Full Rétro! Mais technologiquement moderne et branchée
Si vous doutez de l’importance du passé et de l’histoire d’une marque de moto comme ingrédient du succès, voici un argument massue : Indian. Seulement trois ans après avoir repris la marque, Polaris vend trois fois plus d’Indian que de Victory, l’autre marque de moto du géant américain des véhicules récréatifs. Et pourtant, voilà déjà 17 ans que Polaris travaille fort à développer ses Victory. Cela démontre toute la puissance de la légende Indian. Malgré les nombreuses tentatives maladroites précédentes (des Royal Enfield rebadgées, des minimotos à moteur deux-temps et le fiasco Gilroy des imitations de Harley avec moteur S & S), Indian se pose désormais comme le seul véritable compétiteur de Harley-Davidson.
Il est vrai qu’Indian a une longue histoire. La compagnie a été fondée en 1901 – oui avant Harley-Davidson – à Springfield, au Massachusetts et les deux entreprises ont longtemps été en compétition. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y avait de longues discussions dans les chaumières et dans les bars à savoir quelle marque produisait les meilleures machines. Éventuellement, c’est Harley qui s’est imposée puisque Indian a fait faillite en 1953. Il n’en demeure pas moins que les Chief et les Scout sont tout aussi fortement ancrées dans l’imagerie motocycliste américaine que les Sportster et les Electra Glide. Le fait que Harley-Davidson considère encore Indian comme son principal compétiteur malgré une pause de 60 ans en dit long sur la force de la marque.
La nouvelle Roadmaster arrive donc avec un long passé à honorer. Comme dans le cas du modèle 1947, il s’agit essentiellement d’une Chieftain avec une valise centrale et un plus gros pare-brise (modernité oblige, celui du modèle 2017 est à commande électrique). Pour le reste, on retrouve le très coupleux V-2 de 111 pouces cubes (une cylindrée semblable aux 1811 cc des Harley CVO), un cadre en aluminium impressionnant et assez de composantes rétro pour vous donner l’impression que vous avez fait un voyage dans le temps.
Sous ce style rétro se cache cependant une machine très moderne. Le moteur Thunder Stroke, par exemple, reprend méticuleusement le look d’une Chief 1953 et l’angle entre les cylindres est le même : 49 degrés. Mais le design des culasses et des chambres de combustion (inspiré du moteur LS7 des Corvette) est remarquablement moderne, et les cylindres sont plaqués au nikasil.
Ce moteur est d’une grande civilité, même s’il n’est pas (encore) refroidi au liquide. Il est calme au ralenti, il affiche une douceur impressionnante quand on roule (grâce à son contrebalancier) et il livre une bonne puissance avec son couple annoncé de 119 lb-pi. (Comme Harley, Indian ne publie pas de données sur la puissance – elle est sans doute de 75 à 80 ch à la roue arrière). Avec son volant à peine plus léger qu’un couvercle de puisard, on ne peut pas dire que la réponse du moteur est vive et immédiate. Mais le gros moulin répond tout de même avec empressement quand on tord la poignée. En fait, côté performances, il devance tous les moteurs de Harley sauf la dernière déclinaison du 110 po cu CVO. La transmission à six rapports est précise et efficace. En fait, le seul véritable défaut de ce moteur, c’est la chaleur dégagée par le cylindre arrière.
Pour ce lancement, Indian avait invité les journalistes en Caroline du Nord, dans la région des Great Smoky Mountains. Et c’était la canicule. Plus je roulais, plus je sentais que l’arrière de mon mollet droit était en train de cuire tranquillement sous l’effet du tuyau d’échappement du cylindre arrière. Je n’exagère pas – je me suis même aperçu que j’avais deux ou trois petites brûlures une fois rentré à la maison. Pour tenter de rafraîchir la bête, Indian a doté les sections inférieures de carénage de prises d’air. Toutefois, il s’agit tout de même d’un très gros moteur, refroidi à l’air, et il doit déplacer une masse de 414 kg. Oui, vous avez bien lu : 914 livres. Avec son couple généreux, il se tire très bien d’affaire malgré le poids de la machine, mais il n’en reste pas moins qu’il doit travailler fort, ce qui produit de la chaleur. Heureusement, on peut facilement enlever les bas des carénages (en retirant trois vis). L’air circule alors assez librement pour régler le problème de cuisson du mollet.
Avec son poids imposant, la Roadmaster exige de l’attention pour les manœuvres de stationnement et en roulant à très basse vitesse, même si son centre de gravité est bas. Si elle s’incline un peu trop, vous ne réussirez pas à la ramener à moins d’avoir la carrure d’Hugo Girard.
Dès qu’on passe le cap des 5 km/h, toutefois, la grosse Indian répond de façon remarquablement équilibrée. À cause du poids, la direction n’est pas très rapide, mais la machine est facile à inscrire en virage et elle maintient bien sa ligne même sur les revêtements défoncés. Les pneus Dunlop Elite (130/90-16 à l’avant, 160/60-16 à l’arrière) offrent une adhérence amplement suffisante pour faire frotter les marchepieds.
