J’ai été élevé à Kincardine, en Ontario, sur les rives du lac Huron. Quand j’étais petit, je pouvais fixer l’horizon pendant des heures en me demandant à ce qu’il pouvait bien y avoir de l’autre côté de l’eau. J’essayais d’imaginer les gens, leur vie, leurs maisons. Et parfois je me demandais s’il y avait quelqu’un assis au bord de la rive, de l’autre côté, qui se posait les mêmes questions. Un jour, j’ai regardé sur une carte et j’ai vu qu’en face, directement à l’ouest, il y avait une ville appelée East Tawas. Je rêvais de prendre la route, de contourner la baie de Saginaw et d’y aller. Quand on a 10 ans, tout semble exotique, même une petite ville au Michigan.
Et maintenant, j’ai décidé de réaliser ce rêve. La nouvelle Honda VFR800 (14 499 $) semble être une machine parfaite pour ce genre de randonnée. Avec 1000 km à parcourir en deux jours, un modèle de sport tourisme comme celui-là s’impose. En allant chercher la VFR, je suis tout de suite frappé par son superbe fini blanc perle (elle est également disponible en rouge). Je remarque aussi qu’il n’y a pas de valises (les accessoires de tourisme seront bientôt disponibles). Mais il y a quatre bons points d’ancrage pour les élastiques et je fixe mon sac de sport solidement sur la selle du passager.
Sur les longues sections droites de la route 21, je peux apprécier la douceur du V-4 de 782 cc refroidi au liquide qui ronronne calmement. La position de conduite est confortable. On a le torse plus relevé que sur une pure sportive; la position s’apparente à celle des machines de sport tourisme au penchant sportif. Le guidon bracelet tombe naturellement en mains et l’emplacement des repose-pieds engendre une posture plutôt sportive aussi. En fait, la VFR800 dégage une impression très racée, mais pour l’instant je me contente de rouler à vitesse raisonnable sous un ciel couvert.
Je poursuis ma route en traversant Goderich, Bayfield et Grand Bend. Après Ravenswood, je prends la petite route numéro 7. J’ai eu une blonde qui vivait dans cette région et c’est pourquoi je connais le secteur. Mais ça me rend mélancolique de penser à elle. Pour me changer les idées, je me concentre sur la transmission à six vitesses au fonctionnement souple. L’embrayage requiert un effort modéré et les rapports s’engagent les uns après les autres de façon nette. Le ciel commence à se dégager un peu et je vois quelques rayons de soleil qui percent le ciel. Au milieu du tableau de bord numérique à affichage blanc sur fond noir, il y a un grand compte-tours analogique. Je constate que la température a monté : il fait maintenant 27 °C. Le tableau de bord indique également la vitesse, le niveau d’essence, le rapport engagé, l’heure, l’odomètre ou les totalisateurs journaliers, ainsi que la consommation d’essence ou la température du moteur.
Je traverse ensuite le pont Blue Water qui mène aux États-Unis. Il n’y a pas trop de véhicules au poste-frontière. C’est bien. Mais une fois en ligne dans la file, je constate qu’elle n’avance pas. Il y a des agents frontaliers, l’air préoccupé, qui s’agitent dehors et qui communiquent par radio. Le ciel continue à se dégager, et voilà maintenant une demi-heure que je me fais chauffer au soleil dans ma combinaison de pluie. Je suis en sueurs… Finalement, le mouvement reprend.
« Comment allez-vous? » me demande monsieur l’agent. Je vais bien, et vous? Il fronce les sourcils, soucieux, et me répond « J’ai déjà été mieux ». Un agent frontalier déjà bougon qui se déclare de mauvaise humeur, ça ne me paraît pas être très bon signe… Je décide de me faire discret et docile. « Allez-vous aux États-Unis pour vos loisirs ou par affaires? » Affaires. « Où allez-vous? » East Tawas. « Quand retournez-vous au Canada? » Demain. « Quelle ville? » Toronto. Il me regarde avec incrédulité. « C’est beaucoup de millage en deux jours! » Je lui explique que c’est mon travail de rouler en moto, mais plus je parle, plus il me regarde avec incrédulité. Puis il me pose la question que je redoutais : « Êtes-vous propriétaire de cette moto? » Non, elle appartient à Honda, je suis journaliste, c’est un nouveau modèle… Je continue à parler maladroitement, puis il lève la main. Je me tais. Je ne sais pas s’il m’a cru ou s’il en a tout simplement assez de cette journée, mais il me redonne mon passeport, il pointe la route et il me dit « Allez-y ». Il n’aura pas besoin de me le répéter…
La VFR800 se comporte de façon douce et civilisée quand on se promène simplement à vitesse de croisière. Mais c’est une tout autre histoire quand on décide de piloter avec un peu plus d’enthousiasme. En sortant de Port Huron sur la 25 Nord, je tords la poignée. La réponse de l’accélérateur est impeccable et la VFR bondit vers l’avant grâce à sa bande de puissance solide à moyen régime. Puis, à partir de 7000 tr/min, le système VTEC entre en jeu et le moteur se déchaîne. Le principe de ce système, c’est que seulement 8 des 16 soupapes sont en fonction de 0 à 7000 tr/min – les 8 autres entrent en jeu de 7000 tr/min jusqu’au régime maximal. Honda dit que la transition se fait en douceur. C’est vrai, mais on sent tout de même clairement les nouveaux chevaux qui arrivent. Quant au son émis par l’échappement, il passe du solide ronronnement au grondement féroce. La livraison de puissance demeure linéaire des deux côtés de ce cap des 7000 tr/min. Chose certaine, le système VTEC ajoute du caractère à la VFR800 et cela la rend encore plus agréable à piloter.
