La MV est exquise. La Yamaha est brillante pour son prix.
« Vous êtes conscient que vous avez un emploi absolument extraordinaire, j’espère? » C’est ce qu’on nous dit immanquablement quand on rencontre des gens sur la route ou dans les salons de la moto. Et c’est vrai. La plupart du temps. Car le fait de travailler dans un domaine qui nous passionne entraîne aussi son lot de complexités. Par exemple, il peut s’avérer très difficile de rouler en moto quand on n’est absolument pas dans le mood et qu’en plus, l’horaire de la journée est très chargé. Comme aujourd’hui.
Hier, James Nixon, le rédacteur adjoint de Cycle Canada, a eu un accident. Il s’est accroché avec un autre pilote sur le circuit de Calabogie. Il n’a pas subi de blessures importantes lors de sa chute, mais il a mal partout – et on sent qu’il est très tendu. C’est le côté sombre de notre travail : nous connaissons tous un ou deux collègues qui sont morts au combat.
Ce matin, en prenant le déjeuner à Perth, une petite ville de l’est de l’Ontario, Neil Graham essaie de remonter le moral de James, sans grand succès. Après avoir fait le plein, nous prenons la route, mais le cœur n’y est pas. Les tricylindres de 675 et 800 cc de MV Agusta sont des moteurs au tempérament enivrant. Sur circuit, leur sonorité et leur comportement en font des sportives particulièrement emballantes. Sur la route, par contre, comme nous l’avons souligné lors d’essais précédents, la réponse de l’accélérateur est parfois saccadée. Dans le contexte actuel de réglementation des émissions, le calibrage de l’alimentation est une tâche extrêmement délicate et MV n’avait pas réussi à égaler le niveau de raffinement des constructeurs de longue expérience (il n’y a pas très longtemps que Claudio Castiglioni a ressuscité la marque). La perspective de rouler sur une moto à l’accélérateur ultrasensible n’emballe pas nos deux pilotes. Ce dont ils ont besoin aujourd’hui, ce sont des machines capables de mettre un baume sur un corps et un esprit blessés.
La route 511 qui pointe vers le nord à partir de Perth est rectiligne et endormante au début. Puis, très graduellement, elle se met à monter et descendre et à offrir de plus en plus de courbes. Contrairement aux autres fois où nous avons roulé sur cette route, nous ne filons pas à un rythme effréné. Neil met la MV en sixième vitesse et il laisse le moteur travailler en douceur. C’est la première fois qu’il prend le temps d’admirer le paysage, de remarquer cette grange peinte en rouge vif ou cette belle maison de ferme avec une cheminée qui fume et qui parfume l’air.
Nous poursuivons ensuite vers Calabogie, puis Griffith. Dans une section forestière particulièrement agréable, Neil se relève tout à coup sur sa selle. Normalement, ce serait le signe qu’il a aperçu un chevreuil. Pas cette fois. En fait, c’est qu’il vient de prendre conscience tout à coup de la moto sur laquelle il roule. Habituellement, on n’oublie jamais qu’on est sur une MV; c’est une machine à la personnalité forte qui vous fait constamment sentir sa présence. Mais avec sa suspension à commande électronique Sachs ajustée dans sa position la plus souple, cette Turismo Veloce offre un roulement digne d’une BMW. Quant à l’alimentation et à la réponse de l’accélérateur, elles sont impeccables. On a beau essayer de les prendre en défaut en faisant forcer le moteur à trop bas régime puis en le faisant ensuite grimper jusqu’à la zone rouge, il ne toussote jamais et réagit toujours très bien. On pourrait se croire sur la Yamaha si ce n’était du fini rouge éclatant du réservoir.