À l’avant, la suspension est assurée par une fourche costaude de 46 mm et le monoamortisseur arrière est bien calibré. Seule la suspension arrière est ajustable, grâce à un système pneumatique qui contrôle la précharge et la fermeté du ressort. Pour l’augmenter, il faut utiliser une petite pompe (semblable à une pompe de bicyclette), livrée de série. L’opération est plus simple qu’elle n’en a l’air – il suffit d’enlever une cache latérale et la pompe est munie d’un indicateur de pression incorporé. Cela dit, ce serait vraiment bien d’avoir un système d’ajustement automatisé comme sur la Triumph Explorer. En fait, tous les cruisers avec un penchant pour le tourisme bénéficieraient d’un tel dispositif. Je ne prône pas un système d’ajustement électronique complexe, juste un dispositif simple qui ajusterait automatiquement la précharge du ressort quand un passager monte à bord.
La Roadmaster est une machine confortable. Sa large selle offre un excellent support, les marchepieds avancés ne sont pas trop avancés, et le carénage offre une excellente protection contre le vent. Indian affirme qu’il s’agit du seul carénage monté au guidon avec un pare-brise à ajustement électrique. Dans sa position la plus haute, il enveloppe le pilote dans une bulle exempte de ballottements. Dans sa position la plus basse, il y a plus de turbulence, non seulement parce que le pilote est plus exposé, mais aussi parce que les prises d’air se retrouvent alors fermées en bonne partie (en position pleinement ouvertes, elles contribuent à rendre l’air plus fluide). La Chieftain est dotée du même carénage, mais avec un pare-brise plus bas, et elle produit moins de turbulence. Son pare-brise devrait être interchangeable avec celui de la Roadmaster, et Indian offre différents pare-brise optionnels pour les deux modèles.
Les valises de la Roadmaster sont impressionnantes. Elles ont l’air tout aussi full rétro que celles d’une Harley Electra Glide, mais elles sont nettement plus faciles à utiliser et leur finition intérieure est plus raffinée. Il y a une prise électrique à l’arrière pour les vestes chauffantes et autres accessoires.
La grande nouvelle pour 2017, toutefois, c’est qu’Indian offre finalement un système audio et multimédia pour rivaliser avec le Boom Box 6.5GT qu’Harley propose sur ses baggers haut de gamme. C’est un système impressionnant avec écran facilement divisible, options multiples, système audio de 200 watts, etc. Selon Indian, l’écran tactile de 7 po est le plus grand et sa résolution de 800 x 480 pixels est la plus élevée de l’industrie. La chaîne audio est facile à contrôler grâce à ces interrupteurs à bascule bien pensés et bien placés sur les poignées de droite et de gauche. Le système offre de très nombreuses possibilités de personnalisation. Par exemple, on peut avoir la carte en plein écran ou diviser l’écran en deux et choisir les fonctions à afficher. En balayant l’écran du doigt, même avec un gant, on peut changer de mode et passer des informations sur la moto (pression des pneus, etc.) à celles sur l’environnement (dont l’altimètre, que l’on peut aussi remettre à zéro pour savoir de combien on a grimpé dans la journée). Lors de la démonstration, on nous a présenté une quantité hallucinante de possibilités…
Il y a un bémol, toutefois. J’ai essayé la Roadmaster 2017 environ six semaines avant sa sortie officielle (prévue pour le 26 juillet) et le système multimédia à écran tactile devait être la vedette du lancement. Malheureusement, il y avait encore certains bogues non résolus. Sur deux des motos, dont la mienne, le système a cessé de fonctionner complètement et quelques journalistes ont aussi souligné que la connexion Bluetooth avec les casques coupait fréquemment. Le maintien du lien avec les iPhone était particulièrement problématique. Quand il fonctionnait, ce système multimédia était extraordinaire. Il s’avérera probablement supérieur au Boom! de Harley… quand il sera au point.
Pas de problème du côté des autres dispositifs électroniques, par contre. Même à 130 km/h avec le pare-brise abaissé, la chaîne audio est assez puissante pour se faire bien entendre. Le régulateur de vitesse d’Indian est particulièrement réussi parce qu’il permet des décélérations en douceur, contrairement à la plupart des systèmes installés sur les motos. Quand on désengage le régulateur, les papillons d’admission se referment graduellement, ce qui évite la sensation de freinage. Cela peut sembler anodin, mais il s’agit tout de même d’une nette amélioration par rapport aux systèmes des concurrents.
Problème de surchauffe du mollet par temps chaud et bogues technologiques mis à part, la Roadmaster est une machine impressionnante. Elle affiche un look art déco légèrement excessif mais tout à fait dans le ton et son moteur est étonnamment sophistiqué pour un moulin qui n’a que quelques années de vie derrière lui. De plus, où qu’on l’examine, la Roadmaster affiche une qualité de construction élevée, tout à fait comparable à celle d’une Electra Glide.
Et, bien sûr, en pilotant une Roadmaster vous entrez dans une légende motocycliste que même 60 années d’absence n’ont pas réussi à estomper.
Les prix n’avaient pas été dévoilés au moment d’écrire ces lignes, mais attendez-vous à débourser environ 35 000 $. Les Roadmaster 2017 devraient être chez votre concessionnaire d’ici la fin de l’été.