Yvon Duhamel en 19 questions
(Pourquoi 19? Tout simplement parce qu’il parle beaucoup!)
Yvon Duhamel, c’est un peu le Michel Vaillant de la moto au Québec. Il a remporté des centaines de victoires dans tous les styles de courses (motocross, dirt track, accélération, circuit routier, motoneige et même Nascar). Parmi elles : deux gains en 250cc, à la classique de Daytona en 1968 et 1969; un à l’épreuve d’Indianapolis aussi en 1969; cinq courses de l’American Motorcyclist Association (AMA), de 1971 à 1973; le championnat européen en 750cc à Assen, en Hollande, en 1974; et le Grand Prix du Canada à l’île Notre-Dame en 1981. Une participation en 1988 au Bol d’Or en compagnie de ses fils Mario et Miguel, de même que 12 victoires en série Vintage ont complété sa carrière de compétiteur.
En plus d’avoir été intronisé aux temples de la renommée de l’AMA, en 1999, et de l’association Canadian Motorcycle, en 2000, il fait partie du Snowmobile Hall of Fame et du Panthéon des sports du Québec. Yvon a aussi donné son nom au circuit de motoneige de Valcourt.
MJ: Quelle fut votre première moto?
YD : Si on peut appeler un Whizzer une moto… À 13 ans, j’ai ouvert un petit commerce de réparation et de location de vélos. Parfois, je louais à des clients des vélos en réparation! À cette époque, j’avais acquis cette espèce de Mobylette du temps, mue par un moteur d’environ deux forces. Ce que j’ignorais, c’est qu’un permis était nécessaire afin de rouler avec cet engin.
Dans ce temps-là, le clergé remettait les extraits de naissance. Conscient que j’étais un an trop jeune, je me suis quand même risqué à faire une demande au curé de la paroisse en me vieillissant d’un an. Lorsqu’il m’a confirmé que le seul Yvon Duhamel présent dans ses registres était celui correspondant à ma date de naissance, j’ai dû abandonner l’idée. Mais durant le temps passé dans son bureau du presbytère, j’avais pu observer que lorsque le téléphone sonnait, il devait se déplacer dans une autre pièce pour répondre. J’ai donc mis une semaine à élaborer un plan avec un ami surnommé Tarzan.
Ainsi, une semaine plus tard j’ai refait ma demande. Une fois le formulaire presque rempli, le téléphone a sonné… comme par hasard. C’était, bien sûr, Tarzan qui s’informait des tarifs de toutes sortes (prix des messes, des lampions, etc.). J’en ai alors profité pour m’estamper une pile de formulaires vierges. Ma seule erreur a été de poser le sceau à l’envers (ce n’est pas de ma faute si j’étais déjà petit à cette époque!). Mais ce n’était pas grave, car ma sœur, très habile en calligraphie, l’a modifié à mon profit. Mon 50¢ a été bien placé!
Finalement pour répondre à la question, ma première vraie moto a été une Triumph T100 500cc.
MJ: Quel a été votre premier trophée?
YD : Une coupe remportée en ski alpin. Elle devait demeurer au club de ski; j’ignore pourquoi, mais elle n’y est plus. Des trophées, j’en possède tellement qu’à une époque, mes enfants s’entraînaient à la carabine à plombs dessus!
Si vous n’aviez pas fait carrière dans la moto, quelles sortes de compétitions vous auraient attiré?
Plein de choses! Probablement acrobate ou boxeur. Malgré le grand nombre de pirouettes que j’ai effectuées (pas toujours au guidon d’une moto…), je suis toujours retombé sur mes pieds. Pour la boxe, dans ma catégorie de poids, je crois que je me serais bien défendu. Là encore, pour toutes les fois où je me suis battu, j’ai rarement perdu. Il faut dire qu’en raison de ma petite taille et de mon caractère, je ne laissais pas la chance à mes adversaires de frapper en premier! Le ski alpin aurait aussi été une discipline intéressante…
Le fameux contrat avec Kawasaki (que plusieurs ont qualifié de gaffe après coup), le signeriez-vous encore?
C’est toujours plus simple de regarder le passé et de dire « J’aurais dû faire ou ne pas faire telle ou telle chose ». Mais à l’époque, face aux choix qui s’offraient à moi, je croyais avoir pris la bonne décision. On ne sait jamais combien de temps on pourra courir, et ce contrat assurait l’avenir de ma famille. Cela devenait donc le meilleur choix. Malheureusement, les victoires n’ont pas été aussi souvent au rendez-vous que prévu.
MJ: Kawasaki H2R ou Yamaha TZ700 et TZ750?
