponible pour effectuer la besogne en ce samedi après-midi, David se résigne à s’exécuter lui-même dans la cour du Canadian Tire, sous l’abri pour chariots, car le ciel se faisait menaçant. Ayant trouvé les pièces plus tôt en journée chez le concessionnaire Yamaha (une chance!), nos infortunés voyageurs se mirent à l’œuvre en plein air. Probablement nés sous une bonne étoile, nos compères reçoivent l’aide providentielle de Jean, un soudeur devenu contremaître dans un atelier de soudure depuis 15 ans qui leur offre d’aller faire la réparation chez lui, dans son garage entouré de ses motos, car Jean est aussi motocycliste. Bien équipés et ravitaillés en pizza pour le souper, la tâche se fit rapidement grâce aux outils et support de leur nouvel ami. Tôt le lendemain matin, avec les motos arborant toujours leurs pneus à crampons (qu’elles garderont pour le reste du trajet, faute de temps pour les changer), retour en selle direction Grande Prairie. Les jours suivants, ce sera Grande Prairie-Edmonton, Edmonton-Winnipeg et Winnipeg-Thunder Bay.

Petite mésaventure pour David qui échappa son téléphone sur la route, Simon-Pier l’évita de justesse, ce qui ne fut pas le cas pour la roulotte trois essieux qui suivait… Dommage, car les plus belles vidéos avaient été prises avec ce téléphone (elles furent heureusement récupérées plus tard en jouant avec la connexion). Le temps commençant à presser (la soirée de retour étant planifiée pour le vendredi 5 août qui arrive à grands pas), nos amis doivent brûler les étapes. Départ de Thunder Bay vers 8 h le soir en direction de Nipigon où une heure et demie fut perdue à essayer d’ajuster les phares des motos qui éclairaient trop haut. Ils roulèrent toute la nuit pour se rendre à Wawa, où la chaleur à l’intérieur du Tim Horton’s les fit tomber dans les bras de Morphée. Le repos fut de courte durée, car une Montréalaise de 65 ans qui parcourait le Canada à vélo les reconnut et vint leur piquer une petite jasette et leur fit un don de 50 $. Par manque de place au seul motel de l’endroit, le repos des guerriers se fit sur leur moto… avec les mouches et tout le confort que cela implique… à ne pas refaire! Le vrai sommeil (environ une heure trente) sera au rendez-vous le lendemain avant-midi près de Timmins, à l’ombre d’un camion-remorque dans une halte routière. En repartant de Timmins, Pierre Archambault, un ami de longue date de David, se joint à notre duo sur sa BMW F800GS pour les accompagner jusqu’à Val-d’Or, où un bon souper, une bonne douche et surtout une bonne nuit de repos au chaud rechargent les batteries des voyageurs fatigués. Par contre, une tâche remise depuis Whitehorse (faire leur lessive) doit encore être reportée faute de temps. Ils ont pourtant bien essayé à Edmonton, mais ayant emprunté une autoroute à quatre voies à l’envers, ils se retrouvèrent face au trafic! Heureusement qu’un policier réussit à bloquer la circulation, ce qui leur permit de s’en sortir sains et saufs. Ce sera donc un petit lavage sommaire des sous-vêtements dans le bain du motel de Val-d’Or… La dernière journée, le trajet Val-d’Or–Québec (avec un petit crochet par Montréal) se déroula sans encombre, sauf pour Pierre qui se fit intercepter pour avoir roulé debout sur ses repose-pieds! L’arrivée au Boston Pizza de L’Ancienne-Lorette comme prévu en ce 5 août fut un soulagement pour leurs proches et un profond sentiment de devoir accompli pour nos deux motocyclistes. Défi relevé les gars! Quel sera votre prochain?

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