MV a toujours fabriqué des motos superbes. Claudio Castiglioni a engagé le célèbre Massimo Tamburini pour faire le design de la première MV post-résurrection, la F4 à moteur quatre cylindres de 750 cc. Son look n’était pas particulièrement original puisqu’il était fortement inspiré de celui de la Ducati 916 (que Tamburini avait également dessinée…), mais il a permis d’établir un langage visuel fort pour les machines suivantes. Le directeur actuel du design chez MV est le Britannique Adrian Morton et la Turismo Veloce est sa création la plus réussie.
Visuellement, la MV est absolument impressionnante. Toutes les pièces sont délicieusement raffinées, depuis le garde-boue avant jusqu’à l’arrière. Sur les machines de tourisme, la partie arrière est souvent plutôt drabe parce que conçue d’abord et avant tout dans une perspective fonctionnelle. Chapeau à MV qui a réussi à la rendre particulièrement intéressante d’un point de vue visuel, et particulièrement fonctionnelle avec ses énormes valises latérales. Comme on le voit sur la photo prise de l’arrière, les valises utilisent au maximum l’espace disponible sous la selle et le pneu arrière passe tout juste entre les deux. Résultat : les deux valises acceptent facilement un casque intégral XL sans que la moto ne devienne trop large. La selle à coutures apparentes est très élégante aussi et, miracle! elle est également confortable. Quant au moteur tricylindre de 798 cc à trois sorties d’échappement, il a encore fière allure malgré les années. Et le fait que cette déclinaison soit plus sophistiquée que jamais ne fait qu’ajouter à son charme.
La Turismo Veloce est légère pour une machine de tourisme : 207 kg à sec selon la firme. Elle est nettement plus maniable à basse vitesse et dans les stationnements que bien d’autres motos de tourisme. Mais il y a un mais. La MV telle que vous la voyez sur les photos, avec ses valises, coûte environ 23 000 $. La Yamaha FJ-09, également avec valises, est offerte à 12 350 $. Est-ce que la MV est deux fois meilleure? Bien sûr que non, mais là n’est pas la question.
Ces deux machines ont été conçues en utilisant des approches très différentes. La Yamaha visait un objectif de prix tandis que la MV visait un objectif de fonctionnalité. En selle, par contre, elles sont étonnamment semblables. Notre Yamaha était cependant équipée d’un pare-brise optionnel aussi affreux que dysfonctionnel (ne l’achetez pas – son efficacité est comparable à celle d’une feuille de contreplaqué). La Yamaha offre un peu plus d’espace pour les jambes, ce qui constitue un avantage pour les très grands pilotes, mais le poste de pilotage de la MV est assez spacieux aussi. Quant au tricylindre de 847 cc de la Yamaha, il est tout aussi enjoué et charismatique que celui de la MV.
Le design de la FJ-09 est tout sauf emballant (même si on s’abstient de le comparer à celui de la MV). Les caches latérales en plastique tentent maladroitement d’imiter la fibre de carbone et on dirait que les valises ont été achetées dans un magasin de liquidation. Dès qu’on prend la route, toutefois, la FJ-09 fait brillamment oublier l’humilité de sa fiche technique. Il faut reconnaître ici la qualité de l’ingénierie japonaise et le comportement exemplaire de ce moteur dans une machine qui coûte deux fois moins cher que l’italienne.
Malgré les similitudes entre ces deux motos, elles ne sont pas en compétition directe. Yamaha vendra sans doute beaucoup de FJ-09, et avec raison. Son rapport qualité-prix est excellent et elle est propulsée par un moteur au tempérament exubérant (plutôt que par le quatre cylindres tristounet et vibreux des anciennes Yam de cette catégorie). De son côté, MV ne vendra pas des tonnes de Turismo Veloce Lusso. C’est une machine superbe, mais le nombre de clients potentiels diminue quand on arrive dans cette gamme de prix.
Nous avons roulé toute la journée et pris aussi le temps de faire de nombreux passages au même endroit pour permettre au photographe de faire son travail. Puis c’est l’heure de rentrer à la maison. Au moment de se séparer, les deux pilotes se saluent de la main et James prend la sortie. Neil, sans trop savoir pourquoi ni se poser de questions, rétrograde la MV de trois rapports, il tord l’accélérateur à fond et file vers l’horizon.
