Une Honda CB400F chez docteur Steve

Par Steve ThorntonPublié le

Une radiographie et deux motos plus tard, la patiente roule enfin

Au printemps 2010, j’ai quitté la petite ville de Merritt, en Colombie-Britannique, au volant de ma camionnette Dodge. Derrière, une remorque U-Haul avec toutes mes possessions. En moi, peut-être un cancer du poumon. J’ai traversé les Prairies jusqu’en Ontario puis j’ai pris la direction d’Orillia. Je pensais que mes jours étaient comptés. J’allais rejoindre ma mère là-bas, là où mon père s’était éteint il y a deux ans. Depuis, ma mère vivait seule dans cette maison de poupée victorienne.

J’avais trois choses en tête : ma mère, que je ne voyais plus assez depuis 30 ans, l’ombre sombre que le médecin avait décelée sur la radiographie, et un désir irrépressible pour un objet mécanique très précis, une Honda 400 quatre cylindres des années 1970.

C’est une image – celle de mes poumons – qui me terrifiait. Et c’est aussi une image qui m’avait allumé pour la petite Honda CB400F.

À l’automne 2009, j’étais tombé sur le premier (et le seul) numéro d’un magazine intitulé Moto Retro Illustrated. Je l’avais regardé avec la même attention et le même esprit rêveur que quand je regardais des magazines de moto dans ma jeunesse. Il y avait un article sur le 50e anniversaire d’American Honda avec beaucoup de photos. Dont une avec une CB400F à côté d’une CB550F, devant un ciel gris. C’était une ancienne publicité de Honda (de 1975 probablement), et quand j’ai vu la ligne des quatre échappements et la peinture jaune pétant du réservoir, quelque chose s’est passé en moi… J’étais accroché.

Quand je suis arrivé chez ma mère, le 18 avril 2010, je n’ai pas tardé à allumer mon portable pour me mettre à la recherche d’une CB400F d’occasion. Bien sûr, il fallait aussi que je m’occupe de mon foutu poumon, mais je ne connaissais pas de médecin en Ontario; mon doc britanno-colombien avait insisté pour que j’emporte avec moi la radiographie et il avait rédigé une note pour demander un tomodensitogramme. Je ne savais pas trop quoi faire dans ce dossier.

Dans le dossier moto, par contre, ma vision était plus claire : je voulais la CB400F 1975 en très mauvais état que j’avais vue sur le site Craigslist! Quelques jours plus tard, le futur ancien propriétaire la poussait hors de son garage encombré en direction de ma camionnette. Je lui ai remis 600 $ et j’ai repris la route vers Orillia avec ma vieille Honda toute neuve.

À Orillia, j’ai fini par trouver un hôpital et une jeune médecin à qui j’ai montré ma radiographie et la note de mon docteur de Merritt. Elle était d’accord pour le tomodensitogramme. Quelques jours plus tard, j’entrais à l’hôpital tôt le matin. On m’a injecté une teinture dans une veine et on m’a couché sur une plate-forme qui glissait sous un gros cerceau blanc. Puis je suis rentré chez moi. Je me sentais bien : j’avais fait ce qu’il fallait. En fait, je me sentais tellement bien que j’ai passé le reste de la journée dans le garage, le garage où mon père remontait des Ford Model A. Ma petite Honda m’attendait là, en pièces détachées parfois passablement détachées…

La culasse était sur l’établi. Mon frère Gary avait aidé mon père à remonter ses autos et il savait comment redonner vie à de vieux moteurs. Nous avons donc commencé par examiner la culasse et il m’a montré comment retirer les soupapes : un coup de marteau sur la tige pour les décoller, compresser le ressort et retirer les deux petites demi-bagues de fixation. Les soupapes étaient collées dans leur guide mais, une par une, j’ai réussi à toutes les démonter. Je les mettais dans des sacs en papier soigneusement identifiés (cylindre 3, admission, etc.) jusqu’à ce je réalise que, comme la culasse était à l’envers, toutes mes inscriptions étaient erronées… Mais ces soupapes ne resserviront jamais, comme nous le verrons.

Petit saut dans le temps : numéro d’avril 1994 de Cycle Canada, page 62. C’est mon deuxième article seulement pour le magazine. Je raconte mes déboires avec une Harley-Davidson Panhead que j’arrive rarement à faire marcher… J’explique que « je me résigne alors à apporter la Harley à l’atelier. Et les mécaniciens sont morts de rire à chaque fois qu’ils me voient déboucher au bout de la rue… ». 
 
Dans le garage de mon père, l’ambiance était agréable. La radio jouait pendant que j’essayais de démonter l’embrayage ou de sortir un poteau de fourche de son fourreau. Autour de moi, les vieux outils et les vieux manuels de mécanique de mon père, et plein de pots et de canettes avec toutes sortes de liquides. Mon frère passait me voir de temps en temps pour me conseiller et, peu à peu, j’ai fini par complètement démonter la 400.