YD: J’ai beaucoup chuté avec la H2R en tentant de suivre la cadence des pilotes Yamaha. Lorsque j’ai eu l’occasion, plus tard, d’essayer une TZ750, j’ai compris que le problème ne venait pas nécessairement du pilote… La Yamaha offrait une accélération beaucoup plus linéaire que la Kawasaki. J’ai vu Kenny Roberts et Steve Baker se sortir de faux pas que mes machines vertes auraient punis par de lourdes chutes.
MJ: Un protêt payant?
YD: Je n’ai jamais été un fanatique des protêts. Ça coûtait 100$ et il fallait être certain de l’accusation portée. Jody Nicholas, un vrai bon Jack, en a été victime à Road Atlanta, en Georgie. J’avais fini deuxième, et Jody premier sur sa Suzuki à refroidissement liquide. Bob Hansen est venu me voir pour me dire que les cylindres de la Suzuki n’étaient pas légaux. Je ne me souviens plus en quoi ils ne se conformaient pas (parfois, les ports pour laisser passer le liquide de refroidissement n’étaient pas de format standard comme stipulé dans le règlement), mais les arguments de Bob étaient convaincants. Lors d’une victoire, Kawasaki me payait 10 000$ et les autres bourses rapportaient 2000$ supplémentaires. De toute façon, il m’a dit que je n’avais pas le choix, c’était un ordre! Effectivement, les cylindres étaient illégaux.
MJ : La motoneige, par choix ou par nécessité?
YD: À la fin des années 60, je travaillais dans ma station-service, à Verdun, quand est arrivé un patron de chez Bombardier. Il cherchait un pilote pour défendre les couleurs de la marque lors de compétitions. Je venais de gagner à Daytona en 250cc sur une Yamaha, mais je n’avais jamais participé à des courses de motoneige. En plus, je ne savais pas s’ils allaient me laisser courir pour une marque concurrente, car une motoneige Yamaha était en développement. J’ai hésité, et l’émissaire est reparti. Je me suis quand même informé, et puisque leur modèle ne serait pas prêt à court terme, j’avais donc l’autorisation de courir pour une autre marque. Pour finir de me convaincre, Gaston Bissonnette l’un des directeurs de l’époque, est personnellement descendu de Valcourt pour me faire signer un contrat. Quand est venu le temps de parler argent, j’ai fait de rapides calculs. À mon garage, je gagnais de 20$ à 25$ par jour pour une journée de 12 heures. Un salaire de 30$ ou 35$ par jour me semblait raisonnable pour courir. Puis, une idée de fou m’a traversé l’esprit : je lui ai demandé 1000$ par jour! Il la trouva bien bonne! Finalement, nous en sommes venus à un accord de 100$ par jour. Comme c’était beaucoup mieux que de vendre de l’essence, j’ai signé tout de suite! Je gagnais ce salaire même si je ne devais qu’essayer une nouvelle combinaison ou faire une apparition publique dans ma journée. Les années à courir pour Bombardier constituent de beaux souvenirs jusqu’au jour où l’entreprise a décidé de se retirer des courses de motoneige à cause de la crise pétrolière de 1973. J’ai tenté de les convaincre avec l’aide de mon gérant de l’époque, Gérald Tremblay (oui, l’actuel maire de Montréal), mais peine perdue. Ils m’ont plutôt proposé de me payer le même montant que la saison précédente pour faire de la promotion chez les concessionnaires de la marque. Je me suis donc promené aux quatre coins du Québec avec ma machine victorieuse de l’année précédente (que Bombardier m’a offerte en souvenir) en signant des autographes et en donnant des trucs aux motoneigistes sur la manière d’économiser de l’essence (sans farce!). Disons que je n’étais pas le type idéal pour la tâche de répondre toujours aux mêmes questions (du genre « Combien ça roule? ») ou encore à des questions de Ti-Joe Connaissant…
J’ai aussi fait des courses de longue distance en motoneige, comme la Winnipeg/St-Paul 500. Pour rouler 500 milles en hiver sans trop me geler la main droite, j’installais une poignée de moto afin de contrôler l’accélérateur avec la main droite en plus de déplacer l’habituelle gâchette du côté gauche en réserve si jamais le câble de la poignée droite lâchait (ce qui, heureusement, n’est jamais arrivé). J’en profitais pour me dégeler la main droite en la cognant sur le sac d’outils qui se trouvait sur le siège entre mes jambes. Il faut dire que me faire geler n’était pas mon fort. Déjà, plusieurs années auparavant, j’avais fait installer une sorte de carénage sur ma moto de course sur glace. En plus, je m’étais patenté des genouillères avec de vieux pneus afin de pouvoir me frotter les genoux dans les courbes…
La X2R (deux triples Rotax 797cc refroidis à l’air), ça se pilotait facilement? Comme une machine de ce gabarit et de ce poids peut aller… Disons que pour une balade du dimanche, j’aurais opté pour une machine plus… polyvalente! Pour le record (vitesse moyenne de 127,3 milles/heure sur deux passes), j’avais fait enlever le carénage…
MJ: Avez-vous déjà couru contre Gilles Villeneuve en motoneige?