IMPRESSIONS
La meilleure des MV
C’est sans doute parce que je prends de l’âge, mais je trouve que le temps est court. Trop court pour le café dilué, trop court pour le mauvais vin, trop court pour le whisky qui goûte le décapant. Mais je ne suis pas snob. Ni superficiel. Ni poseur. J’aime me mettre les mains dans l’huile. J’aime les anciens outils manuels, les micromètres et les bons vieux tournevis. Pour moi, l’homme élégant a le look d’un gars qui descend de son cheval après trois jours de chevauchée. J’aime les femmes matures avec des pattes d’oie autour des yeux. J’aime l’humour excessif qui fait rougir. Et j’aime les belles motos.
J’aime particulièrement les motos italiennes, c’est vrai, mais seulement quelques modèles. Et je sais aussi reconnaître leurs faiblesses. Par exemple, j’adore ma Aprilia RSV4, mais je déteste sa peinture criarde. (Ducati est passée maître dans l’art de la peinture il y a longtemps. La recette est simple : choisissez une belle couleur, appliquez-la avec soin et arrêtez.) Quant à la MV, c’est une machine brillante et inspirante. Je me sens bien quand je la pilote. J’aime faire glisser mes doigts sur les coutures de la selle, et j’apprécie le fait que les valises latérales soient superbes. Pourquoi accorder de l’importance aux valises? Parce qu’elles sont l’expression d’un travail bien fait. C’est comme pour l’écriture dans un magazine de moto. Pourquoi se donner la peine de construire de belles phrases complexes alors qu’une phrase plate pourrait faire l’affaire? Parce que c’est notre travail. Je veux être entouré d’objets – et de phrases – fabriqués par des gens qui prennent leur travail profondément à cœur.
Je sais ce que vous allez me demander : est-ce que ça vaut la peine de payer 10 000 $ de plus pour avoir ces valises, si magnifiques soient-elles? Pour moi, la réponse est oui. Je n’ai pas les moyens de m’acheter une MV, mais là n’est pas le point. Si vous êtes passionné par le travail bien fait, vous allez la désirer. Quant à la Yamaha, même si elle est moins chère, je suis déçu par son allure trop générique, ce qui est d’autant plus dommage qu’elle est dotée d’un moteur extraordinaire.
Cette Turismo Veloce est clairement la MV Agusta la plus réussie jusqu’ici. Est-ce une simple anomalie, ou est-ce le résultat d’un processus de maturation qui ouvrira une nouvelle ère pour la firme italienne? Le temps le dira.
– Neil Graham
IMPRESSIONS
La Yamaha, un choix plus sensé
Imaginez que vous êtes à la terrasse d’une magnifique villa qui domine la mer, sur la côte amalfitaine, en Italie. Le soleil se couche sur la Méditerranée et vous vous approchez de votre amoureuse avec deux verres de Chianti à la main. Vous l’enlacez, vous l’embrassez doucement dans le cou et vous cherchez la phrase qui la séduira. Vous ne parlez pas italien, mais vous aimeriez bien trouver quelques mots irrésistibles dans cette langue si belle. Alors en prenant votre meilleur accent italien, vous murmurez sensuellement : MV Agusta Turismo Veloce Lusso mi amore. Résultats garantis.
Pas de doute, la Turismo Veloce Lusso est une moto sensuelle. Son aura provient en partie du fait que MV Agusta est une marque exclusive, exotique et italienne. Mais elle est aussi réellement superbe et désirable avec ses lignes fluides, son réservoir sculpté, sa selle élégamment découpée et son bras oscillant monobranche. Même avec ses valises, elle est belle. La version Lusso que nous avons essayée est dotée d’une suspension Sachs semi-active, de poignées chauffantes et d’un GPS. La position de conduite est spacieuse et confortable, son moteur tricylindre est l’un des plus charismatiques de l’industrie et sa tenue de route est affûtée. J’aimerais bien avoir cette moto dans mon garage. Sauf que je n’ai même pas de garage… Tout ce que j’ai, c’est un budget moto serré. Mais il serait suffisant pour me procurer une Yamaha FJ-09.