Quelques jours plus tard, c’était mon anniversaire. J’étais en train de prendre mon café quand le téléphone a sonné. C’était ma docteure. « J’ai une bonne nouvelle, m’a-t-elle dit tout de suite. La tache sur votre poumon, c’est l’ombre de votre mamelon… »

Je suis resté bouche bée quelques secondes. Puis la voix m’est revenue : « Vous êtes certaine? C’est juste une ombre? » Elle était bien certaine! Je me souviens que ma mère descendait l’escalier à ce moment-là. Je lui ai dit que c’était mon mamelon sur la radiographie. Elle est demeurée calme… C’est ainsi que j’ai appris, en ce matin de mon 60e anniversaire, que je n’avais pas le cancer du poumon. 

J’ai ensuite remis la main à la pâte. Je tenais une sorte de journal de bord de l’avancement de mes grands travaux, avec des dessins maladroits et des petits comptes-rendus mécaniques. Par exemple :

9 mai – Fête des mères. Gary est là. Il me montre comment utiliser mon rodoir de cylindre. Il y a une drôle de marque dans un des cylindres (no 1).

10 mai – J’apporte les cylindres chez Orillia Motor Sport. Mon mécano me dit qu’il faut faire un réalésage, peut-être même de deux niveaux, et qu’il me faudra des pistons, des segments, des joints d’étanchéité et des joints d’huile. Environ 600 $.

11 mai – En me réveillant, je me dis que ça ne sert à rien de flamber 600 $ pour des pistons et un réalésage si la base du moteur est kaput et qu’il n’y a rien à faire avec. Je l’examine. Les bielles sont rouillées mais elles ont l’air OK. Je devrais peut-être démonter toute la base.

Et ça continuait comme ça. J’examinais les pièces une par une, me demandant à chaque fois comment procéder au juste pour la retirer. Je me battais continuellement contre des vis rouillées ou brisées. Toutes les pièces semblaient endommagées. Mon journal de bord témoigne de mon impatience croissante : Vis de vidange de fourche cassée. Petite vis avec trou pour goupille vissée par-dessus. Pourquoi? Vis d’ajustement du disque cassée dans le fourreau de fourche! 

Je n’arrivais pas à démonter le boulon du tambour d’embrayage. J’ai envoyé un courriel à Costa Mouzouris, un ancien de Moto-Journal (et qui m’avait déjà acheté des articles quand j’étais pigiste). Il m’a expliqué que j’avais affaire à un écrou à créneaux. Il m’a suggéré d’immobiliser le tambour avec une tige de métal, puis de taper sur les tourelles de l’écrou avec un poinçon. Ça a marché.

J’avais un manuel Clymer, mais la librairie en ligne à qui j’avais commandé un Haynes l’a livré à quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un d’autre m’a écrit (il y avait mon courriel sur le bordereau de réception) pour m’en informer, mais il n’a pas offert de me renvoyer mon manuel.

Une fois le moteur passablement dénudé, j’ai emporté la base à mon mécano d’Orillia. Je lui ai demandé de jeter un coup d’oeil, de me donner son avis et de me faire une liste de ce qu’il y aurait à changer. Quelques jours plus tard, je suis retourné à l’atelier. Le moteur était encore sur la table où je l’avais déposé – il ne s’était même pas rendu jusqu’à l’établi. Mauvais signe… Trop rouillé, rien à faire, m’a dit le mécano. Il ne m’a rien chargé. Puis il a conclu : « C’est une moto pour les pièces, c’est tout ».

Une moto pour les pièces… Bonne idée. Quelques semaines plus tard, j’étais chez des amis et je racontais l’histoire de ma CB400 qui ne reprendrait sans doute jamais la route, et que j’avais payé 600 $ pour rien.

–    Tu aurais dû acheter la mienne, a dit l’un des invités. Elle est en état de marche!
–    Tu as une CB400?
Il a dit oui…
–    Et tu veux la vendre?
–    Oui je le veux!
–    Combien tu demandes
–    Quatre cents dollars…

Trois jours plus tard, je chargeais la CB400F 1977 dans ma camionnette et je la ramenais chez ma mère. Elle n’était pas en état de marche immédiat. Mais avec une batterie neuve, de l’essence fraîche et une bonne mise au point chez Orillia Motor Sport, elle a vite repris vie. Comme première promenade sur ma nouvelle CB400F, j’ai fait de grands cercles sur le terrain de ma mère, qui me regardait…

Je l’ai ensuite ramenée à Toronto et je m’en suis servi pour aller au travail l’automne dernier. Ma CB400F 1977 roule super bien et elle a un son d’enfer à 9000 tr/min, mais elle n’est pas aussi belle que le modèle 1975. C’est comme si Honda avait décidé qu’il fallait rendre cette petite sportive moins sportive… Mais j’ai encore un tas de pièces de ma 1975 chez ma mère. J’ai le guidon plus plat, les repose-pieds plus reculés, le réservoir plus beau. En fait, j’ai deux ensembles de caches en plastique et deux réservoirs; je pourrais les faire réparer et les faire peindre de couleurs différentes si je voulais.