YD: Oui, à quelques reprises aux États-Unis et aussi dans le coin de Peterborough. Il était très rapide comme il l’a prouvé quelques années plus tard en F1. Je me souviens de l’avoir battu. Vers la fin de la course, il m’était rentré dedans pour essayer de me sortir, un truc qu’on utilisait souvent en motoneige. Cette fois-là, ça n’avait pas fonctionné.
Parlant de Gilles, j’ai appris l’annonce de sa mort en me rendant à Sanair avec ma femme et mes enfants pour des essais d’un dune buggy. Donc, ce jour-là, je suis embarqué dans ce maudit bazou pour qu’on fasse les ajustements nécessaires (entre autres mettre des bouts de 2 x 4 afin que je puisse toucher aux pédales!). J’ai réussi à gagner ma course de qualification, mais lors de la course, un Volkswagen a « flippé » devant moi! J’ai sauté dessus, mais moi aussi, j’ai roulé (un Volks, c’est rond, vous savez)! Une fois arrêté, j’ai senti un liquide me couler dans le cou, puis, j’ai constaté que c’était de l’essence! Je me suis détaché et j’ai vite gratté le sol pour m’évader de ce cercueil en pensant que ce serait vraiment trop bizarre de mourir la même journée que Gilles.
Votre expérience dans la série Nascar, à North Wilkesboro en Caroline du Nord en 1973 (qualifié 15e et classé 10e), vous a-t-elle satisfait?
En raison du peu de temps passé en piste avant la course, j’avais quand même roulé une seconde plus rapidement que Junie Dunlavey, qui pilotait habituellement cette voiture. Ce qui m’a le plus fait ch…, c’est qu’habituellement, dans une course de cette ampleur (400 milles), trois ou quatre pilotes abandonnent toujours pour diverses raisons, même parmi les têtes d’affiche (Richard Petty, Donny et Bobby Allison, Cale Yarborough, Buddy Baker, etc.)! Toutefois, pour cette épreuve, il n’y a eu aucun abandon parmi ceux qui me devançaient. Autre chose : les responsables de l’équipe qui me fournissait la voiture ne croyaient pas que je terminerais l’épreuve. Dunlavey se tenait donc prêt à me relayer si jamais je devais flancher sous l’effort (NDLR : C’était mal connaître Yvon, qui avait remporté une épreuve de 200 milles à moto sur le circuit de Talladega sous une température ambiante de 114 degrés Fahrenheit). « Après la course, on m’a aussi dit que cette voiture ne pouvait espérer mieux qu’une 12e place, quel que soit le pilote à son volant.
MJ: Votre chute la plus terrifiante?
YD: La dernière, à Mosport en 2002, quand je me suis fait percuter par un autre compétiteur. Je me souviens juste d’être entré dans la courbe numéro un, ensuite, c’est le blanc. Il faut dire que je suis tombé dans le coma pendant trois heures dont deux dans l’ambulance. Avant que je puisse sortir du circuit, il a fallu attendre une seconde ambulance qui partait d’Oshawa, car celle présente au circuit n’était pas autorisée à sortir de l’enceinte! Ma femme n’était pas de bonne humeur, car on ne voulait pas la laisser entrer à l’infirmerie. Le docteur, qui devait être âgé d’à peu près de 80 ans, n’a pas eu le choix de la laisser entrer. Disons qu’elle lui a fait savoir qu’il en valait mieux pour sa santé! Je suis resté trois jours à l’hôpital. Mon casque m’a sauvé la vie, il était cassé à plusieurs endroits.
MJ: Yvon Duhamel homme d’affaires?
YD: J’ai possédé un commerce à Sainte-Agathe, Sports 17 Yvon Duhamel. On y vendait des motos, bien sûr, mais aussi des motoneiges, bateaux, pontons, bref, tout ce qui peut aller sur l’eau. À l’époque, il s’agissait d’une des plus belles concessions en Amérique du Nord. J’y avais un coin aménagé en musée, mais après deux années de pertes financières et y avoir englouti près de 250 000$, les taux d’intérêt à plus de 15% et les nouvelles réglementations en ont eu raison. Plusieurs matériaux constituant ma maison actuelle proviennent de ce commerce, dont le bois ornant ma cave à vins.
MJ: Yvon le collectionneur?
