Trois journalistes donnent leur point de vue sur cette moto passe-partout
1. La machine qu’on oublie
Par Neil Graham
J’ai un ami qui possède une ancienne V-Strom 1000. Elle est jaune, très jaune. Côté quatre roues, il a une fourgonnette Chrysler dans laquelle il a installé des tapis d’hiver si profonds qu’on pourrait renverser des litres et des litres de liquide avant de mouiller le plancher. Bref, il aime les objets très fonctionnels. Je me demande s’il ne trouverait pas la nouvelle V-Strom un peu trop frivole à son goût.
Son ancienne V-Strom est dotée de caches latérales particulièrement joufflues et d’une peinture étrangement jaune et uniforme. Celle-ci est mince et élégante, et on voit que la peinture a fait l’objet d’une réflexion esthétique. Bref, il semble bien que la V-Strom soit devenue sensiblement plus coquette.
Cela se reflète également dans les valises. Notre modèle d’essai, une SE (13 499 $), était munie d’une béquille centrale, de protège-mains et de valises latérales élégantes, mais petites. Celle de gauche n’est pas assez grande pour avaler un casque intégral; la capacité de celle de droite est plus réduite encore parce qu’elle est encochée pour laisser passer le silencieux. Cela dit, si vous aimez voyager léger, la SE est un bon choix parce qu’elle coûte seulement 1100 $ de plus que le modèle de base (pour acheter les valises et les supports séparément, il faudrait compter 1530,85 $). Si vous voulez plus d’espace utile, vous pouvez ajouter une valise centrale Suzuki de 35 litres (1086,05 $ incluant les supports). Personnellement, j’achèterais une V-Strom de base et j’installerais des grosses valises accessoires en aluminium avec chargement par le dessus. Chose étrange, la V-Strom 650X ABS EXP est livrée de série avec une paire de valises en métal d’inspiration BMW GS, mais Suzuki n’offre pas de modèles de ce genre pour la 1000.
Si la V-Strom cède aux impératifs du style en matière de look et de valises, il en va tout autrement quand on prend la route. Cette machine livre une expérience de conduite où la fonction domine. À l’origine, le V-2 à 90 degrés de la V-Strom avait été conçu pour propulser la TL-1000, une machine créée pour aller jouer sur le terrain des Ducati sportives. En tant que propriétaire de deux Ducati de superbike des années 1990 au tempérament intempestif et tumultueux, je peux vous garantir qu’à part la configuration de base, il s’agit d’un engin très différent. Le moteur de la V-Strom est extrêmement raffiné et son alimentation par injection livre une réponse à l’accélérateur très fluide.
Le désavantage des V-2 (et des V-4) à 90 degrés montés dans le sens de la route, c’est que ce sont des moteurs relativement longs et qu’il faut parfois faire des acrobaties de design pour les faire entrer dans les châssis modernes compacts. Mais ils offrent également des avantages certains. Le plus marquant est leur équilibre primaire parfait : pas besoin de contrebalancier pour éliminer les vibrations sur un moteur en V à 90 degrés. Dans le cas de la V-Strom, cela se traduit par un ronronnement doux et civilisé même lorsqu’on roule à vitesse (très) élevée. La position de conduite est rationnelle et confortable; en fait, elle est même plus confortable encore que celle de la BMW K1600GTL qui nous accompagnait dans le cadre de cet essai. Si vous avez mal aux genoux après une heure en selle sur la V-Strom, prenez tout de suite rendez-vous chez votre médecin et réservez des rotules artificielles.
Si la V-Strom est devenue une machine culte au fil des ans, c’est en partie parce qu’elle a su séduire les motocyclistes qui aiment la simplicité. Mais cette nouvelle version est équipée d’un dispositif satanique : l’antipatinage. Saura-t-il trouver grâce aux yeux des amateurs de V-Strom? À mon avis, oui, car son fonctionnement respecte la philosophie de la machine : il est simple et direct – arrêt, intensité 1, intensité 2. Cela dit, je n’ai pas fait de tests pour comparer les niveaux d’intervention de l’antipatinage. Parce que lorsque je roule en V-Strom, je ne me préoccupe jamais de la machine; elle est tellement peu exigeante à mon égard que je ne lui demande rien en retour. C’est l’équivalent sur deux roues d’une Toyota Camry ou d’une Honda Civic. Les contrôles tombent naturellement sous la main, la puissance est suffisante et facile à contrôler, la tenue de route est neutre et prévisible. Elle est dotée d’un système antipatinage? Ah bon, tant mieux. Mais ce qui m’intéresse vraiment, c’est de savoir si le petit café que je connais dans le village suivant sert encore un bon expresso. Et c’est ça, en réalité, qui fait le véritable génie de la V-Strom.
