Toute la partie initiale du lancement du nouveau Can-Am Spyder F3 semblait directement inspirée d’une télé-réalité d’aventure… Un autobus est venu nous prendre devant l’hôtel à Montréal et personne ne savait où nous allions. Les gens des relations publiques de Can-Am répondaient à nos questions avec des phrases vagues et de grands sourires. Nous sommes ensuite arrivés à un petit aéroport. Pour des essais sur piste? Non, nous allons prendre l’avion, un modèle d’affaires très chic à huit places.
Peu de temps après, nous sommes atterris dans un autre petit aéroport, dans les Cantons-de-l’Est, puis on nous a emmenés devant les portes closes d’un hangar. Quand nous avons entendu un bruit de moteur qui sortait des haut-parleurs, tous les journalistes ont cessé de placoter et nous avons sorti nos caméras. Les portes se sont ouvertes lentement; on ne voyait pas grand-chose au début à cause de la brume produite par les canons à fumée. Puis, quand la fumée s’est dissipée et que les rayons laser tournoyants se sont calmés, nous avons aperçu le Spyder F3-S de face, tout illuminé sur son estrade.
Le F3 de base est offert à 21 799 $, avec un fini noir ou blanc. Le F3-S devant nous coûte 23 299 $. Pour ce surplus de 1500 $, on a droit à un choix de couleurs plus vaste : noir, noir et rouge, gris magnésium et noir, blanc et noir (dans les deux derniers cas, le cadre est peint en rouge). Avec le F3-S, on obtient aussi un régulateur de vitesse, des roues avant machinées, des feux de position à DEL, une selle en suède avec coutures rouges et d’autres extras. Pour pousser la personnalisation plus loin, Can-Am offre déjà une longue liste d’accessoires : pare-brise, valises, dossier, silencieux Akrapovic, etc.
Après cette mise en scène exubérante et sympathique, je peux enfin examiner le F3 de plus près. C’est un modèle radicalement différent des autres Spyder. Can-Am a même inventé une nouvelle appellation pour cette catégorie : sport cruising. Le F3 a troqué le look motoneige pour un style qui semble inspiré à la fois des motos et des muscle car. La carrosserie avant est plus petite et moins enveloppante que sur les autres Spyder, ce qui fait que l’on voit mieux les différentes composantes mécaniques : tringlerie de suspension, amortisseurs, moteur, cadre tubulaire, etc. La carrosserie de taille réduite a également fait diminuer le volume du coffre avant à 24,4 litres (contre 44 pour le ST).
À priori, j’étais sceptique en ce qui concerne la partie « sport » de l’appellation sport cruising, surtout après avoir jeté un coup d’œil au poids de la machine sur la fiche technique. Elle pèse un solide 386 kg, plus le poids de l’essence que vous mettrez dans son réservoir de 27 litres. Par contre, contrairement à certaines motos de type cruiser presque aussi lourdes, vous ne craindrez pas de l’échapper sur le côté dans un stationnement (c’est l’avantage des trois roues) et les manœuvres sont facilitées par la transmission avec marche arrière. Pour mettre les choses en perspective, il faut également ajouter que le F3 est un peu plus léger que le ST (6 kg de moins), et que son tricylindre Rotax est plus puissant. Il affiche 115 chevaux (15 de plus que le ST) et un couple de 96 lb-pi (16 de plus). La transmission compte six rapports et on peut choisir la version manuelle ou semi-automatique.
En ce qui concerne la partie « cruising » de l’appellation, il m’a suffi de prendre place sur la machine pour être convaincu de sa pertinence. Avec la selle basse et enveloppante, les repose-pieds avancés et le large guidon, le F3 offre une position de conduite de type cruiser, pas de doute possible. Le F3 est également doté d’un nouveau système appelé UFit qui permet de personnaliser facilement la position de conduite en passant chez le concessionnaire. Cinq positions sont offertes pour les repose-pieds (il faut compter environ 30 $ pour les pièces et 10 minutes pour l’installation selon les gens de Can-Am) et il y a un choix de guidons de différentes longueurs et hauteurs. Sur mon F3-S, les repose-pieds sont dans la position la plus avancée, ce qui créait un poste de pilotage spacieux et confortable pour moi. Par contre, le guidon de série est un peu trop haut et reculé à mon goût. Le système UFit me permettrait de le changer. Ce système est certainement intéressant parce qu’il permet d’adapter la machine en fonction de la variété des physionomies humaines et des préférences ergonomiques.
Comme premier contact avec le F3-S, BRP nous propose de faire un peu de drag sur la piste de l’aéroport. Je n’ai jamais piloté de Spyder auparavant. Quoi de mieux pour apprivoiser une étrange machine à trois roues que de s’élancer avec le gaz au fond, puis de sauter sur les freins? En relâchant le levier d’embrayage (à l’action ferme), je me réjouis en entendant crisser le pneu arrière (225/50-15). Tous les Spyder sont équipés d’un système antipatinage et de contrôle de la stabilité. Ce système laisse amplement patiner la roue arrière quand on va en ligne droite; il commence à intervenir seulement lorsqu’il détecte des mouvements latéraux ou une inclinaison trop prononcée. Les changements de vitesse sont nets et précis, le moteur est puissant et plein de couple, le silencieux aux lignes anguleuses émet un beau grondement. Puis me voilà dans la zone de freinage. Le seul problème, c’est que je ne trouve pas le frein…
En fait, je ne le trouve pas à l’endroit habituel, car il n’y a pas de levier de frein au guidon. Pendant que mes doigts cherchent dans le vide, je me souviens que c’est une pédale au pied droit qui commande le freinage aux trois roues (avec ABS de série). J’appuie fermement et je sens les étriers Brembo qui enserrent solidement les trois disques de 270 mm. Le F3-S balance un peu en freinage intensif, mais la position de conduite permet de transférer le poids d’une jambe à l’autre et de compléter avec des petites corrections au guidon. Compte tenu de la taille de cette machine, les performances de freinage sont impressionnantes.
