Lorsque 150 mi/h était rapide

Par Marc ParadisPublié le

C’était par un beau samedi matin de printemps. N’ayant pas un emploi du temps trop chargé (j’ai toujours des dates de tombée, mais la priorité va toujours au roulage), je mis le cap vers le domicile de mon conseiller technique préféré et confrère Michel Garneau. En arrivant dans l’entrée, Amélia, sa petite espiègle de 6 ans, m’accueillit en me disant que son paternel venait de mettre au point une machine extraordinaire. J’étais au courant que Michel aimait bricoler un peu (beaucoup) sur sa VTR1000, mais de là à expliquer l’état de surexcitation qui anime la petite…

En enlevant mon casque, je constate que des bruits étranges proviennent du garage… Une fois à l’intérieur, je suis accueilli par un spectacle assez inusité. Une Kawasaki H2R, installée sur un dynamomètre, ronronne en faisant siffler son compresseur à mesure que Michel fait monter les tours. Jusqu’ici, rien de bien spécial (quoique ce singulier engin demeure assez rare!) et posséder son propre dynamomètre n’est pas commun non plus. Une fois le silence rétabli, mon ami m’apprend qu’il a mis au point une moto à voyager dans le temps. Bien oui… comme dans Retour vers le futur? Ne cachant pas trop mon scepticisme, l’auteur de la chronique Moto-Tech me confirme que ce qui pouvait passer pour de la fiction en 1985 est maintenant réalité : la preuve, le fameux hoverboard  testé par le dieu du skateboard Tony Hawk l’an passé! Baissant ma garde, mon interlocuteur en profite pour asséner le coup de grâce : « À l’époque du film, les motos de série ne pouvaient qu’espérer une vitesse maximale d’environ 150 mi/h (240 km/h), ce qui était bien insuffisant pour traverser le mur spatio-temporel. Mais aujourd’hui, avec cette H2R quelque peu « modifiée », les 388 km/h nécessaires pour actionner le convecteur temporel sont tout à fait à la portée du brave qui prendra place à son guidon ». Le tableau de bord (véritable tendon d’Achille de la Delorean) étant cette fois remplacé par une application de téléphone intelligent, le système semble donc viable et fiable. Ce qui finit par me convaincre de faire un petit essai juste pour le plaisir.

Une seule question : en quelle année pourrait-on me propulser? En fouinant sur le site de Moto Journal, nous décidons de m’envoyer rencontrer un certain Yvon Duhamel. Nous sélectionnons donc le 13 mars 1969 et le lieu : Daytona. Pourquoi cette date en particulier? Premièrement, parce que les probabilités de rencontrer le Marc de 1969 seraient très minces (j’avais moins d’un mois) et tant qu’à voyager dans le temps, pourquoi ne pas vivre un moment historique? En effet, cette année-là, notre célèbre #17 remporta la classe 250cc. Et deuxièmement, en ce 13 mars, il fut le premier à atteindre la marque historique de 150 mi/h sur un tour de l’International Speedway.

Le pilotage de la Kawasaki demeurant classique (la première vitesse en bas, les autres en haut comme le veut la phrase traditionnelle), je mis le moteur en marche et fonçai vers le passé. Les chiffres tournoyant sur le compteur et la turbine sifflant, je ne savais quoi penser. Comment allait réagir le pionnier des compétiteurs motocyclistes québécois? Après ce qui m’a semblé un court blackout, je me retrouvai sous les palmiers, 46 ans plus tôt. Avec le GPS (qui bizarrement fonctionne toujours), je n’ai aucune difficulté à trouver la piste de course. À première vue, rien n’indique que je sois presque un demi-siècle dans le passé, à part peut-être le prix de l’essence (0,35 $ du gallon!) et la taille des automobiles. Une fois dans l’enceinte, le son des motos tournant sur la piste inclinée (à l’époque, les qualifications pour le 200 s’effectuaient une moto à la fois un peu comme les superpoles en WSBK) n’a rien à voir avec le son des machines contemporaines. Les gros V-Twin de Milwaukee contre les bicylindres parallèles britanniques, mais surtout le ring ding des cylindres à trous des petites Yamaha 350 qui sont en train de créer un renversement de l’ordre établi. En parcourant les puits à pied (j’ai placé la H2R dans un coin tranquille), je n’ai aucune peine à trouver mon homme qui, justement, s’apprête à prendre la piste. Je me remémore ce que m’avait dit Yvon lors de notre entretien de 2012 lorsque je lui avais demandé (ou demanderai?) comment on réalise un tel temps : « Ça ressemble à un tour rapide où tu donnes tout et tu espères être le plus rapide. Nous avions rapproché le carénage le plus près possible de la moto avec du ruban gris. Je me recroquevillais le plus possible dans la bulle et j’ai tenu la poignée au fond le plus longtemps possible! Il faut croire que c’était ce qu’il fallait faire, hein? ». Je m’apprête à aller lui demander ses impressions à chaud lorsqu’on m’attrape par l’épaule en me brassant. « Marc, viens te coucher! » Bon, je me suis encore endormi dans mon fauteuil après avoir mangé des cretons de la belle-mère!

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