Un look à tout casser, un moteur suralimenté et 300 chevaux débridés
En théorie, je savais à quoi m’attendre. Avec les multiples bandes-annonces diffusées l’an dernier et la forte couverture médiatique quand les motos ont été dévoilées dans les salons, je savais que les Ninja H2 et H2R suralimentées par compresseur mécanique seraient puissantes, très puissantes. La H2 (légale sur la route) produit plus de 200 chevaux, la H2R (réservée aux circuits) atteint un nouveau sommet avec 300 ch.
Je savais à quoi m’attendre, mais je suis tout de même renversé par la puissance de la H2R en tordant l’accélérateur sur le grand droit du circuit de Losail, au Qatar. La roue avant flotte un peu dans l’air en troisième vitesse, je m’agrippe au guidon et je passe les trois autres rapports. À l’approche du virage numéro un, je serre le levier de frein avant et je me redresse; le vent me fouette tout à coup et je sens le poids de mon corps qui pousse sur mes bras. Cette moto ne ressemble à aucune autre moto de production et elle livre une expérience à la fois enivrante et violente.
De retour aux puits, un mécanicien appuie sur un bouton au tableau de bord et ma vitesse maximale atteinte apparaît : 319 km/h. Quelques confrères plus braves (ou plus légers) ont atteint 322 km/h, ce qui correspond au cap symbolique des 200 milles à l’heure. (Avec une machine à tirage plus long, un pilote d’essai de Kawasaki a enregistré 357 km/h sur une piste de vitesse inclinée au Japon.) La H2 est extrêmement rapide aussi; tout à l’heure, dans le grand droit, j’ai presque atteint sa vitesse de pointe de 300 km/h (limitée électroniquement).
Si vous êtes à la recherche d’une machine ultrarapide et ultra excitante, vous êtes au bon endroit. Aucun autre grand manufacturier ne propose une moto aussi extravagante et à l’accélération aussi vive.
Depuis longtemps, Kawasaki se targue de produire des motos aux performances élevées. Cette tradition remonte à la H2 originale de 1972, propulsée par un moteur tricylindre deux-temps. Ce n’est certainement pas par coïncidence que ces nouveaux modèles reprennent cette appellation. La première H2, aussi appelée Mach IV, était réputée comme la moto de route la plus rapide du monde à son époque. Elle avait également la réputation d’avoir un tempérament sauvage, et elle a éjecté plus d’un pilote. Cette moto a aussi servi de base à la H2R, une machine d’usine encore plus terrifiante. Même si on la surnommait « Green Meanie » à cause de son comportement parfois vicieux à haute vitesse, la H2R a permis à de grands pilotes comme Yvon Duhamel et Paul Smart de remporter de nombreuses courses.
C’est cet esprit fonceur que Kawasaki a voulu recréer avec les Ninja H2 et H2R modernes. Et on le retrouve certainement dans le look des deux machines : osé, frappant, distinctif. De plus, le niveau de finition est particulièrement élevé pour une moto de production. Le bas de carénage en fibre de carbone de la H2R est doté d’ailerons latéraux conçus pour exercer un appui aérodynamique à hautes vitesses. La H2 est munie d’une carrosserie en plastique avec peinture ultra lustrée appliquée à la main. Elle est équipée de rétroviseurs soigneusement dessinés par la division aérospatiale de Kawasaki, d’un système d’éclairage à DEL et d’une foule d’autres détails esthétiques réussis.
Le châssis est différent de ce à quoi Kawasaki nous a habitués par le passé, notamment avec sa section en treillis peinte en vert qui évoque les Ducati. Les deux H2 sont munies d’une suspension KYB à l’avant (fourche de 43 mm) et à l’arrière. Le superbe té de fourche supérieur est impeccablement machiné.
Le moteur est un quatre cylindres en ligne de 998 cc à 16 soupapes, suralimenté par un compresseur mécanique spécialement mis au point par Kawasaki. La H2 affiche une puissance de 197 ch à 11 000 tr/min (sans tenir compte de la puissance supplémentaire ajoutée par les prises d’air à haute vitesse). En termes de cavalerie, cela se compare aux plus récents modèles super sport des concurrents. Côté couple, par contre, le moteur suralimenté affiche un avantage marqué. Il faut dire également que ces Ninja ne sont pas de pures sportives radicales. Par rapport à la ZX-10R, par exemple, le guidon bracelet est plus élevé et plus large de 10 mm, les repose-pieds sont plus avancés, de 10 mm aussi, et la selle est plus grande et plus généreusement rembourrée.