En ce qui concerne les conditions routières au Michigan, on n’est pas trop dépaysé : c’est aussi cabossé que de notre côté de la frontière… Ce qui me permet d’apprécier le travail de la suspension. La fourche avant de 43 mm (avec précharge des ressorts ajustable) fait de son mieux pour absorber les bosses. À l’arrière, c’est un monoamortisseur pro-link qui se charge du travail (précharge du ressort et amortissement en rebond ajustables). Le cadre avec poutres en aluminium de type « diamant », à la fois costaud et léger, complète le boulot pour garder la moto solidement ancrée au sol. Compte tenu du piètre état des routes, la suspension fonctionne bien; elle est plutôt ferme, mais il s’agit là d’un atout pour une véritable machine de sport tourisme. Côté pneumatiques, les roues de 17 pouces sont chaussées de Dunlop Sportmax (120/70 à l’avant, 180/55 à l’arrière).
Je fais un arrêt à Harbor Beach pour refaire le plein (réservoir de 21,5 litres) et jeter un coup d’œil au « plus grand port aménagé par l’homme au monde ». La route 25 n’est jamais bien loin du bord de l’eau et je constate que pratiquement toute cette côte est développée. Je m’arrête pour un lunch à Caseville, sur la terrasse du Riverside Roadhouse. Je suis entouré de villégiateurs qui parlent de golf et de cocktails, exactement comme chez nous. Le ciel est dégagé maintenant, et la température continue à monter – le thermomètre du tableau de bord indique 30 °C. À Bay City, je commence à sentir les effets de la fatigue, mais j’enfile la route 13, puis la 23 et je fais le tour de la baie de Saginaw.
Et puis me voilà à East Tawas! La ville ressemble à… toutes les autres villes que je viens de traverser, autant du côté canadien qu’américain. Je suis à la fois déçu et rassuré. Je vais déposer mes bagages au motel Bambi. Je me sens encore étonnamment bien après une journée complète au guidon d’une machine de tourisme sportif à la silhouette svelte. La selle de la VFR est ferme, mais pas trop, et elle est ajustable en hauteur (789 ou 809 mm) à l’aide d’un outil fourni dans la trousse. Je vais ensuite marcher jusqu’à la rive et je m’assois dans le sable, avec un rayon de soleil dans le dos. Peut-être qu’en face, à Kincardine, il y a un petit garçon de 10 ans qui se demande ce qu’il y a de l’autre côté de l’eau. Je lui dirais que ça ressemble pas mal à ce qu’il connaît déjà, mais que ça vaut quand même la peine d’aller voir par soi-même.
Le lendemain matin, c’est le cliquetis de la pluie qui me réveille. À la météo, on annonce de la pluie sans arrêt de East Tawas jusqu’à Toronto. Je choisis la route la plus directe et je me prépare à une longue journée. Déjà, à Flint, mes mains sont trempées. Au moins, je peux les garder au chaud grâce aux poignées chauffantes, livrées de série. Je choisis le niveau 5, le plus haut. La VFR est également dotée de série d’un système antipatinage (désactivable) et de freins ABS. Tous ces dispositifs sont bienvenus pour la conduite en conditions difficiles comme aujourd’hui.
Avec la bruine épaisse soulevée par les camions remorques, j’ai de la difficulté à bien voir la route, et j’imagine que les camionneurs ont de la difficulté à me voir aussi (heureusement, les phares avant à diodes électroluminescentes sont très brillants). À un certain moment, il y a tout de même un camionneur qui se glisse subitement devant moi. Honda explique que la VFR800 offre un « freinage antiblocage à deux voies, efficace et rassurant en tout temps ». À en juger par la réaction saine de la moto même si je mets de plus en plus de pression sur les freins, on peut dire que c’est le cas. À l’avant, les deux disques de 310 mm sont enserrés par des étriers à quatre pistons. À l’arrière, on trouve un disque de 265 mm avec étrier à deux pistons. Leur puissance est amplement suffisante pour ralentir les 239 kg de la VFR, et quand l’ABS entre en action, son intervention est puissante et souple. Même dans les conditions infernales dans lesquelles je roule, la VFR800 démontre un aplomb remarquable.
