Certaines dates nous marquent à jamais. De notre point de vue de motocyclistes, il y a bien sûr les fameux 15 décembre et 15 mars. Dans d’autres cas, ce sera des dates de décès célèbres tels Kennedy, Gilles Villeneuve ou encore Ayrton Senna… Pour Albert Ladouceur, journaliste sportif depuis 40 ans (il a entre autres couvert le passage des Nordiques dans la LNH de leur arrivée en 1979 à leur départ en 1995), le verdict qu’il a reçu le 12 août 2013 a transformé sa vie depuis (cancer du pancréas). J’avais rencontré M. Ladouceur lors d’une journée de randonnée d’essai en 1998. Nous avons échangé quelques courriels depuis. Lorsque j’eus écho de sa nouvelle situation de santé et la façon dont il aborde la mortelle maladie, je me suis dit que ce serait intéressant de reparler moto avec lui. N’étant pas un « poseur », il roulait bon an mal an de 18 à 20 mille kilomètres par été. Au printemps 2013, il décida de vendre son Électra Glide pour essayer autre chose (décapotable), mais la moto – qui a été présente 18 ans dans sa vie – ne le laisse pas indifférent. Voici quelques extraits de l’entrevue qu’il a bien voulu m’accorder.
« Avoir su, je n’aurais pas vendu ma moto : je m’en suis loué une ce printemps, ne voulant pas me rembarquer sans savoir combien de temps la maladie me laisse encore… Ce fut une journée absolument extraordinaire, j’ai même ajouté 2 heures à la randonnée, le soir, après le souper. Le lendemain, je ne me sentais plus fatigué. Je compte bien renouveler la prescription une couple de fois durant l’été, j’aime encore ça faire de la moto, je me sens comme si j’étais en pleine santé, la « thérapie moto » fait son œuvre. Je suis arrivé à la moto par la porte arrière, je n’avais aucune prédisposition pour en faire, je disais même qu’il devrait y avoir une loi nous permettant d’en frapper une par été! J’étais vraiment un antimoto! Deux de mes amis s’en étaient acheté et j’essayais de les décourager. Un jour, je me suis mis à me documenter et à lire sur le sujet, ce qui m’amena à m’inscrire à un cours de moto même si j’avais déjà la classe par défaut, moi qui en était l’un des pires détracteurs! C’est sûr que les heures passées dans le stationnement à pratiquer n’étaient pas les plus attrayantes, mais le déclic se fit lors de notre première sortie sur la route. Je voyais la ville de Québec d’une tout autre perspective et ça m’a beaucoup plu! À mon retour à la maison, je me mis à la recherche d’une moto d’occasion (Intruder 1400).
Ça m’a permis de faire un bilan de ma vie et j’estime qu’elle a été très bien remplie, la moto y a occupé une très belle place. Pendant 5 ans, j’ai participé à la Ride du kid avec le groupe de Marcel Aubut, c’était le genre de randonnée où rien n’était laissé au hasard, très bien structurée. J’aurais bien aimé faire une grande virée en partant de Québec et ratisser les États-Unis pour me rendre à Los Angeles, quelque chose de grand comme ça, malgré que le 100e anniversaire de Harley-Davidson à Milwaukee, c’était quelque chose à vivre! Voir autant de motocyclistes amateurs de la Motor Company provenant des quatre coins du globe venus pour fêter – et le faire dans l’ordre et le calme! – m’avait beaucoup impressionné. La propreté de la ville qui se refaisait une beauté chaque jour. Ma seule déception : le spectacle de clôture qui était donné par Elton John, pas vraiment le style auquel nous nous attendions…
Est-ce que je me suis fait peur en moto? Pas souvent, mais une fois, je me suis retrouvé serré entre deux semi-remorques dont les conducteurs ne m’avaient pas aperçu, j’ai été bien chanceux de réussir à m’en sortir sans accrocs! Une autre fois, lors d’un voyage en groupe chez nos voisins du Sud, la sangle de mon casque me dérangeait. Plutôt que de m’arrêter pour voir ce qui n’allait pas, je décidai de la remonter par-dessus mon menton. Ce qui devait arriver arriva : la palette agit tel un déflecteur et le casque s’envola pour rebondir un nombre incalculable de fois sur l’asphalte avant de finalement s’immobiliser avec un trou en son centre! Heureusement, personne ne le reçut! Je le remis sur ma tête en plaçant des fleurs dans le trou (étant dans un État obligeant le port du casque) pour me rendre jusqu’à Lake Placid où je m’en procurai un neuf.
L’annonce de cette terrible maladie est venue contrecarrer tous mes plans de retraite, j’avais des projets de voyage (en moto, même si je l’avais vendue). La bataille est perdue d’avance, le seul espoir est de pouvoir repousser la date de quelques mois ou quelques années. Des amis qui compatissaient avec mon sort encore tout récemment ne m’ont pas survécu… »
Bonne route M. Ladouceur!