En devenant plus techno, plus puissante et plus performante que jamais, cette Ducati a-t-elle perdu son âme? Neil Graham se penche sur la question au circuit d’Abu Dhabi.
Même si vous n’avez jamais roulé sur une Ducati sport, vous en avez sans doute déjà entendu parler. On dit de ces belles italiennes qu’elles exigent un effort plus délibéré pour négocier les courbes que les japonaises, mais qu’en contrepartie, elles sont d’une stabilité hors pair. On dit aussi qu’elles n’ont pas la puissance des quatre cylindres, mais que leur couple à bas régime permet des sorties de courbe canon, ce qui permet de compenser leur déficit en vitesse de pointe par rapport à une S1000RR ou une GSX-R par exemple. Tout cela est assez près de la vérité, ou plutôt était assez près. Parce qu’avec la 1199 Panigale, le temps est venu de revoir notre perception des Ducati sport.
Parlant de choses à revoir, je me dis justement – en entamant mon troisième tour de piste sur le circuit Yas Marina à Abu Dhabi – qu’il faut que je revoie un peu ma façon de conduire… J’arrive à l’entrée du virage à gauche serré qui précède le plus long droit du circuit et je me répète le conseil du coureur britannique Guy Martin : lentement dans les courbes lentes, vite dans les courbes rapides. Martin ne veut pas dire qu’il faut rouler pépère dans les courbes serrées, bien sûr. Mais il est vrai que si on pousse trop à l’entrée d’un virage lent et qu’on ne réussit pas à bien se placer pour sortir et enfiler le droit qui suit, on perd du temps en bout de ligne. Alors, je me force à être un peu plus patient, je pénètre loin dans le virage, je coupe à gauche et je tords l’accélérateur. La Panigale bondit comme bondissent les Ducati. Mais le pilote devant moi me distance alors que j’étais pourtant en train de le rattraper. Je baisse les yeux vers mon poignet droit et je tourne la poignée jusqu’à la butée. Les échappement hurlent et je réalise que la puissance d’accélération que j’avais expérimentée jusqu’ici – bien qu’impressionnante – ne représentait que le deux tiers du total disponible… Bref, à pleins gaz, ça déménage fort.
De nos jours, les motos sportives sont tellement avancées que les gains (de puissance) et les pertes (de poids) sont généralement minimes d’une génération à l’autre. Les ingénieurs sont fiers quand ils réussissent à alléger une soupape de quelques grammes ou à amincir un disque d’un millimètre. À cet égard, la Panigale 1199 fait figure d’exception : elle a perdu 10 kg et gagné 25 chevaux par rapport à la 1198 qu’elle remplace.
Le moteur de la 1199 mérite vraiment l’appellation de « nouveau ». À part l’angle des cylindres (toujours à 90 degrés) et le système d’entraînement des soupapes desmodromique, je n’ai pas reconnu grand chose sur le moteur en coupe qu’on nous a montré.
On ne voit plus la courroie qui actionnait fidèlement les arbres à cames depuis longtemps (depuis, en fait, que Ducati a abandonné l’arbre d’entraînement à pignons coniques de Taglioni parce que considéré trop cher à fabriquer). À la place, il y a maintenant une chaîne, mieux adaptée pour les hauts régimes de ce moteur Superquadro. Superquadro comme dans supercarré, c’est-à-dire avec une mesure d’alésage (112 mm) beaucoup plus grande que celle de la course (60,8 mm). Cet alésage costaud a été l’un des premiers paramètres établis lors du développement de cet engin, parce qu’il permet d’installer de plus grandes soupapes. Quant à la course réduite qui en résulte, elle permet d’abaisser la vitesse linéaire des pistons à haut régime. L’embrayage à sec est aussi chose du passé. Visuellement, le moteur n’est pas du tout le même non plus. De la Pantah à la 1198 en passant par la 851, les moteurs de Ducati ont toujours été clairement reconnaissables. Ce n’est plus le cas. (En tant que propriétaire d’une Ducati 916, j’estime que ce nouveau moteur apporte une grande amélioration côté entretien. Les chaînes durent pour toute la vie de la moto et l’intervalle entre les ajustements des soupapes est de 24 000 km.)
Beaucoup de nouveau côté cycle aussi : le cadre en treillis a cédé sa place à un châssis monocoque. À l’avant, on retrouve une coquille d’aluminium amarrée au moteur. Elle fait office à la fois de support pour le pivot de direction et de boîtier d’admission d’air. À peu près de la taille d’un gros chat (et probablement de poids comparable), cette coquille est complétée par une section arrière qui sert à supporter le pilote (et un passager si nécessaire et pas pour trop longtemps de préférence…).
Ce concept de châssis où le moteur joue un rôle structural n’est pas nouveau puisqu’on le retrouvait déjà sur les célèbres Vincent. Même Ducati y a déjà eu recours dans le cadre de son programme de MotoGP, mais Rossi et ses amis sont revenus au cadre traditionnel en aluminium depuis. Est-ce à dire que la Panigale a des problèmes de tenue de route? Pas du tout. Mes réflexes de survie sont puissants et je ne roule jamais au fond sur une machine qui me rend nerveux. Or, après quelques tours seulement sur la Ducati, j’entre dans les virages avec la même fluidité que si j’étais au guidon d’une GSX-R750, la sportive la plus conviviale jamais construite.