Je n’ai jamais eu une moto comme celle-là. Toutes mes machines avaient des problèmes électriques, des embrayages qui claquent, un ralenti erratique, une selle dure comme du ciment, ou tout cela à la fois. J’ai déjà écrit que la V-Strom est une moto qu’on oublie même quand on est en train de rouler dessus… Mais je suis bien placé pour affirmer que cela comporte de grands avantages. Au lieu de se demander s’il va arriver à destination avec tous ses boulons ou si la route est trop cabossée pour son pauvre dos, le pilote de V-Strom n’a qu’à rouler et rouler. Et c’est très bien comme ça.
2. V-Strom, as-tu trouvé ta voie?
(Confessions d’un propriétaire)
Par Paul Bremner
Mon collègue de la page précédente trippe sur les vieilles Ducati, et il n’a jamais compris mon attachement pour les V-Strom. Au fil des ans, il a fait de nombreux commentaires désobligeants sur le style de ma DL650, sa puissance modeste, sa suspension simple et sur son principal défaut : elle ne demande pratiquement pas d’entretien. Nous n’avons pas du tout la même approche. Il aime les machines exigeantes. J’aime les machines fiables, au tempérament léger, mais avec tout de même assez de pep pour s’amuser sur la route.
Cette nouvelle génération est sensiblement différente des anciennes V-Strom : suspension nettement améliorée, antipatinage, style plus effilé avec becquet à l’avant. Bref, elle est tout à fait moderne d’un bout à l’autre. Mais est-ce vraiment mieux?
Pour le savoir, j’ai pris la route par un chaud matin de septembre. Sur l’autoroute, la V-Strom m’a immédiatement impressionné par son confort et sa stabilité. Elle est équipée de l’une des meilleures selles de l’industrie : elle est large, ferme et elle offre un bon support. Le pare-brise est doté d’un système d’ajustement de l’angle simple et ingénieux : à chaque fois qu’on le pousse vers l’avant, il se redresse d’un cran et se bloque automatiquement en position. Ce pare-brise réduit de beaucoup le ballottement par rapport aux anciens modèles.
La principale rivale de la V-Strom, la BMW R1200GS, offre plus de puissance sur papier, mais j’ai préféré le moteur de la Suzuki pour engranger les kilomètres sur la grande route. Le V-2 répond avec entrain aux commandes de l’accélérateur, mais il est doux et reposant aux vitesses de croisière. À 130 km/h en sixième vitesse, il tourne à 4700 tr/min. Quand on passe le cap des 6000 tr/min, le moteur devient un peu plus rugueux, mais il offre un couple tellement solide à moyens régimes qu’on n’a pas souvent besoin de faire grimper les tours.
Sur les routes sportives, la V-Strom se comporte très bien également. Elle est facile à inscrire en virage et elle maintient bien sa trajectoire. La suspension absorbe en douceur les bosses et les nids-de-poule. Le seul aspect problématique est le frein avant trop sensible. Quand on freine avec intensité à l’approche d’un virage, la V-Strom plonge vers l’avant d’un coup sec, ce qui affecte la suspension, la géométrie de conduite, et le pilote… Pour améliorer la situation, je laissais un seul doigt sur le levier de frein et je m’appliquais à le moduler avec subtilité. Mais le problème demeure présent et il constitue un accroc agaçant aux bonnes manières de la V-Strom sur la route.