YD: J’ai une petite collection de clés de motels. L’idée m’est venue lorsque Gérald Tremblay m’avait fait rencontrer des dirigeants de l’Université Harvard. L’un d’eux possédait une petite collection dans le genre. Moi qui aime bien ramasser toutes sortes de cochonneries comme disait l’un de mes chums, je me suis donc lancé dans le ramassage de clés! La mienne compte des spécimens de France, d’Angleterre, des États-Unis (bien sûr) et d’Italie. Mes plus exotiques proviennent du Japon. Disons que je suis chanceux d’avoir pu les sortir des différents établissements. À une certaine époque, j’allais m’entraîner au Japon durant l’hiver en prévision de la prochaine saison en compagnie d’un nommé Yoshida. Vers la fin de mon séjour, ce dernier m’a demandé dans son meilleur anglais si je pouvais lui redonner la clé du motel. J’ai ouvert ma valise et lui ai montré les cinq ou six clés qui se trouvaient sur le dessus de mes effets personnels. Il s’est mis à émettre de drôles de sons et m’a demandé de ne plus refaire ce genre de tour. Par chance, le proprio m’a laissé le porte-clés. Disons que lorsque je pouvais avoir le #17, c’était encore mieux.
MJ: Yvon la pin-up?
YD: Ha, ha, ha! Le fameux poster avec Danielle Ouimet! Lors de la session de photo, (Yvon et Danielle ont posé sur une BSA), le photographe et la vedette du film Valérie ont demandé à tout le monde de sortir en prévision de quelques clichés osés, mais ma femme a refusé. Je ne sais bien pas pourquoi… Mais il vaut mieux ne pas la contrarier, tu sais, les Italiennes…
MJ: Votre première combinaison en couleurs?
YD: Ça doit remonter à 1963 ou 1965. L’oncle de ma femme qui était cordonnier (il réparait toujours mes bottines pour une couple de piastres) a confectionné mes premières combinaisons mesurées par mon épouse et sa mère. À l’époque, toutes les combinaisons étaient noires, mais en arrivant à Daytona, je me suis fait dire que la mienne devait être en couleurs. Cela était probablement en raison de la mauvaise réputation des gangs de motards de l’époque, qui portaient des blousons noirs. Nous avons réussi à dénicher de la cuirette chez un cordonnier sur Main Street, puis à coudre une couple de bandes de couleur. C’est aussi à cette époque que je me suis fait produire une combinaison deux pièces rattachée à la taille par un zipper parce que les modèles une pièce traînaient par terre lorsque je détachais la partie du haut entre deux courses.
MJ: Le numéro 17, pour quelle raison?
YD: C’est assez simple : pour courir au niveau professionnel aux États-Unis, il faut un numéro national. J’avais laissé une liste de numéros à ma femme. Lorsque les responsables ont appelé, le 17 n’était pas encore pris (Yvon est né le 17 octobre).
MJ: Devenir le premier à boucler un tour de piste à 150,5 milles/heure en 350cc à Daytona, ça ressemble à quoi?
YD: Ça ressemble à un tour rapide où tu donnes tout et tu espères être le plus rapide. Nous avions rapproché le carénage le plus près possible de la moto avec du ruban gris. Je me recroquevillais le plus possible dans la bulle et j’ai tenu la poignée au fond le plus longtemps possible! Il faut croire que c’était ce qu’il fallait faire hein?
MJ: D’où vous vient le surnom de Super Frog?
YD: Ça doit remonter à l’époque où je courais contre les frères Sehl en terre battue. Je les appelais les yellow bellies et eux me surnommaient frog (grenouille) parce que j’étais francophone. Le « Super » vient sûrement du fait que je les battais souvent!
MJ: Le prénom de votre épouse est-il Sophie, Sofia ou Linda?
YD: Son vrai nom est bel et bien Sofia Cecchino. Fatiguée de se faire appeler Sophia Lauren ou Sophie la toupie, elle a décidé de se faire appeler Linda. Quand nous nous sommes installés ici, en 1981, les voisins ont commencé à l’appeler Sophie. Lorsqu’on relit des articles des années 70, on pourrait bien croire que j’ai eu deux épouses! Plusieurs m’ont demandé si j’avais divorcé et changé de femme! Eh non, c’est toujours la même, et trompe-toi pas en écrivant son nom! »
À 72 ans, du haut de ses 5’2’’, Yvon Duhamel n’a rien perdu de sa fougue, et on devine que l’affronter sur une piste de course devait constituer tout un défi dans le temps! Faire connaître à une nouvelle génération le plus prolifique compétiteur du Québec était le but premier de cette entrevue. Finalement, j’en ai moi aussi beaucoup appris.