Sur les routes andalouses, Derreck Roemer découvre la riposte de Triumph aux grosses GS de BMW
Nous soupons à l’hôtel Barceló de La Bobadilla, un centre de villégiature dans la campagne aride du sud de l’Espagne. Après la présentation PowerPoint de Triumph, un journaliste à ma table déclare un peu pompeusement que le seul problème de la Tiger Explorer, c’est la Tiger 800. Il est vrai que la 800 lancée l’an dernier a eu droit à de très bonnes critiques de notre part et dans d’autres publications. Mais on ne peut jamais juger une moto uniquement sur des aspects théoriques. Alors j’ai hâte à demain.
Triumph a commencé le développement de sa Tiger Explorer il y a six ans. L’objectif était de créer un modèle de tourisme d’aventure durable, confortable, bien équipé, avec un léger potentiel « hors route » (c’est Triumph qui met des guillemets…). Avec l’Explorer, Triumph veut s’attaquer directement à la machine de référence dans cette catégorie, la BMW R1200GS, un rôle que ne pouvait pas jouer la Tiger 1050, désormais nettement axée sur la route. Résultat : cette Explorer reprend le look et le style de la Tiger 800. Elle est également propulsée par un tricylindre refroidi au liquide, sauf qu’avec ses 1215 cc, l’engin produit 135 ch, et 89 lb-pi de couple, selon Triumph. C’est 51 ch et 31 lb-pi de plus que la 800 (par rapport à la 1050, le gain est de 14 ch et 15 lb-pi). Comme sur la R1200GS, l’entraînement final de l’Explorer est assuré par un arbre caché à l’intérieur du bras oscillant monobranche. Les 800 et 1050 sont entraînées par chaîne.
Cela dit, Triumph affirme qu’elle n’a pas la prétention de déloger la GS – la part de marché de l’Allemande est trop dominante – mais la firme britannique croit néanmoins que l’Explorer sera une concurrente très sérieuse. Pour cela, elle compte notamment sur son prix : il devrait être inférieur d’au moins 3 % dans tous les marchés. Chez nous, cela se traduit par une facture de 17 499 $ pour l’Explorer, contre 17 900 $ pour la GS de base. À première vue, la différence se semble pas très élevée, mais la Triumph offre différentes caractéristiques supplémentaires de série : accélérateur à commande électrique, régulateur de vitesse, antipatinage, freinage ABS désactivable. L’Explorer est aussi munie d’un costaud générateur de 950 watts ce qui devrait permettre, selon Triumph, de faire fonctionner à la fois la selle chauffante, les poignées chauffantes, l’éclairage et tous vos gadgets électroniques sans risque de décharger la batterie.
Voilà pour la théorie. Pour la vraie vie, nous prenons la route le lendemain matin sur un ruban asphalté qui serpente sans fin au milieu des collines andalouses et des oliviers. Au bout d’un moment, je réalise que je n’ai pas besoin de travailler trop fort pour suivre les pilotes qui mènent le bal devant. Pourtant, on m’avait prévenu que, d’habitude, ça roule particulièrement vite dans les randonnées de lancement de Triumph. Je me dis que le guide a peut-être pitié de nous, pauvres journalistes nord-américains encore sous le coup du décalage horaire. Pour vérifier, je jette un coup d’oeil à l’indicateur de vitesse numérique qui jouxte le compte-tours analogue. Ouais, on va vite, très vite même.
La seule façon d’expliquer que je roule si rapidement avec si peu de stress, c’est que l’Explorer est facile à conduire à vive allure. Cela est dû en partie à la souplesse et à la douceur incroyable de son moteur. Triumph nous a montré un graphique créé à partir d’un relevé dynamométrique : on voit que la courbe de puissance livrée est linéaire et progressive, grâce à une courbe de couple presque horizontale. Dès les 2500 tr/min, et jusqu’à 9500 tr/min, on a accès à plus de 73 lb-pi de couple. Pas besoin de rétrograder souvent, donc. La puissance est livrée de façon uniforme et prévisible et elle est amplement suffisante pour faire des dépassements rapides avant d’arriver au prochain virage en épingle. Puis, juste avant d’entrer dans ledit virage en épingle, deux doigts suffisent pour ralentir la bête grâce aux deux disques flottants de 305 mm avec étriers Nissin à quatre pistons. La puissance de freinage est abondante mais progressive et facile à moduler.