Finalement, j’ai parcouru plus de 600 km en une seule journée au guidon de la V-Strom, toujours avec plaisir. Cette moto est bien équilibrée et confortable, et son moteur livre une puissance solide qui inspire confiance et donne envie de rouler vite. Mais j’ai quand même l’impression que c’est une moto qui cherche encore sa voie. Suzuki la classe dans la catégorie des machines de tourisme d’aventure, mais avec son look civilisé, ses pneus de route et son moteur qui roule à l’essence super, elle penche plutôt du côté des modèles d’aventure sport (comme la Ducati Multistrada) ou d’entrée de gamme (comme la Honda CB500X).
Suzuki prend un risque en présentant un modèle qui n’est pas le plus rapide, ni le plus techno, ni le plus économique. La V-Strom évolue dans une catégorie où la compétition est vive. Espérons qu’elle saura trouver sa place au soleil.
3. Plus d’argent pour les aventures
Par James Nixon
Superbe journée d’automne aux feuilles multicolores. L’air est doux, la route est belle et les courbes s’enchaînent en douceur. Une journée inoubliable, sur une moto éminemment oubliable.
Ce qui ne veut pas dire que la V-Strom est une mauvaise machine. Au contraire, en fait. Son V-2 est enjoué et il livre une bonne dose de puissance quand on pilote avec entrain. Et si on change les vitesses un peu plus tôt, il se comporte de façon particulièrement raffinée. Le levier d’embrayage exige peu d’effort et la réponse de l’accélérateur est fluide. Tout cela en fait une machine agréable à piloter, autant en ville que sur la route.
La suspension est bien calibrée et elle offre une bonne gamme de possibilités d’ajustement. La machine est assez haute, mais la conduite demeure légère et facile. Les freins sont puissants. On peut cependant reprocher aux étriers avant Tokico monoblocs d’offrir une réponse initiale trop sèche. L’ABS est livré de série et son fonctionnement est irréprochable. L’antipatinage – une première sur la V-Strom – module la puissance en douceur.
La selle est ferme, mais confortable. Avec son poste de pilotage spacieux et sa position de conduite de type tourisme d’aventure particulièrement réussie, la V-Strom offre un confort inégalé pour rouler toute la journée. Le pare-brise offre neuf positions d’ajustement et on peut changer l’angle en roulant (choix de trois positions). Il offre une protection convenable contre le vent et il engendre peu de ballottement. Les instruments sont bien lisibles et les contrôles sont simples et intuitifs.
Cela dit, au guidon de cette V-Strom 1000, j’ai parfois eu l’impression de chevaucher une fiche technique sur roues. Tout est impeccable et fonctionne comme prévu, mais les sensations ne sont pas nécessairement au rendez-vous. Mais c’est bien comme ça. Car ce qui rend une moto désirable, ce n’est pas nécessairement ce qu’elle dégage, mais ce qu’elle vous permet de faire. La V-Strom manque peut-être de passion, mais elle vous donne toute la latitude pour vivre des expériences passionnantes. Or, pour cela, il faut de l’argent… Ce qui nous amène au point fort de la V-Strom 1000 ABS SE : son prix particulièrement bas. Pour 13 499 $, vous obtenez une moto vive, raffinée et bien équipée. C’est 6000 $ de moins qu’une BMW R1200GS de base. On peut en organiser des aventures passionnantes avec 6000 $ de plus en poche…
Fiche technique
Suzuki V-Strom 1000 ABS SE
Modèle Suzuki V-Strom 1000 ABS SE
Prix 13 499 $
Moteur V-2, refroidi au liquide
Puissance (annoncée) ND
Couple (annoncé) ND
Cylindrée 1037 cc
Alésage et course 100 x 66 mm
Rapport volumétrique 11,3:1
Alimentation Injection
Transmission 6 vitesses
Suspension Avant : fourche télescopique inversée de 43 mm, entièrement ajustable
Arrière : monoamortisseur, précharge du ressort et amortissement en détente ajustables
Empattement 1555 mm
Chasse/déport ND
Freins Avant : disques de 310 mm avec étriers à 4 pistons
Arrière : disque avec étrier à 1 piston
Pneus Avant : 110/80-19. Arrière : 150/70-17
Poids (annoncé) 228 kg (sans les accessoires de la SE)
Hauteur de la selle 850 mm
Réservoir 20 litres
Consommation 5,9 L/100 km
Autonomie 339 km