Cela dit, on oublie le léger confort supplémentaire de la H2 dès qu’on tourne l’accélérateur dans les premières vitesses. La réponse est soudaine – c’est le moins qu’on peut dire – et la bête bondit vers l’avant avec une ardeur qui rend difficile le contrôle en finesse. En faisant mes premiers tours sur le circuit de Losail, je me souviens qu’on nous a dit à la conférence de presse de ce matin que cette moto « exige les réactions vives et aiguisées d’un pilote expérimenté ». Ce sont les mots qu’on utilisait pour décrire la H2 de 1972, et ils sont encore appropriés pour le modèle d’aujourd’hui.
Cette Ninja suralimentée est exigeante et elle demande une concentration maximale. J’hésitais à tordre l’accélérateur d’un coup en sorties de virage, notamment parce qu’un pilote d’expérience s’était planté la veille. J’ai donc adopté une autre méthode : freiner un peu plus tôt avant le sommet de la courbe, tourner légèrement l’accélérateur pour faire monter la pression du compresseur, garder la moto stable pendant la phase d’inclinaison maximale, puis réaccélérer en douce.
Sur le grand droit, la puissance monstrueuse à moyens régimes fait grimper les tours plus vite qu’avec un moteur à aspiration naturelle et l’antipatinage empêche la roue avant de s’envoler. Le dispositif de changement de vitesses rapide fonctionne très bien pour monter les rapports. Le pare-brise est suffisamment élevé pour couper le vent sur mon casque. Le son de l’échappement disparaît rapidement avec la vitesse, mais le compresseur émet un sifflement intéressant quand on ferme l’accélérateur.
Avec son poids de 238 kg, la H2 est sensiblement plus lourde que les sportives traditionnelles d’un litre, mais elle tient très bien la route. Kawasaki explique que le cadre en treillis confère une légère flexibilité qui augmente la stabilité à très hautes vitesses. Et, effectivement, la H2 est solide comme le roc en ligne droite et elle prenait les courbes avec aplomb, particulièrement après que les mécaniciens aient raffermi légèrement les suspensions avant et arrière. La moto est munie d’un amortisseur de direction électronique Öhlins, qui tient compte de la vitesse et de l’accélération.
Le guidon relativement large favorise la manœuvrabilité. L’adhérence est assurée par des pneus Battlax RS10FG sur la H2, et par des pneus lisses Bridgestone sur la H2R. La puissance de freinage est abondante grâce aux disques avant de 330 mm avec étriers Brembo à montage radial. Les freins conservaient leur puissance et leur mordant même après plusieurs décélérations intensives à partir de plus de 300 km/h avec la H2R. Le système ABS intervient un peu tôt par rapport aux meilleures machines concurrentes.
À priori, ces deux Ninja ne visent pas la fonctionnalité, mais la H2 peut tout de même faire une bonne machine de tous les jours si vous n’avez pas besoin d’une place pour un passager. Son réservoir de 17 litres donne une autonomie raisonnable, le poste de pilotage est spacieux, le carénage fournit une protection adéquate, les rétroviseurs sont fonctionnels et la qualité de roulement est excellente, notamment grâce au débattement de 135 mm à la roue arrière.
Malgré ce côté pratique, il n’en demeure pas moins que ces deux H2 n’ont rien de très raisonnable d’un point de vue objectif. Elles sont plus difficiles à piloter que la plupart des motos de superbike conventionnelles, elles ont moins de dispositifs d’aide à la conduite et elles s’avéreraient moins rapides sur une piste de course. Quant à la H2R, on ne peut pas la conduire sur la route et, de série, elle est trop bruyante pour être utilisée en essais libres sur certains circuits.
Et bien sûr, les prix sont élevés. La H2 coûte plus cher que n’importe quelle autre sportive hautes performances. Et en version R, la facture est presque deux fois plus élevée. Mais qui peut mettre un prix sur la poussée incomparable d’un moteur suralimenté? Aucune autre moto ne s’en approche. De plus, la rareté de ces deux modèles devrait garantir que leur valeur de revente demeurera élevée.
Kawasaki estime que ces motos sont une vitrine sur ce qu’elle peut faire de mieux, qu’elles sont particulièrement distinctives, tant au niveau visuel que technique, et qu’elles sont « tout aussi excitantes que les machines légendaires qui ont forgé la réputation de Kawasaki il y a déjà plus de 40 ans ».