On ne peut pas en dire autant en ce qui me concerne… Je me sens particulièrement misérable quand j’essaie d’enlever mes gants détrempés pour dézipper la fermeture éclair de mon habit de pluie et tenter de saisir mon passeport. La douanière me sourit avec compassion, et après quelques questions d’usage, elle me laisse repartir. Dommage, au moins j’étais au sec là-bas… Honda a aminci la nouvelle VFR800 pour en faire une machine plus compacte, mais le carénage offre maintenant moins de protection contre les éléments. Cela dit, après huit heures sous la pluie battante, il est pratiquement impossible de ne pas être mouillé, même avec le meilleur imperméable. Ma seule critique réelle à propos de la VFR concerne son pare-brise. Il dirigeait de l’air turbulent dans la région du menton, ce qui devenait achalant à hautes vitesses. Je devais alors me pencher plus bas que je ne l’aurais fait normalement, ou me redresser exagérément. Cela dit, la question des pare-brise est très subjective, et il se pourrait que des pilotes plus petits ou plus grands n’aient pas ce problème.
Après une dernière étape sous la pluie, j’arrive à la maison aussi détrempé que si j’avais traversé le lac Huron à la nage. Ce fut une dure journée, mais j’ai réussi, et la VFR800 m’a impressionné du début à la fin.
Fiche technique
Modèle Honda VFR800F
Prix 14 499 $
Moteur V-4, refroidi au liquide
Puissance (annoncée) ND
Couple (annoncé) ND
Cylindrée 782 cc
Alésage et course 72 x 48 mm
Rapport volumétrique 11,8:1
Alimentation Injection
Transmission 6 vitesses
Suspension Avant : fourche à cartouches de 43 mm, course de 103 mm, précharge du ressort ajustable
Arrière : amortisseur pro-link, course de 120 mm, précharge du ressort et amortissement en détente ajustables
Empattement 1460 mm
Chasse/déport ND
Freins ABS. Avant : 2 disques de 310 mm, étriers à 4 pistons
Arrière : disque de 256 mm, étrier à 2 pistons
Pneus Avant : 120/70-17. Arrière : 180/55-17.
Poids (annoncé) 239 kg
Hauteur de la selle 789/809 mm
Réservoir 21,5 L
Consommation 6,1 L/100 km
Autonomie 352 km
30 ans d’histoire
Originalement conçue comme un superbike, la VFR est ensuite devenue une référence dans l’univers du tourisme sportif.
Les concepts innovateurs apparaissent souvent en réponse à un problème. Au milieu des années 1980, certains modèles Honda affichaient des problèmes de fiabilité. C’était notamment le cas, depuis son lancement en 1983, du moteur V-4 refroidi au liquide de la VF750F. Plutôt que d’éliminer cette configuration, Honda a décidé d’attaquer le problème de front.
Dans son livre intitulé The Ultimate History of Fast Motorcycles, Roland Brown explique que la VFR750F (appelée Interceptor aux États-Unis) devait absolument être réussie et, surtout, fiable. « Ce fut le cas, et même plus », dit Brown. Le V-4 de 748 cc conservait la configuration à 90° et les 16 soupapes, mais il a été doté de soupapes, de pistons et de bielles plus légères. Combinées à des carburateurs Keihin CV, ces modifications ont contribué à élever la puissance nominale à 105 ch (15 de plus que dans la VF). Avec en plus un nouveau cadre léger en aluminium, de même que des composants de freins et de suspension de haute qualité, la VFR était une moto « brillamment équilibrée » selon Brown.
Malgré les éloges, Honda ne s’est pas reposée sur ses lauriers. En 1990, la VFR a eu droit à un nouveau look plus racé, à un cadre de type compétition et à un bras oscillant monobranche. Toutefois, face à la popularité croissante des modèles à quatre cylindres plus sportifs et plus légers, Honda a ensuite décidé de repositionner la VFR dans la catégorie des machines de tourisme sportif de format moyen. La VFR800 est apparue en 1998 avec une cylindrée augmentée à 782 cc et un léger gain de puissance (108 ch). Elle a aussi été dotée de l’injection, ce qui a permis d’augmenter le couple sur toute la bande de puissance – et de la rendre encore mieux adaptée au tourisme sportif.
