Le moment où je suis devenu…

Par Guy CaronPublié le

J’aperçois les deux pilotes qui sortent de la dernière courbe et accélèrent vers moi.

Je suis à Shannonville, dans la ligne des puits près de l’entrée du virage un. Je m’attends à les voir freiner. Pendant un instant, mon cerveau ne comprend pas tout à fait les signaux que mon nerf optique transmet. Autrement dit, je n’en crois pas mes yeux! Ils passent à quelques mètres de moi de l’autre côté du mur, ne font que relâcher un peu les gaz et prennent la courbe le genou au sol. Mon attention se redirige vers mon instructeur. Nous venons de sortir de la salle de classe après la partie théorie de la formation pour obtenir ma licence de course.

J’ai entrepris mes démarches pour courir après avoir tout simplement décidé que le moment était venu pour moi de passer à cette étape. On remonte ici au printemps 1984 et, non, je n’avais encore jamais vu, de mes yeux et encore moins de si près, des motos en piste. Je dois rester attentif, très attentif, car après avoir marché le circuit en groupe et écouté les instructions de Michel Mercier, ce sera notre tour en piste, dans moins d’une heure. Je me suis simplement dit que si les deux instructeurs sur des RZ350 comme la mienne peuvent le faire, moi aussi je le peux! Bienvenue dans le merveilleux monde des courses! Ici, ce n’est pas assis à une table en prenant un café que se décide qui est rapide et qui l’est moins! Et voir Al Royer et Colin Fraser (que j’identifierai plus tard) passer devant moi, c’est tout à fait différent de regarder des photos de Randy Mamola, Barry Sheene et Freddie Spencer dans une revue!

Ce matin, lorsque je me suis réveillé dans mon luxueux véhicule, l’Alligator, une camionnette Chevrolet 1967 de trois quarts de tonne nommée ainsi pour sa belle couleur (et aussi pour la texture de sa peinture), j’avais en tête l’image d’une sortie de courbe sur une roue et foncer vers le drapeau à damiers comme Roberts dans une publicité télé de Yamaha. Maintenant, mes attentes sont plus modestes… je crois. La réalité, c’est la piste sous mes pieds et je suis conscient que j’ai beaucoup à apprendre, un fait qui nous est bien transmis dans la formation. J’écoute Michel qui tente de nous transmettre le plus possible ses connaissances. Points de repère, trajectoires et enchainements, position de conduite et fluidité des manœuvres, il y a beaucoup de détails à assimiler. Après avoir complété la formation, je me sens prêt! Ou presque!

Deux semaines plus tard, je suis de retour pour la première course de la saison. Je me suis qualifié vingt-septième sur les trente pilotes qui feront la finale Amateur 600cc Production. Cette classe était populaire à cette époque, après la course de la dernière chance, il y avait autant de pilotes qui prenaient place dans les estrades qu’il y en avait qui se dirigeaient vers la piste pour prendre part à la finale. En course, je suis remonté à la quinzième place avant d’oublier un aspect important de l’art du freinage. Il faut appliquer la pression progressivement pour transférer le poids vers l’avant, sinon ça bloque la roue… Ça semble si facile de dépasser sur les freins! Une chute et une leçon bien comprise! L’été s’est déroulé avec une courbe d’apprentissage constante, le livre Twist of the wrist sous le bras, à faire des tours de piste dans ma tête. Avec seulement quelques conseils et sans avoir de mentor près de moi, j’ai dû composer avec le système essai et erreur pour apprendre les pneus, tactiques de course et préparations de la moto, mais je crois que les deux plaques que j’ai remportées à l’automne 1984 lors de la seule course nationale de la saison témoignent de mon entêtement. L’une dit : troisième place en 600cc Grand Prix et l’autre deuxième en 750cc Production.

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