Et, soyons réaliste, je serais parfaitement heureux avec la FJ-09. Malgré son appellation qui fait penser à un formulaire d’impôt, c’est une excellente moto, et elle est bien équipée : modes de conduite, antipatinage, ABS. La selle est ajustable (contrairement à celle de la MV) et la position de conduite est confortable et spacieuse. Son tricylindre est peut-être un tantinet moins enivrant que celui de la MV, mais il demeure extrêmement emballant. La tenue de route est un peu moins précise, mais elle enfile tout de même les courbes avec brio. Les freins sont puissants, elle est munie de protège-mains et d’une béquille centrale (que j’échangerais volontiers contre des poignées chauffantes). Bref, même si elle n’a pas autant de panache, la Yamaha fait essentiellement les mêmes choses que la MV.
Avez-vous vraiment besoin d’un dispositif quickshift et d’une suspension électronique? Tenez-vous à ce que votre moto ait l’air d’une œuvre d’art sur roues? Avec la Yamaha, vous pourriez réduire vos dépenses. Et avec l’argent économisé, vous pourriez vous retrouver dans une villa italienne à murmurer des mots doux à votre douce.
– James Nixon
Fiche technique
MV Agusta Turismo Veloce Lusso
Modèle |
MV Agusta Turismo Veloce Lusso |
Prix |
20 995 $ |
Moteur |
Tricylindre en ligne, ref. au liquide |
Puissance (annoncée) |
110 ch |
Couple (annoncé) |
59 lb-pi à 8500 tr/min |
Cylindrée |
798 cc |
Alésage et course |
79 x 54,3 mm |
Rapport volumétrique |
13,3:1 |
Alimentation |
Injection |
Transmission |
6 vitesses |
Suspension |
Suspension semi-active à commande électronique Avant : fourche inversée de 41 mm Arrière : monoamortisseur, précharge du ressort ajustable |
Empattement |
1420 mm |
Chasse/déport |
26,5º/108 mm |
Freins |
ABS. Avant : 2 disques de 320 mm, étriers à 4 pistons Arrière : disque de 220 mm, étrier à 2 pistons |
Pneus |
Avant : 120/70-17. Arrière : 190/55-17 |
Poids (annoncé) |
207 kg (à sec) |
Hauteur de la selle |
870 mm |
Réservoir |
20 litres |
Consommation |
5,2 l/100 km |
Autonomie |
385 km |
Fiche technique
Yamaha FJ-09
Modèle |
Yamaha FJ-09 |
Prix |
10 999 $ |
Moteur |
Tricylindre en ligne, ref. au liquide |
Puissance (annoncée) |
ND |
Couple (annoncé) |
64,3 lb-pi à 8500 tr/min |
Cylindrée |
847 cc |
Alésage et course |
78 x 59,1 mm |
Rapport volumétrique |
11,5:1 |
Alimentation |
Injection |
Transmission |
6 vitesses |
Suspension |
Avant : fourche inversée de 41 mm, précharge des ressorts et amortissement en détente ajustables Arrière : monoamortisseur, précharge du ressort et amortissement en détente ajustables |
Empattement |
1440 mm |
Chasse/déport |
24º/100 mm |
Freins |
ABS. Avant : 2 disques de 298 mm, étriers à 4 pistons Arrière : disque de 245 mm, étrier à simple piston |
Pneus |
Avant : 120/70-17. Arrière : 180/55-17 |
Poids (annoncé) |
210 kg |
Hauteur de la selle |
845/860 mm |
Réservoir |
18 litres |
Consommation |
5,4 l/100 km |
Autonomie |
333 km |