J’accélère en prenant la longue ligne droite, les estrades géantes sur ma droite et la fameuse Pagode sur ma gauche offrent un décor de jeu vidéo. J’enclenche la sixième juste avant de passer sur l’historique bande de brique du circuit original, le Brickyard, qui donne le surnom à l’endroit. Je freine et rétrograde deux vitesses pour entrer dans le rapide virage numéro un. Je descends deux autres vitesses avant le virage numéro deux. Avec les cinq motos devant moi, je suis la queue d’un petit groupe qui se resserre, enchaînant le virage suivant, sur la gauche aussi, et ensuite le quatre vers la droite dont on sort en accélérant…
Tout à coup, j’entends une voix : « C’est cool que notre guide roule à un bon rythme! ». C’est Brigitte qui me donne ses impressions. En temps réel. Elle est bien assise derrière moi et prend des photos. Non, je ne suis pas aux commandes de la Desmosedici biposto qu’utilise habituellement Randy Mamola pour balader les vedettes à haute vitesse. Il s’agit plutôt de notre bonne vieille et fidèle ST4s, celle qui nous a amenés ici. Et on roulait environ 120 km/h sur la ligne droite, loin des 320 km/h des MotoGP. C’est tout de même très intéressant de voir la piste de derrière les guidons.
Nous sommes plus de 2000 en ce début de soirée à en faire l’expérience. Autant en ont fait de même la veille. À 40 dollars chaque, ça fait un montant intéressant, mais ce n’est qu’une goutte dans l’ensemble du budget de l’événement. À vue de nez, il doit entrer dans les environs de 7 ou 8 millions de dollars au guichet. Quelque 68 000 spectateurs le dimanche ont payé de 70 à plus de 1000 dollars le billet, selon que ce soit pour une admission générale ou l’expérience MotoGP VIP Village avec champagne, traiteur et tout. Les boutiques de t-shirts et souvenirs, les stands de bouffe qui offrent entre autres des Brickyard Burgers et des cuisses de dinde (une cuisse de dinde peut suffire à une famille de quatre!) ainsi que les exposants installés dans la Gasoline Alley semblent faire de bonnes affaires. En dehors du site, il y a aussi beaucoup d’argent qui change de main. Plusieurs hôtels affichent complet et les restos du centre-ville débordent de motocyclistes. Il en est ainsi depuis 2008, la première édition à Indianapolis. 2015 aura été la dernière.
Pourquoi alors perdons-nous le MotoGP le plus facilement accessible pour nous? Une combinaison de facteurs entre en jeu. Il y a bien sûr le commanditaire principal qui se retire. En effet, Red Bull préfère investir le montant versé jusqu’alors à promouvoir Indianapolis pour supporter le Grand Prix d’Autriche qui revient au calendrier en 2016. Logique et compréhensible avec l’association étroite entre Red Bull et KTM; il est peu surprenant qu’ils aient envie d’une course chez eux, sur le circuit Red Bull Ring. Sans ce support, qui était versé directement à Dorna, propriétaire de la série, pour subventionner les déplacements outre-mer pour venir aux États-Unis, le montant de la sanction demandé à l’IMS (Indianapolis Motor Speedway) a grimpé en flèche. Il n’y a pas d’autres courses avec qui partager les frais.
Laguna Seca ne reçoit plus le MotoGP depuis 2014 et il est pratiquement impossible de s’associer avec la ronde d’Austin étant donné l’écart de climat. Quand la température printanière du Texas est idéale pour cette course, il fait simplement trop froid dans le centre des États-Unis. La course en Argentine ajoutée en 2014 vient alors à point. Du Qatar à Austin à Termas de Rio Hondo : tout s’enchaîne, chacun payant sa part.
L’Amérique du Sud est un marché important pour le MotoGP. L’IMS se verrait donc obligé d’assumer la facture complète pour les trois jumbo-jets nécessaires pour trimballer tout le matériel, en plus des billets pour le personnel, pour un aller-retour en juillet. Ce serait encore rentable selon certaines sources, mais évidemment beaucoup moins sans commanditaire majeur, ce qui ne se trouve pas facilement de nos jours. Le MotoGP est populaire de ce côté-ci de l’Atlantique, mais cela n’a rien à voir avec l’engouement en Europe ou encore avec celui de nos voisins du Sud pour le Nascar. En gros, c’est donc ces questions de marketing et de logistique qui contribuent à la situation.
De trois Grands Prix aux États-Unis en 2013 à seulement qu’un en 2016, le choix de destination lorsque l’on saute sur sa moto pour se rendre voir les meilleurs pilotes en action n’en est plus un. Je crois que je vais me retrouver aux guidons d’une moto dotée de poignées chauffantes pour faire un tour du Circuit of the Americas au début du mois d’avril prochain. C’est encore plus tôt dans la saison que lorsque nous y sommes rendus en 2013 et je me souviens avoir dû retarder notre départ à cause d’une tempête. Connaissez-vous quelqu’un qui serait intéressé par une Ducati avec quelques kilomètres au compteur?