La position de conduite avec pieds avancés est également idéale pour s’amuser dans les courbes. En transférant son poids vers l’intérieur et en contrôlant la pression sur les repose-pieds, on peut enfiler les virages à rythme étonnamment – et agréablement – rapide. (Évitez cependant de contrebraquer comme sur une moto, car vous allez vous diriger dans la direction opposée…) Dans les virages en épingle à cheveux, quand on approche du point où le Spyder pourrait commencer à pencher excessivement, le système de stabilisation intervient et il module la puissance en douceur de façon à garder les choses sous contrôle. En tournant l’accélérateur de façon généreuse en sortie de virage, on peut entendre le pneu arrière patiner à l’occasion, et on peut même le faire déraper un peu vers l’extérieur. Mais le comportement du F3 n’est jamais alarmant et l’intervention des dispositifs électroniques est toujours bien proportionnée par rapport à la situation.
Certains journalistes ont trouvé que le système de stabilisation et d’antipatinage était trop intrusif, et ils auraient aimé qu’on puisse le paramétrer, et le désactiver entièrement. Mais il ne faut pas oublier que les véhicules à trois roues sont instables par nature. Pour réussir à piloter un Spyder à bonne vitesse sur une route serrée sans aucune aide électronique, il faudrait développer un niveau d’habileté très élevé. De plus, la perte de stabilité et de traction sont des phénomènes exponentiels, et non linéaires, ce qui complique encore plus la situation pour les simples mortels. Bref, en trois roues, mieux vaut compter sur la main invisible de Big Brother.
Avec la transmission semi-automatique, un bouton au pouce gauche permet de passer au rapport supérieur. Les changements sont rapides et nets. Pour rétrograder, on peut actionner un bouton avec l’index ou opter pour le mode automatique (plus fluide). Un petit pavé tactile, aussi sur la poignée de gauche, permet de naviguer sur l’écran central ACL, bien lisible.
Les routes des Cantons-de-l’Est sont magnifiques et, comme elles sont également cabossées, elles permettent de tester les suspensions… À vitesse de croisière dans les sections droites et les longs virages, le F3 est confortable et il absorbe les bosses un peu à la façon d’une voiture décapotable (on sent une certaine déformation du châssis, qui varie selon la roue qui franchit l’obstacle). Le moteur a du caractère. Aux vitesses de croisière, il tourne en douceur mis à part un petit point plus rugueux autour de 4000 tr/min. C’est facile d’accumuler les kilomètres au guidon d’un F3 et au bout d’une journée entière en selle, je ressens simplement un léger inconfort dans le bas du dos.
De toute évidence, le Can-Am Spyder F3 n’est pas une moto, et BRP n’a jamais voulu le présenter comme tel non plus. D’ailleurs, pour une partie importante des acheteurs de Spyder, cette question est tout simplement sans importance. BRP estime que 25 % des propriétaires actuels n’avaient absolument aucune expérience de la conduite moto auparavant. Les Spyder ont réussi à créer leur propre créneau dans le domaine des sports motorisés. Et ce créneau est en expansion.
« Nous sommes satisfaits de notre croissance jusqu’ici, explique José Boisjoli, le président et chef de la direction de BRP, mais en même temps, nous avons certaines frustrations. » Parmi ces frustrations, il y a le fait que le niveau de popularité des produits peut varier énormément selon les régions. Boisjoli donne l’exemple de deux concessionnaires en Floride situés dans des secteurs aux données démographiques comparables. L’un d’eux vend 100 Spyder par année, l’autre seulement trois. Il est difficile d’agir directement sur les ventes d’un concessionnaire; par contre, on peut lui offrir d’autres produits à vendre. D’où le F3.
Avant l’arrivée du F3, tous les modèles Spyder étaient passablement semblables (carrosserie enveloppante, pilote perché au-dessus). Or, s’il est vrai que le quart des acheteurs de Spyder n’ont pas d’expérience en moto, cela signifie également que 75 % d’entre eux ont déjà roulé au moins un peu sur deux roues. Il est possible que bien des motocyclistes n’aient pas voulu passer aux Spyder jusqu’ici à cause de leur look trop différent. Le F3 marque une coupure rafraîchissante par rapport aux modèles précédents. C’est la machine de BRP qui s’approche le plus des motos. Et la catégorie de motos avec laquelle elle a le plus d’affinités – les cruisers – est la plus importante en Amérique du Nord.
Le F3 est un véhicule long et bas, doux et confortable, agréable à piloter et porteur d’une image. C’est le trois roues de BRP qui a les meilleures chances d’aller chercher des clients du côté des amateurs de motos. Et après tout, sur deux ou trois roues, l’important c’est de rouler.