Nous roulons vers l’est. Les nuages à l’horizon cachent le soleil levant. Quelques minutes plus tard, je tourne la clé de contact et la Ducati devient silencieuse. Retour au point de départ après quinze jours sur la route. « C’est assez pour aujourd’hui! » dis-je à Brigitte. « C’est sûr que c’est assez, je n’en peux plus! » me répondit-elle. Depuis 22 h la veille que l’on cherche un lit et il est plus de 4 h du matin. Nous avons roulé plus de 700 kilomètres depuis cet arrêt à Watertown, New York. « Tout est complet en ville depuis tôt cet après-midi. Tentez votre chance vers Syracuse » fut l’accueil au comptoir d’un hôtel portant le nom d’une célèbre starlette parente avec le fondateur de la chaîne hôtelière. On vient de passer par Syracuse… Et on se dirige vers le nord!
Nous avons donc repris la 81 vers la frontière canadienne. La douanière a souri quand je lui ai dit que j’espérais trouver une chambre à Brockville. « Il y a beaucoup de monde qui traverse dans l’autre direction espérant trouver des chambres aussi. » Ça regarde mal! L’arrêt à Brockville confirme le manque flagrant de matelas disponibles pour les vagabonds que nous sommes… Malgré une vitesse de croisière respectable sur la 401, l’enseigne « Bonjour/Bienvenu au Québec » se fait attendre depuis longtemps. Je croyais que nous avions de bonnes chances de trouver à Vaudreuil, mais pas de chance! À un petit motel, on a fait face à une affiche faite au stylo-feutre : « Complet. Depuis longtemps. Pas la peine d’insister! ». À 1 h du matin, c’est un peu déprimant. Dans le stationnement d’un hôtel de Dorval, je me précipite presque en courant vers l’entrée. Un père de famille vient de descendre de son véhicule plein de marmaille et de bagages. Il a la même idée que moi : foncer à la réception avant l’inconnu devant lui pour s’emparer de la dernière chambre. « Tout est complet messieurs. Et c’est le cas pour toute la région métropolitaine. »
St-Hyacinthe. Le scénario se répète… « Vous devriez essayer vers Québec, je crois. » En se dirigeant vers la moto, je dis à Brigitte : « Si on se rend à Québec, ce ne sera pas pour trouver une chambre. Tant qu’à y être, on va filer vers la maison. C’est seulement 100 kilomètres de plus! » Depuis que nous sommes partis, nous n’avons eu aucun tracas à trouver des gîtes. À Sault-Sainte-Marie, l’hôtel au centre-ville avait l’air intéressant. « Une chambre sur les étages supérieurs avec vue sur les lacs? Bien sûr! » À Grand Portage (Michigan), l’orage menace en fin de journée. Juste ici, ce motel a l’air bien. « Une chambre non-fumeur, s’il vous plaît? » Et voilà! Près de Pierre, au Dakota du Sud, le préposé à la réception nous dit que c’est complet à cause des travailleurs du pétrole, mais il nous guide vers un lit accueillant dans la ville la plus près. Après notre saut dans les Badlands et au mont Rushmore, la journée s’est terminée à Sheridan (Wyoming) sans avoir à chercher. Idem pour Idaho Falls. En Californie, j’avais quand même prévu le coup : chambre réservée quelques mois à l’avance, MotoGP de Laguna Seca oblige! Suite à trois jours dans un même lit, ce fut Las Vegas, sous la pluie, qui nous offrit un choix presque illimité. J’avoue que nous avons cherché un peu à Tuba City en Arizona. La proximité du Grand Canyon et de Monument Valley attirant les vacanciers, nous n’avons eu d’autre choix que d’opter pour un dortoir de collège. Au Colorado, au Kansas et en Indiana, nous n’avons eu qu’à faire notre choix.
Mais ici, cette nuit, si près de chez nous, il n’y a pas la moindre trace d’un oreiller libre! Après St-Hyacinthe, on s’arrête pour casser la croûte et prendre une pause. Depuis le souper à l’ouest de Syracuse, nous sommes descendus seulement pour nous faire dire non dans sept différents établissements et n’avons que grignoté un peu dans un relais routier à Cornwall. Malgré la très grosse enseigne qui annonce un restaurant ouvert 24 heures, il n’y a que le dépanneur d’ouvert et il n’offre que des sandwichs emballés et du café instantané! C’est la goutte qui fait déborder le vase! Nous remontons sur la bonne vieille ST4s et, en une heure et 20 minutes, les 210 kilomètres qui nous séparaient de nos draps tant convoités se sont volatilisés!
En entrant à la maison, Brigitte me demande : « As-tu une idée de combien de kilomètres nous avons parcourus depuis ce matin? » « Oui. » Comme chaque jour depuis qu’on est partis, j’ai remis l’odomètre à zéro. « 1885 kilomètres depuis ce matin. Et ça fait vingt heures que nous sommes partis de Richmond près d’Indianapolis. »