Si je me sens si à l’aise, c’est sans doute en partie parce que Ducati a revu la répartition des masses. De nos jours, les moteurs en V à angle de 90 degrés sont considérés comme un peu archaïques pour les motos sportives. Mais pas pour des raisons mécaniques. Au contraire, ce genre de moteur offre un équilibrage primaire parfait et il n’a pas besoin d’être muni de contrebalanciers (qui ajoutent du poids et réduisent la puissance disponible). C’est plutôt le format du moteur qui pose un défi : à cause de l’ouverture entre les cylindres, il est difficile d’avancer le moteur de façon à mettre suffisamment de poids sur la roue avant. Pour contourner ce problème, Ducati a fait pivoter le moteur de 6 degrés vers l’arrière comparativement à la 1198. Cela a permis de le déplacer de 32 mm vers l’avant, et de rallonger le bras oscillant de 39 mm. La répartition des masses, avec pilote en selle, est maintenant de 52 % à l’avant, 48 % à l’arrière.
La Panigale de base (19 995 $) est munie d’une fourche Marzocchi et d’un amortisseur Sachs. La S (24 495 $), le modèle que nous avions pour ce lancement de presse, et la S Tricolore (29 995 $) sont équipées d’une suspension électronique Öhlins. Sur ces modèles, l’amortissement avant et arrière s’ajuste électroniquement, en compression et en détente, en fonction du mode de pilotage choisi (Course, Sport ou Pluie). La précharge des ressorts est ajustable manuellement.
En mode Course, on a droit à chacun des 195 chevaux annoncés pour la Panigale, et on obtient les paramètres suivants : suspension calibrée pour circuit, intervention réduite du système antipatinage, activation de l’ABS (offert en option) à la roue avant seulement. En mode Sport, on a encore accès aux 195 chevaux, mais avec une réponse de l’accélérateur plus progressive, la suspension devient plus souple, l’antipatinage est plus actif et l’ABS est de retour à la roue arrière. En mode Pluie, la puissance est réduite à 120 chevaux et d’autres paramètres sont modifiés, mais vous vous ferez quand même pleuvoir dessus.
Voici en vrac un aperçu des autres caractéristiques techniques de la Panigale. Changements de vitesse à assistance électronique (on peut monter les rapports sans embrayage ni relâchement de l’accélérateur – attachez votre tuque!). Frein moteur assisté (subtile ouverture de l’accélérateur pour plus de stabilité en freinage intensif). Phare à DEL (sur les deux modèles S), une première mondiale pour une moto de production. Position de conduite adaptée aux êtres humains normaux (ma 916 convient surtout aux personnes avec bras de 6 pieds et jambes de 16 pouces), notamment grâce au guidon plus large et reculé de 30 mm. Soulignons enfin que le tableau de bord avec écran TCM (transistor en couches minces) est facile à lire même en plein soleil. (Il me semble qu’un compte-tours avec une bonne vieille aiguille est plus efficace qu’un graphique à barres quand on roule à 270 km/h, mais bon…)
Le fait que la Panigale puisse répondre à la fois aux exigences des pilotes professionnels et à celles des motocyclistes comme nous en dit long sur le niveau de perfectionnement des motos modernes. J’attaque (trop) vigoureusement la chicane gauche-droite-gauche en deuxième vitesse. L’indicateur d’antipatinage clignote frénétiquement au tableau de bord, puis c’est au tour de l’ABS d’entrer en action pour m’aider à réussir ma manoeuvre impossible. Ducati reconnaît qu’en ajoutant 25 chevaux à son gros V-2, elle a dû sacrifier un peu de ooomph à moyens régimes et que le moulin ne pardonne pas autant quand on laisse chuter les tours. En pareil cas, rétrogradez, tordez la poignée, laissez travailler l’électronique et occupez-vous de la conduite. Technologie sans faille, mais pour un technophobe. Comme je l’ai dit au début, il faut revoir notre perception des Ducati. Mais ne vous inquiétez pas, ducatistes, la bête n’a pas perdu son âme. Elle est juste devenue meilleure.
L’AVIS D’UN COUREUR
Par Brett McCormick
Brett McCormick a déjà roulé sur les 1198 de course de ses coéquipiers de l’équipe Effenbert Liberty, et sur celle du champion mondial de Superbike Carlos Checa. Il était donc bien placé pour nous parler de la nouvelle 1199. Il l’a essayée au circuit de Phillip Island, en Australie.
En montant sur la Panigale, j’ai eu l’impression de monter sur une 600, mais en roulant on ne se sent pas à l’étroit. Comme j’ai surtout couru sur des machines propulsées par des quatre cylindres en ligne, je sais qu’il me faudra un certain temps pour apprivoiser le gros V-2, mais j’ai tout de suite aimé ce moteur. Traditionnellement, les Ducati étaient capables de livrer leur puissance plus vite que les quatre en ligne en sortie de virage, mais elles cédaient un peu de terrain en vitesse maximale. Cela dit, je crois qu’il y a plus de gains à réaliser à partir du moment où on franchit le sommet de la courbe qu’à la fin d’un droit, et c’est pourquoi j’aime cet aspect des Ducati. D’après nos chronos, il semble aussi que le nouveau moteur permettra de s’approcher des vitesses de pointe des quatre cylindres.
Les fonctions électroniques de la Panigale sont simples et efficaces. L’accélérateur à commande électrique est particulièrement souple. Sur la 1198 que j’ai essayée l’automne dernier, la réponse de l’accélérateur était abrupte dans certaines sections plus lentes, et cela se répercutait sur la tenue de route. Au circuit de Phillip Island, il y a deux virages qu’on prend en première vitesse et je n’ai pas observé ce problème avec la Panigale.
La répartition des masses permet des changements de direction faciles et fluides. Pour moi, cet aspect est particulièrement important : on peut pousser plus fort quand le poids est bien réparti. Ducati avait visé dans le mille avec le train avant de la 1198, et la 1199 est tout aussi réussie à ce chapitre. Dès le départ, on sentait bien le comportement de la Panigale, et chaque petit ajustement l’améliorait encore.