L’autre partie de l’explication – et c’est là l’élément qui m’a le plus impressionné – c’est que l’Explorer est tellement maniable qu’on en oublie son poids. Tous pleins faits, elle fait osciller la balance à 259 kg, ce qui est tout de même imposant (en comparaison, la R1200GS affiche un poids, à sec, de 203 kg). Mais virages après virages, l’Explorer va toujours exactement là où je veux avec une facilité télépathique.
Côté suspension, l’Explorer est munie d’un monoamortisseur arrière Kayaba avec réservoir externe. On peut ajuster la précharge du ressort et l’amortissement en détente. À l’avant, on retrouve une fourche Kayaba de 46 mm avec ajustement de la précharge seulement. Avec ses ajustements de base, la suspension convient tout à fait à mes 190 lb; elle offre un roulement confortable et elle absorbe bien les imperfections sur les routes cabossées, tout en inspirant confiance et en donnant assez de feedback en virage. La fourche plonge passablement lors des freinages intensifs, mais sans que cela nuise à la tenue de route.
Dans le cadre de ce lancement, nous avons fait une très brève incursion hors-route (un aller-retour d’un km). L’Explorer m’a rappelé la Tiger 800XC que nous avons essayée l’été dernier. Avec ses pneus double-usage surtout conçus pour la route, la grosse Tiger se comporte comme sa petite soeur : solide sur les sections de terre durcie légèrement rocailleuses, mais pas très rassurante en terrain sablonneux parce que le derrière se promène passablement de droite à gauche. Bref, elle semble se débrouiller en « hors-route » léger, mais il lui faudrait des pneus plus sculptés (des Continental TKC 80, par exemple) pour pousser l’aventure un peu plus loin.
Le système antipatinage de l’Explorer offre deux niveaux d’intervention. Pendant notre passage hors-route, je l’ai laissé au maximum, ce qui permet de s’amuser à faire des petits dérapages sans risquer de perdre le contrôle. Le niveau minimum permet d’accentuer la dose de patinage de la roue arrière.
Après notre pause dîner, j’ai échangé ma Tiger Explorer de base contre un modèle « limited edition ». Il y en aura au moins un par concessionnaire ce printemps promet Triumph. Il s’agit d’un modèle déjà équipé de certains des 37 accessoires offerts par la firme : barres de protection moteur, système de surveillance de la pression des pneus, phares antibrouillard, plaque protectrice en aluminium sous le moteur, protège-mains, protecteur de réservoir.
Puis nous reprenons la route. Nous roulons mollo à 125 km/h, alors je décide de tester le régulateur de vitesse. Pour le mettre en fonction, on appuie sur un bouton sur la poignée de droite. Pour l’arrêter, il suffit de fermer l’accélérateur, tirer l’embrayage ou freiner. Le système fonctionne bien mais je n’arrive pas facilement à actionner l’interrupteur à bascule avec mon pouce droit tout en maintenant l’accélérateur. Alors j’utilise ma main gauche pour appuyer sur l’interrupteur et fixer la vitesse une première fois, puis je la fais varier en jouant avec la bascule du pouce droit.
Le pare-brise à ajustement manuel de mon modèle série spéciale est plus large (de 30 mm) et plus haut (de 50 mm). Ce matin, j’ai trouvé que le pare-brise de base faisait un très bon travail : il déviait l’air efficacement de mon torse jusqu’au haut de mon casque (je mesure six pieds). Je m’attendais donc à ce que le pare-brise plus gros soit encore plus efficace et qu’il crée une agréable bulle de silence supplémentaire. En pratique, je n’ai pas vu de différence en matière de protection, mais le niveau sonore a augmenté. Ce qui ne m’empêche tout de même pas de profiter de ce bel après-midi rempli de route et de courbes.
Nous faisons une pause près d’un lac avec les douces collines au loin. Notre guide dit qu’il aime mieux les longues courbes que les virages serrés des routes de montagne. Moi, ça dépend de mon état d’esprit ou de l’énergie que j’ai en réserve. Dans les deux cas, et dans une foule d’autres situations, l’Explorer est à l’aise et elle inspire confiance. Alors, permettez-moi de répondre à mon pompeux compagnon de table du début que la Triumph Tiger Explorer n’a pas vraiment de problèmes…