La semaine dernière, je suis allé à la clinique pour un examen. « Tout va bien, m’a dit le doc. Vous avez l’air en santé. »

En revenant, j’ai repris le guidon de ma CB400F 1977. J’ai installé les repose-pieds reculés de ma 1975. L’installation a été facile et le repose-pied droit était passablement plus loin vers l’arrière, ce qui donne une allure nettement plus sportive. Celui de gauche était moins reculé, par contre, donc un look moins sport vu de ce côté… Je me suis aperçu que j’avais fait le même genre d’erreur qu’avec les soupapes de ma 1975 : confusion dans l’identification des composantes… Plus ça change…

Bref, j’avais installé un repose-pied de la 1975, et un de la 1977. En plus, les deux provenaient du côté gauche. En m’asseyant sur la moto, je me suis penché pour regarder ma position de conduite : pied gauche presque en-dessous du genou, pied droit loin derrière. Je me suis dit que ça pourrait être drôle de rouler comme ça.

La moto parfaite

Gisele Gordon adore sa CB400F. Histoire d’une histoire d’amour qui dure.

Voici la CB400F : peinture jaune distinctive, quatre cylindres, et quatre échappements aux courbes particulièrement séduisantes. Les pistons sont de la taille d’un verre à shooter, mais si vous tordez l’accélérateur, ils vont se mettre à monter et descendre 7000 fois par minute, et c’est là que le fun commence. Le petit moteur se met alors à chanter jusqu’au cap des 10 000 tr/min et il n’y a plus de doute : vous êtes sur une vraie moto.

Voici Gisele Gordon : jolie, blonde, environ 5 pieds 5 pouces et un tempérament affable qui nous fait sentir bien. Elle travaille dans l’univers du cinéma, des documentaires et des festivals à Toronto. Ma conversation avec elle a été très intéressante. J’étais content d’avoir démarré l’enregistreur de mon iPhone parce que ça m’a permis de la réécouter et d’approfondir certaines réflexions.

« À part ma maison, ma moto est le seul bien matériel pour lequel je ressens un fort attachement émotif. Je ne me suis jamais vraiment attachée à une automobile, mais avec la moto c’est différent. Surtout qu’elle m’a accompagnée à travers tellement de phases de ma vie. Les gens me demandent parfois pourquoi je ne m’achète pas une “vraie” moto, comme une Harley. Moi je réponds : Quoi? Pourquoi je m’achèterais une moto trop chère pour rien? Et surtout, la CB400, c’est MA machine. J’ai eu de la chance que ma première moto soit la moto parfaite pour moi. Ça fait tellement longtemps que je l’ai que c’est devenu une seconde nature pour moi. Même si on m’offrait un million de dollars, je ne pense pas que je la vendrais. »

Gisele a acheté sa CB400 il y a 25 ans! À ce moment, elle n’était pas à la recherche d’une relation à si long terme… En fait, elle voulait simplement acheter une moto hors-route pour se promener dans les sentiers près de la maison de son père. Mais un jour, un collègue de travail lui a dit : « J’ai un ami qui vend une moto qui serait d’un format parfait pour toi. Ce n’est pas une hors-route, mais je pense que tu vas vraiment l’aimer ».

Il avait raison.

« J’ai fait le tour du quadrilatère et je suis tombé en amour tout de suite. » Gisele explique qu’elle s’est tout de suite sentie à l’aise. Et même si la CB n’est pas une moto hors-route, elle s’en est quand même servi pour  cet usage : « J’ai roulé dans la forêt, j’ai traversé des ruisseaux, j’en ai vraiment abusé! Je ne la recommanderais pas vraiment pour le hors-route – elle est un peu trop pesante – mais c’était quand même la moto parfaite pour moi. »

Parfaite, oui, mais rien n’empêche de la personnaliser un peu. C’est ce que se disait Gisele au début. « À cette époque-là, j’étais maniaque de la bande dessinée Love and Rockets et je voulais faire repeindre le réservoir en y ajoutant des illustrations tirées de la série. Mais j’étais jeune et je n’avais pas les moyens de me payer une peinture neuve. Heureusement, parce qu’ensuite j’ai réalisé à quel point ma CB400F était une moto unique. Aujourd’hui, je suis super contente qu’elle soit complètement d’origine et je vais la garder comme ça, c’est certain. Les seules modifications, ce sont de petites améliorations au système électrique. »

Gisele utilise sa moto pour se déplacer en ville et pour se faufiler dans le trafic. Pendant un festival, quand il faut circuler le plus vite possible d’une salle de spectacle à une autre, la petite CB est imbattable explique Gisele. De temps en temps, elle embarque un ami sur la selle arrière. « J’aime ça. Il y a des gens qui étaient terrifiés par la moto et qui ont accepté de monter avec moi, peut-être parce que je suis une fille et qu’ils n’avaient pas peur que je les emmène à 100 milles à l’heure… C’est extraordinaire de sentir une personne, juste derrière soi, qui découvre la moto et qui devient toute joyeuse! Un jour j’ai fait faire une promenade à Robert Crumb (le grand bédéiste et illustrateur américain) et je l’entendais crier Weeeeee! tout le temps. J’ai été obligé de m’arrêter au bord de la route tellement je riais. Je lui ai demandé si j’allais trop vite. Il m’a dit : Non! Plus vite, plus vite! »

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