Avec son V-2, sa selle basse et son guidon large, ce nouveau modèle Indian s’inscrit clairement dans la tradition des motos américaines. Mais en y regardant d’un peu plus près, je me suis tout de suite douté que son comportement serait très différent de celui de la Chief.
Et il a suffi d’un coup d’accélérateur sur l’autoroute en sortant de Sturgis pour le confirmer. En tordant la poignée, le moteur grimpe rapidement à 5000 tr/min et il continue à monter en régime avec autorité. Je sentais le vent sur mes épaules et une légère vibration à travers la selle et le repose-pieds. En jetant un coup d’œil au tableau de bord, j’ai vu que j’avais franchi le cap des 150 km/h, et que le petit compte-tours numérique indiquait près de 8000 tr/min. C’était le moment de passer les rapports suivants…
Il serait exagéré de qualifier la Scout de moto sportive, mais son moteur est nettement plus vif que celui qui propulse les Chief, la série de modèles lancés l’an dernier dans le cadre du retour de la célèbre marque. La Scout se veut la machine d’entrée de gamme chez Indian; elle est conçue pour plaire aux pilotes plus jeunes et moins expérimentés (même si elle est plus rapide et plus puissante que les Chief).
Avec ce modèle, Indian ne vise pas seulement l’Amérique. La firme a fait essayer un prototype de Scout (ainsi que d’autres modèles concurrents) à des motocyclistes en Allemagne, en Italie et en France afin de recueillir leurs impressions. Indian a également fait des sondages en ligne dans d’autres marchés, notamment en Angleterre et en Scandinavie. La clientèle visée est plus jeune que pour les Chief, explique Gary Gray, le directeur des produits chez Indian, soit de 20 à 60 ans, avec une moyenne à 44 ans.
Malgré son statut de modèle d’entrée de gamme, la Scout n’est pas une déclinaison à bon marché, comme la Harley-Davidson Street 750, par exemple. La Scout marie des éléments de design traditionnel avec des caractéristiques innovatrices. Par exemple, ses amortisseurs arrière très inclinés imitent la configuration classique hardtail, mais ils sont reliés à un cadre en aluminium coulé. Le look d’ensemble est plus simple et plus moderne, et Indian a laissé tomber les garde-boue ultra enveloppants et le feu de position avant à tête d’Amérindien.
La firme a cependant bien pris soin de conserver l’inscription 1901 sur le couvercle chromé des injecteurs, question de rappeler que Indian a été fondée deux ans avant Harley-Davidson…
Dans le cas des Chief, au style plus traditionnel, on retrouve également un moteur plus traditionnel : un gros V-2 de 1811 cc, avec soupapes actionnées par poussoirs et refroidissement à l’air. Sur la Scout, le moteur est un V-2 aussi, bien sûr, mais pour le reste, il est complètement différent. C’est un moulin de 1133 cc à huit soupapes avec double arbre à cames en tête et refroidissement au liquide. Sa puissance annoncée est de 100 ch à 8000 tr/min, et le couple culmine à 5900 tr/min.
Visuellement, ce moteur est intéressant. Rich Christoph, le chef de l’équipe de design, explique qu’il a été conçu pour que son apparence externe souligne la présence de certains éléments mécaniques internes. C’est le cas par exemple pour l’embrayage, le centre du vilebrequin, l’axe du contrebalancier et la pompe à huile.
« Cette moto n’a pas été conçue pour être habillée et accessoirisée à l’excès, ajoute Christoph. Elle est faite pour créer une connexion émotive immédiate avec le pilote, avant même qu’on monte dessus. » Et, effectivement, je trouve que la combinaison des lignes simples et des détails rétro en font une machine très séduisante.
La selle simple, recouverte de cuir, est à seulement 673 mm du sol. La position de conduite est clairement de type cruiser, avec les repose-pieds très en avant. La moto semble légère quand on la relève de la béquille latérale parce que son centre de gravité est bas. Elle fait toutefois osciller la balance à 255 kg, tous pleins faits.