En 2002, la VFR800 a subi une révision complète. Le changement le plus marquant était l’apparition de la technologie VTEC, une première pour une moto Honda de grande série (Honda utilisait déjà ce système depuis un certain temps dans ses automobiles). Le VTEC utilise des commandes hydrauliques pour empêcher 8 des 16 soupapes d’être actionnées quand le régime est inférieur à 7000 tr/min. Il en résulte un engin à double personnalité : à bas régimes, il livre le couple solide d’un moteur à deux soupapes par cylindre; à régimes plus élevés, il offre la réponse enjouée d’un moteur à quatre soupapes. Brown explique que le V-4 VTEC était plus silencieux et plus raffiné que l’ancien moteur à bas régimes, et qu’il offrait une meilleure réponse. Il ajoute qu’à partir de 7000 tr/min, on sentait « une poussée abrupte et excitante de puissance et de bruit qui surprenait de la part d’une moto si raffinée ». Bref, un moteur impressionnant, même si certains trouvaient que la réponse abrupte n’avait rien d’excitant. Quand on jette un coup d’œil aux forums en ligne sur la VFR, on constate que les propriétaires sont divisés à ce sujet. Certains adorent la poussée de puissance, d’autres disent qu’elle peut déstabiliser la moto au milieu d’un virage. « Le concept même d’une moto de sport tourisme implique des compromis, poursuit Brown. Mais avec l’ajout du VTEC, ce V-4 était plus que jamais en mesure d’offrir le meilleur des deux mondes. »
Au salon Intermot de 2008, Honda a fait sensation en présentant un modèle V-4 concept qui semblait être une version plus grosse et plus agressive de la VFR800. Quand la VFR1200F a été dévoilée l’année suivante, les critiques ont été mitigées. La machine conservait un moteur V-4, mais il était tout nouveau, plus gros, et non doté de la technologie VTEC. La transmission, revue également, était offerte en version manuelle, ou automatique à deux embrayages. Cette dernière offrait deux modes automatiques et un mode manuel automatisé avec sélecteurs à gâchettes.
Et maintenant, il semble bien que Honda revient aux sources de la VFR avec la nouvelle VFR800F. Le VTEC est de retour et le V-4 livre encore plus de puissance à bas et moyens régimes selon Honda. La nouvelle VFR ressemble à l’ancienne, et c’est très bien comme ça à notre avis.
Retour réussi
Toujours aussi raffinée et invitante
Par Neil Graham
Je me souviens très bien de cette journée froide d’octobre 2009. Honda avait invité les journalistes pour faire un bref essai de la toute nouvelle VFR1200. Comme il n’y en avait qu’une seule au pays, chacun faisait une promenade d’une demi-heure. Entre-temps, nous pouvions aussi rouler sur une VFR800. J’imagine que Honda l’avait amenée pour que l’on puisse apprécier à quel point la grosse machine était supérieure à la petite.
Je n’avais jamais roulé en VFR auparavant et je suis revenu impressionné de ma sortie de 10 km sur la 800. J’ai trouvé que c’était une moto invitante, incontestablement raffinée, avec un son d’échappement mélodieux. J’avais donc très hâte d’essayer la 1200, mais j’ai été déçu. Et cette première impression a ensuite été confirmée à plusieurs reprises par la suite.
Pourquoi tant de différences entre les deux VFR? Le moteur est sans doute le principal responsable. Malgré ce qu’en dit Honda, le V-4 de 1200 cc est un engin au tempérament peu enjoué et nettement moins dynamique que celui de la 800. Et c’était aussi l’avis de tous les journalistes à qui j’ai parlé. Peu de temps après, la 800 a cependant été retirée du marché canadien, victime de la récession. Je n’étais jamais remonté sur une VFR800 depuis.
J’ai donc été particulièrement content de constater que la nouvelle VFR800 correspond aux meilleurs souvenirs de ma brève randonnée de 2009. Les échappements sous la selle – cool à l’époque – ont cédé leur place à un silencieux traditionnel et les radiateurs latéraux ont été remplacés par un radiateur conventionnel à l’avant. Pour le reste, elle n’est pas si différente de l’ancienne.
La VFR800 illustre bien ce que Honda fait de mieux : raffinée mais jamais drabe, enivrante à piloter mais jamais trop rude. C’est l’équivalent sur deux roues d’une automobile de grand tourisme classique. J’ai seulement quelques petites critiques à formuler. Le guidon bracelet surélevé est un peu trop avancé pour ce genre de motos. Cela s’explique par le long réservoir, peut-être nécessaire à cause de la configuration traditionnelle à 90° du V4 (les V-4 de conception plus récente ont un angle plus fermé – 76° pour la VFR1200, par exemple). Le design manque un peu de piquant, les phares semblent un peu trop inspirés de la Ducati Panigale et on aurait pu souhaiter certaines commodités modernes, comme une suspension à ajustement électronique. Cela dit, il n’en reste pas moins que pour le prix (14 499 $), la VFR800 est une véritable petite merveille.