L’accélérateur à commande électronique est calibré pour livrer une réponse fluide et facile à doser. Quand on relâche l’embrayage, on ressent tout de suite une agréable sensation de propulsion V-2 et le son des échappements est sobre. Ce moteur n’offre pas le couple ultra costaud de la Chief à bas régime, mais sa souplesse est impressionnante. Il tire sans hésiter à partir de 2000 tr/min et la poussée s’intensifie dès les 3000 tr/min. À 130 km/h, le moteur tourne à 4000 tr/min. La transmission à six rapports fonctionne bien. La commande de l’embrayage est progressive et n’exige pas trop d’effort. L’entraînement final est assuré par une courroie.
À cause des légères vibrations qui se développent à partir de 5000 tr/min, j’ai roulé la plupart du temps entre 3000 et 4000 tr/min. Mais quand on fait grimper le régime, le moteur répond avec enthousiasme. Sur une section droite, j’ai atteint 190 km/h et il y avait encore un peu de réserve. Le châssis se comporte assez bien à pareilles vitesses, mais il est tout de même plus à l’aise à un rythme moins frénétique. La conduite est légère et neutre, et la machine s’inscrit facilement en virage malgré sa fourche relativement inclinée (29 degrés). Sur les routes en bon état, le roulement est doux. Par contre, comme le débattement de la suspension demeure limité (seulement 76 mm à l’arrière), on ressent les plus grosses bosses à travers la selle.
Dans le Dakota du Nord, il y a un bon choix de routes sinueuses aux environs de Sturgis. Dans cet environnement, la Scout tient assez bien la route pour rendre la conduite intéressante, même si la suspension atteint ses limites dans les virages cabossés. Quand on pousse un peu, les repose-pieds effleurent le sol avant qu’on atteigne la limite d’adhérence des pneus (des modèles de 16 pouces fabriqués à Taiwan avec inscription Indian sur les flancs). À l’avant, le freinage est assuré par un simple disque de 298 mm avec étrier à double pistons. Rien de particulièrement impressionnant sur papier, mais la puissance de freinage m’a semblé adéquate. La Scout sera livrée avec l’ABS dans la plupart des marchés (mais nos motos d’essai n’en étaient pas munies).
Le réservoir ne contient que 12,5 litres, ce qui devrait tout de même donner une autonomie de près de 200 km. Il n’y a pas d’indicateur de niveau d’essence, mais un témoin lumineux s’allume quand il ne reste que quelques litres.
Les acheteurs de Scout pourront y ajouter différents accessoires, dont un pare-brise amovible, des sacoches de cuir et une selle pour passager. J’ai été impressionné par la qualité de construction de cette moto et par l’attention portée aux détails. À mon avis, la marque Indian est de retour pour de bon.
Un design raffiné
Par Michael Uhlarik
Le design a été inventé en Amérique. Bien sûr, les humains conçoivent et fabriquent des objets depuis longtemps – pensons aux premiers outils taillés dans des ossements. Mais je ne parle pas ici de la seule conception fonctionnelle, ni des éléments décoratifs ajoutés aux objets; cela aussi existe depuis les débuts de l’humanité. Je parle du design en tant que processus intégré pour répondre à des besoins spécifiques en combinant délibérément invention, style et facteurs humains dans un acte de création unifié. Le designer a en tête le produit final avant de commencer à chercher des solutions en matière de style ou d’ingénierie.
Je dis que l’Amérique a inventé le design parce que c’est le seul endroit où l’on avait à la fois la capacité et la vision pour se projeter dans un avenir qui intégrait tout le monde – et non pas seulement les gens très riches – dans le sillage de la production industrielle. Le 20e siècle et notre mode de vie moderne sont directement liés à cette approche de design. Comment se fait-il alors que les Américains, eux qui ont influencé si profondément toutes les industries et toutes les catégories de produits, aient complètement échoué à vraiment designer une moto moderne?
Dans le domaine de l’automobile, les Américains ont été des pionniers et leurs produits ont toujours continué à évoluer. Dans le cas des motos, le design tourne en rond depuis le milieu du siècle dernier, et même avant : on s’obstine à recycler des thématiques et des solutions techniques révolues depuis longtemps. Bien sûr, Erik Buell a créé quelques motos particulièrement inspirées, mais aucune n’avait le raffinement et le niveau d’intégration qui sont à la base du design. Michael Czysz est sans doute le concepteur de motos américain le plus réputé, mais ses E1pc ne sont pas des machines de production. Elles relèvent de l’expérimentation plus que du design industriel.
Harley-Davidson a déjà conçu une moto de production au design particulièrement significatif, la V-Rod. C’était une machine nouvelle, forte, d’inspiration art déco, clairement américaine et construite avec des matériaux modernes et une ingénierie contemporaine. Mais elle n’a pas eu de succès sur le marché. Et Harley est retournée à ses concepts de design traditionnels du siècle dernier. Quant à Polaris, pendant une douzaine d’années, elle a produit des imitations de cruisers japonaises, les Victory, qui étaient elles-mêmes des caricatures d’un design américain des années 1950…
Tout ce préambule pour dire à quel point la nouvelle Indian Scout me surprend (elle provient également du studio de design de Polaris). La Scout fait clairement partie de la catégorie des cruisers, mais on voit tout aussi clairement qu’elle a été conçue dès le départ en fonction de l’efficacité et de l’élégance. Je ne parle pas ici du style ou de questions de goût, mais plutôt de la sophistication et de l’intégration des matériaux, des formes et des fixations entre les pièces. C’est une moto aux proportions classiques, mais à la réalisation mécanique moderne. Prise isolément, chaque pièce (le réservoir, les poteaux de fourche, les pièces du cadre en aluminium coulé, etc.) semble provenir d’une moto européenne sophistiquée. Le cadre en aluminium avec sous-cadre en tubes acier boulonnés, comme la Ducati Monster ou l’Aprilia Shiver, est impressionnant pour une moto de cette catégorie, et encore plus pour une machine américaine. Toutes les pièces affichent un haut niveau de raffinement et on a l’impression qu’elles ont été créées par la même personne, et non pas simplement choisies dans le catalogue d’un fabricant externe. En d’autres termes, la Scout est le fruit d’un véritable design. Il faut féliciter Polaris d’avoir créé une moto américaine véritablement moderne.
Gary Gray, directeur des produits chez Indian
« En Amérique, un tiers de notre clientèle cible pour ce modèle n’a jamais conduit de motos auparavant ou compte moins d’un an d’expérience à son actif. Nous avons donc dit et redit à notre équipe de design qu’il fallait que l’utilisateur se sente en confiance sur cette moto.
Pour cela, il faut avoir les pieds fermement appuyés au sol : nous avons la selle la plus basse de cette catégorie. Il ne faut pas craindre d’échapper la moto à l’arrêt : nous avons le modèle le plus léger de cette catégorie. Il faut aussi une machine conviviale : la Scout démarre et freine en douceur, et elle est vraiment facile à piloter.
Nous avons fait des études de marché préalables aux États-Unis, mais également en Allemagne, en Italie et en France. Les Allemands étaient très techniques et très centrés sur le moteur. Pour les Italiens, c’était le contraire : s’ils sont séduits par une Harley 48, ça ne les dérange pas que le réservoir contienne à peine 8 litres d’essence. Les Français sont entre les deux : ils veulent une machine fonctionnelle, mais ils ont aussi un côté romantique.
Pour le moteur, nous voulions une livraison de couple qui rend la machine facile à piloter, et une puissance de 100 ch pour l’Amérique du Nord et l’Europe. Nous n’avions pas d’objectif spécifique pour la cylindrée – l’important, c’était le résultat en termes de sensations de conduite.
Nous aurions pu opter pour un refroidissement à l’air, mais avec notre objectif de puissance maximale, il y aurait eu beaucoup de chaleur à dissiper. Pour y parvenir, il aurait fallu faire des concessions : la courbe de couple aurait été mauvaise et le moteur aurait été pointu et difficile à maîtriser.
La Scout d’origine était une moto innovatrice. Nous avons voulu faire honneur aux gens qui nous ont précédés et ne pas avoir peur de la nouveauté. Ils nous ont servi d’inspiration et je suis sûr que nous avons pris la bonne décision en créant un moteur puissant et refroidi ou liquide. »